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« Devenir grand »

Le point de vue de Sylvain Connac

« Je suis professeur parce qu’on dit « éducation nationale » et pas « instruction nationale » » Voici l’une des pépites du nouveau documentaire de Judith Grumbach, « Devenir grand » (2020). Ne manquez surtout pas sa diffusion.

L’angle de ce film est simple : suivre trois classes pour observer les enseignants aider leurs élèves à grandir à travers leur quotidien d’appropriation des savoirs scolaires. La réalisatrice nous conduit donc dans trois établissements scolaires : une école primaire à Langon, avec Amélie, responsable d’une classe de CE2/CM1, le collège J.S. Pons à Perpignan, avec Olivier, Nathalie, Julien et Magalie, des professeurs de disciplines différentes qui s’occupent d’une 6ème coopérative, et le lycée Germaine Tillion au Bourget, avec Thimothée et Chloé qui enseignent à des élèves en 1ère.

Le butinage visuel que nous propose Judith Grumbach met en exergue plusieurs leviers qui feraient de l’école un lieu d’augmentation pour tous les élèves, en particulier les plus éloignés de la culture scolaire. La « vraie éducation » serait apprendre à se poser les bonnes questions : « c’est pas tellement ce sujet-là en soi qui est intéressant, c’est le processus pour y arriver, de manière à ce qu’ils puissent le reproduire. » Nous avons isolé trois leviers : les projets des élèves, la coopération entre eux et la nécessaire place occupée par les enseignants.

Le premier levier concerne la mise en projet des élèves, qui dépasse bien entendu, une seule mise en activité liée au projet de l’enseignant. Une démarche en 4 temps apparait en filigrane :

– « Quoi ? » : qu’est-ce qui pose problème ? Avec Amélie, les enfants disposent d’un cahier personnel sur lequel ils notent leurs divers questionnements. Au lycée, Thimothée les accompagne pour « cartographier une controverse » et définir ainsi une problématique.

– « Quelles solutions ? » : la classe réfléchit ensuite aux actions qui pourraient résoudre une partie de ces problèmes. C’est ainsi qu’apparaissent les talents individuels des enfants ainsi que « leurs fiertés », en particulier avec ceux qui vivent dans des contextes difficiles, qui ne se plaignent jamais, et qui se présentent comme des modèles de vie (d’après une de leurs enseignantes).

– « Comment ? » : mettre en œuvre et réaliser, en équipes, ces projets. On observe des enfants qui vont à la rencontre de professionnels pour découvrir plusieurs métiers, ainsi que des lycéens qui organisent une enquête pour mieux comprendre les débats sur les maisons closes.

– « Quel bilan ? » : analyser projets, pour partager ce qui a été vécu et communiquer l’avancée des découvertes.

Le deuxième levier, c’est la coopération entre les élèves. On peut écouter, dans chacune des classes, les élèves participer à des discussions démocratiques, parfois philosophiques. Ainsi, pour certains, les projets « m’ouvrent la tête et je réfléchis mieux », pour d’autres, s’identifier aux personnages de la littérature aide à dire « ce que l’on pense tout bas ». L’école n’est alors pas uniquement un lieu pour faire des exercices, elle devient l’occasion de s’intéresser aux expériences personnelles des enfants.

De manière plus large, ces élèves témoignent des avantages potentiels de travailler avec d’autres. Cette coopération est appréciée pour « découvrir plus de choses qu’on ne savait pas » et pour s’aider. « On n’est jamais seul face à une difficulté. » Par exemple, au collège, tous les matins, une séance de « journal des apprentissages » est ritualisée : pour moins oublier, pour repérer ensemble ce qui a été appris et surtout, pour ne pas confondre les activités réalisées et ce qui doit en être retiré.

Le dernier levier qui apparait en suivant ces enseignants et ces élèves concerne la qualité des relations qui existent entre eux. D’abord, et parce que le film leur est adressé (« Ce film est dédié à tous les enseignants et à tous ceux qui contribuent à faire grandir nos enfants »), la réalisatrice montre des équipes au travail, avec des réunions hebdomadaires d’échanges de points de vue pour construire de la confiance mutuelle. Ensuite, et surtout, entre les enseignants et les élèves. Amélie organise des conseils coopératifs, parce que « parler des problèmes est une aide pour qu’ils ne se reproduisent plus. » Des entretiens individuels sont fréquents : au collège pour que chacun trouve un défi à sa hauteur, pour analyser les bilans de trimestre ; au lycée, pour accompagner l’orientation. À côté de ces rendez-vous, le cadre mis en place est flagrant. Un cadre solide avec beaucoup d’écoute, une espèce de « stricte bienveillance. » Olivier précise que ce cadre n’est pas une soumission : son but est d’abord de se sentir en sécurité dans la classe.

Cette présence éducative des enseignants est communément plébiscitée par les élèves : « ils nous écoutent, ils sont là pour nous quand on en a besoin, dans les moments où on réussit et même dans les moments où on échoue, on voit qu’ils sont là pour nous aider à réussir » ; « On va dire c’est des piliers scolaires, c’est nos papas et nos mamans à l’école, ça fait du bien en fait » ; « C’est pas qu’un prof d’EPS. Il nous apprend comment communiquer ensemble, il nous motive quand on n’a pas envie de travailler, il vient vers nous. »

Ce film est donc un bijou. Pour saisir l’importance de la présence d’enseignants auprès de nos enfants. Pour comprendre que l’école est aussi un temps essentiel d’éducation. Pour se donner des idées afin d’avancer ensemble vers une école à la hauteur d’un projet d’humanité.

Photographie : Effervescence Doc.

À venir, lundi et mardi, témoignages des acteurs du film.


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« Ce sont les enseignants qui font la transformation de l’école » Entretien avec Judith Grumbach

Organiser la coopération dans sa classe, Pierre Cieutat, Sylvain Connac, Cyril Lascassies et Cécile Morzadec