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La parole aux acteurs du film de Judith Grumbach, « Devenir grand »

Amélie Vacher, Professeure des Ecole à Langon (33)

Est-ce que vous pouvez dire ce qui a amené votre présence dans le film ?

J’enseigne dans une école publique de 15 classes. Après trois années de postes provisoires, j’ai obtenu un poste fixe en ZEP rurale dans une école dans laquelle je suis restée sept ans et je travaille à Langon depuis six ans maintenant.

D’une part, je crois profondément que la question du climat scolaire a des conséquences sur la qualité d’apprentissage des élèves. C’est la raison pour laquelle je passe beaucoup de temps et d’énergie à faire en sorte que les relations entre les élèves et entre les élèves et moi soient les plus positives possibles.

Par ailleurs, j’essaie de consolider les méthodes de travail des élèves en utilisant le questionnement comme moteur d’apprentissage : questionnement sur les ressentis, les procédures, les moyens à engager pour réaliser une activité et sur les aides à utiliser ou aller chercher pour réussir. Parmi les aides possibles, certaines sont didactiques mais d’autres font appel à la coopération des élèves.

Enfin, les démarches de projet permettent d’entrevoir les compétences des programmes officiels comme des outils pour comprendre et agir sur le monde. C’est alors l’occasion, pour les élèves, de rechercher des réponses en dépassant les cloisonnements disciplinaires et d’utiliser leurs connaissances, en contexte, dans des situations de la vie réelle.

Que retenez-vous de l’expérience de tournage du film ?

Le tournage d’un film dans une classe est une expérience importante. Du côté des élèves, c’est une joie et presque un honneur qu’une réalisatrice puisse s’intéresser à eux et à ce qui se passe dans leur classe. C’est l’occasion de connaître les métiers du cinéma : apprendre comment travaillent une réalisatrice, un ingénieur du son, un chef opérateur… C’est également la possibilité d’observer le matériel et même de le prendre en main pour filmer les copains ou de tenir la grande perche de son avec un casque sur les oreilles !

De mon côté, j’ai vécu les trois premières journées de tournage en étant assez tendue. Il m’a fallu attendre le mois de janvier pour commencer à « oublier » les trois adultes de plus dans la classe, prendre l’habitude d’être équipée d’un micro ou d’être suivie dans les couloirs par une caméra. Pourtant, c’est une véritable chance que d’avoir pu partager quelques-unes de nos activités et de faire connaître, de l’intérieur, la vie d’une classe.

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Nathalie Duthieuw  et Olivier Llarc professeurs au collège Pons de Perpignan

Pouvez-vous décrire brièvement votre situation professionnelle et ce qui a amené votre présence dans le film ?

Nathalie : Je suis professeure de Lettres modernes et professeure principale d’une classe de sixième. Je suis engagée dans le dispositif des classes coops depuis mon arrivée au collège en septembre 2015.

Olivier :
Pour ma part, je suis professeur d’EPS (coordonnateur de l’équipe EPS du collège) et professeur principal d’une classe coopérative de 6e.
Il se trouve que ma présence dans le film est un peu le fruit du hasard. Cela s’explique essentiellement par le fait que ma classe était la seule de toutes les 6° à avoir, dans une même journée, les 4 maillons forts de la chaîne qui constituent ce projet : accueil, conseil semaine, méthodologie et plan de travail. Je les avais aussi en cours d’EPS l’après-midi.

J’ai eu un peu de mal à me dire : « bon beh pourquoi pas » parce que je suis quelqu’un de discret qui n’aime pas être sous le feu des projecteurs. Moins on parle de moi mieux je me porte ! Finalement je me suis lancé… je me suis dit : pourquoi pas … tentons l’expérience.

Qu’est-ce-ce que vous retenez de l’expérience du tournage du film ?

Nathalie : Cette expérience a été enrichissante, notamment grâce à la rencontre d’une belle personne : Judith Grumbach. De plus, elle a mis en lumière les enfants des quartiers défavorisés en cassant, je l’espère, les stéréotypes à travers lesquels ils sont souvent vus.

Olivier : Je retiens qu’il est bien plus facile de faire cours sans caméra qu’avec. Sans plaisanter, j’ai vécu cela comme une nouvelle expérience, un nouveau défi, en étant tout à fait conscient que le travail que nous (enseignants, Conseiller principal d’éducation, Assistants d’éducation, Conseiller d’orientation psychologue, équipe de direction…) effectuons au quotidien sur une année scolaire ne constitue qu’un petit grain de sable dans la scolarité et la vie de nos élèves, perturbée par une situation familiale souvent pas facile.

Il y a un point qui m’intrigue vraiment : nous formons au quotidien nos élèves à la coopération. Une partie de cette formation consiste à développer le concept d’entraide et d’aide, c’est à dire être capable de maîtriser l’aide d’un camarade et la demande d’aide autonome. En accompagnement personnalisé, cela est quelque chose qui se perçoit, mais nous ne savons pas réellement ce que les élèves se disent entre eux lorsqu’ils sont dans cette situation. Je suis donc très curieux de voir cela : comment celui qui aide éclaire le chemin de celui qui est aidé pour l’amener vers la réponse, sans lui donner. De plus, nous mettons l’accent, dès le début de l’année, sur la mise en place précise de l’organisation de la classe pour les amener petit à petit, vers un fonctionnement autonome. Le film sera l’occasion de voir si les élèves ont intégré cela au moment du tournage. Cela nous permettra aussi d’avoir du recul, en étant non plus acteur dans la classe mais simple spectateur. Les interviews ont aussi été très riches. Cela a permis notamment d’échanger sur le rapport de causes à effets entre la mise en place de ce projet et la place de nos élèves, futurs citoyens, dans la société actuelle.

C’est donc une expérience positive, enrichissante et qui donne envie de poursuivre la réflexion pour proposer un enseignement de qualité, adapté à nos élèves.

Timothée Deniset enseignant en sciences physiques, Au lycée Germaine Tillon du Bourget (93)

Pouvez-vous décrire brièvement ce qui a amené la présence de l’équipe du lycée dans le film ?

Depuis plusieurs années, le lycée Germaine Tillion travaille en partenariat avec la Zone d’éducation prioritaire sur de nombreux projets. L’un de ses fondateurs, Emmanuel Vaillant était déjà venu plusieurs fois au contact de nos enseignements interdisciplinaires, notamment lors de l’écriture de son livre Bonnes nouvelles de l’école. C’est lui qui nous a mis en contact avec Judith. Nous nous sommes alors rencontrés et c’est lors de ces échanges que Judith nous a expliqué ce qu’elle souhaitait mettre en avant dans son film.

Il nous est très vite apparu que beaucoup de points étaient en phase avec l’approche interdisciplinaire, l’accompagnement personnalisé des élèves et l’importance du collectif qui sont les piliers du projet de notre lycée innovant.

Qu’est-ce que vous retenez de l’expérience du tournage du film ?

Ce que je retiens d’une expérience comme celle-là, c’est d’abord l’opportunité de réfléchir et surtout d’expliciter les réponses aux « pourquoi ? ». Par le biais des questions qui nous ont été posées, je me suis vu contraint de prendre le temps de réfléchir, formuler, reformuler, réaffirmer des convictions et analyses étayées par l’expérience pédagogiques, des visions de l’éducation et de son sens… Faire ce pas de côté que le rythme du travail quotidien nous empêche souvent de faire, et qui pourtant permets de se rappeler d’où viennent nos convictions.

La seconde c’est un retour en force de l’humilité. Prendre du recul c’est se rappeler qu’il est imprudent, souvent prétentieux, d’affirmer des vérités générales, des « il faudrait que… » ou des « tout le monde devrait… ».

Ce projet a terminé de me convaincre que s’il est compliqué d’impulser un changement global, radical dans cette institution qui prend en charge l’éducation des enfants et des jeunes, chacun peut agir à sa manière, à son échelle, pour défendre des convictions et des valeurs.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

Photographie : Effervescence Doc.


À lire également sur notre site :

« Devenir grands », le point de vue de Sylvain Connac

Recension : Bonnes nouvelles de l’école, Emmanuel Vaillant, JC Lattès, 2017.