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Éducation : histoire d’un engagement

Elle commence doucement lorsque ses enfants sont scolarisés, pour s’informer au départ, puis elle prend goût à représenter tous les parents et à travers eux tous les enfants, par souci de l’égalité, une égalité tôt émaillée par les différences sociales et culturelles. Elle apprécie le souffle de liberté dans la pédagogie mise en œuvre en maternelle, le voit s’émousser au fil des années scolaires jusqu’à devenir brouillard dans l’enceinte du collège. « J’ai été confrontée à un monde que je ne connaissais pas pour lequel les parents n’ont pas toutes les clés. »

Son engagement s’accentue pour s’intéresser de plus en plus à la question humaine, au climat scolaire, aux relations entre les élèves, avec les enseignants. Il s’élargit vers le thème de l’inclusion dans toutes les acceptions du terme : les situations de handicap, les difficultés sociales, les différences culturelles, les orientations sexuelles et plus largement encore. « Je parle d’inclusion de façon générale, de tous les enfants qui ne sont pas dans la norme scolaire. Et un enfant peut être rapidement hors norme scolaire. » Elle voit dans des conseils de classe des décisions d’orientation marquées par le niveau social et les origines. Elle constate les choix limités par les carcans d’une loi invisible teintée de déterminisme. Là encore, elle regrette un manque de réelle liberté de choisir selon ses goûts, ses aspirations profondes.

Son militantisme grandit dans le constat d’une égalité qui reste à venir, dans les combats contre les injustices latentes ou flagrantes. Elle intègre le conseil départemental de la FCPE du Val d’Oise où elle découvre d’autres réalités, d’autres luttes à mener pour la scolarisation des enfants roms, pour les mineurs isolés ou contre l’expulsion d’élèves ou de parents sans papiers aux côtés de RESF (réseau éducation sans frontières). La solidarité est souvent au rendez-vous, celle des enseignants, des parents d’élèves. La victoire se gagne parfois au tribunal, comme lorsqu’une maire refuse d’ouvrir les activités périscolaires aux élèves vivant dans un hôtel social. « J’étais là le jour où les mamans ont pu inscrire leurs enfants. C’était un grand moment. »

Le goût de la pédagogie

Le militantisme, dit-elle, fait souvent écho à son histoire personnelle. Enfant d’une famille nombreuse aux origines modestes, elle est passée par un BEP de comptabilité avant d’accéder au bac puis à des études d’histoire. Alors, les chemins de traverse, elle connaît. « ça donne une certaine sensibilité à ces sujets-là », ceux de l’insertion, de l’égalité, de l’orientation. Bibliothécaire depuis 1990, aujourd’hui à la Bibliothèque publique d’information (Bpi) au centre Georges-Pompidou, elle s’est plongée dans la pédagogie pour former des bibliothécaires, y a puisé le goût de la pédagogie tout court et un certain étonnement que l’école ait si peu changé malgré le foisonnement d’idées. Elle anime des ateliers numériques pour des personnes qui ne maîtrisent pas ce qui semble si facile pour les autres, qui se sentent dévalorisés par cette exclusion de fait d’une facette du monde moderne.

Elle conçoit la bibliothèque comme une ouverture sur le monde, sans a priori, une porte d’entrée vers une multitude de cultures. Elle raconte l’évolution des lieux, cite des expériences où les habitants sont conviés à participer à la conception des plans, explique les liens avec d’autres structures, les lectures de contes faites par des mamans, les critiques partagées entre lecteurs, les relations qui se tissent, le collectif qui se créée. C’est avec tous ses bagages, son expérience de mère d’élèves, de représentante des parents au niveau local, son propre parcours, sa pratique professionnelle et son engagement pour l’égalité qu’elle devient secrétaire générale de la FCPE. Son action se définit désormais au niveau national, dans un moment où l’effervescence est positive, où elle a l’impression que la politique éducative va prendre le virage d’une pédagogie en phase avec son temps, en phase avec les idées qu’elle défend.

Beaucoup de découvertes

« Je suis arrivée lorsque Vincent Peillon était ministre de l’Education, c’était un moment très fort, avec beaucoup de concertation. » Elle apprend, découvre, participe aux réflexions, s’enthousiasme sur l’encouragement des usages du numérique, espère enfin une prise en compte des discriminations et des violences subies par les élèves homosexuels avec la mission dirigée par Michel Teychenné. Elle constate aussi les rapports mis dans les tiroirs, le poids de Bercy, les renoncements face aux pressions de la Manif pour tous, les relents de l’affaire Léonarda. Elle mesure du même coup les avancées même modestes gagnées dans le sens de l’égalité.

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À la tribune du congrès de la FCPE

 

Elle participe à des groupes de travail, anime des sessions où elle côtoie et « donne la parole à des gens connus de l’éducation. Ça apprend énormément. » Les thèmes sont variés : la scolarisation des enfants issus de l’immigration et leur accès au monde professionnel, l’échec scolaire, l’innovation pédagogique avec le Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative. Elle représente la FCPE auprès de différentes instances, est invitée à des congrès comme celui de l’Association nationale des directeurs de l’éducation des villes (ANDEV). Elle découvre les multiples initiatives, les différents acteurs qui font vivre l’école au quotidien, la font évoluer. Elle vient avec son expérience de parent.

L’importance de la mixité

Le rapport de Nathalie Mons sur la mixité scolaire fait écho à ce qu’elle a vécu lorsque la redéfinition de la carte scolaire a donné comme lycée d’affectation à ses enfants un lycée près de la dalle d’Argenteuil. L’expérience a été pour elle positive avec « un partage avec des familles d’autres milieux, d’autres cultures. Le partage est important quand on est parent d’élève. » Avec le CLEMI et la CNIL, elle a participé à des travaux sur l’analyse de l’information, sa fiabilité, retrouvant là un thème lié à son métier.

Elle a quitté la FCPE en 2015, lorsque ses enfants sont entrés à l’université. Elle reste dans ses parages et dans le sillage de l’éducation avec un engagement qui se poursuit au sein des FRANCAS et du CRAP-Cahiers Pédagogiques. Elle a en tête plein d’idées à développer, des évolutions nécessaires pour enfin tendre vers l’égalité. Il lui semble important d’améliorer la communication entre les enseignants et les parents, de former les premiers pour que les seconds ne ressentent pas l’école comme une forteresse inaccessible. Le décrochage scolaire est pour elle « un vrai scandale car certains élèves ont juste besoin d’une aide et ne la trouve pas au sein de l’institution ».

L’éducation au sens critique lui apparaît comme nécessaire pour se retrouver dans le dédale du flux d’informations vraies et fausses. Elle invite à réfléchir au système de sanctions, de pénalisations, pour améliorer le climat scolaire. Elle aimerait que le regard des uns envers les autres se débarrasse des a priori, que le souci de l’inclusion soit perçu comme le moyen d’améliorer la vie à l’école de tous. Elle regrette que le travail en équipe soit si peu présent dans les établissements scolaires. Elle livre toutes ses idées en vrac, reliées les unes aux autres par le fil de l’engagement, un engagement constant qu’elle définit simplement : « je ne supporterai jamais les injustices ».

Monique Royer