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« Comment permettre l’éclosion de l’excellence sans en faire un enjeu qui sacrifie les autres élèves ? »

L’excellence, cette passion française… Que mettons-nous chacun et chacune derrière ce terme ? Dans le dossier de notre n° 581, nous interrogeons cette notion d’excellence dans le contexte scolaire, son rapport à l’élitisme et au mérite, et sa place dans le fonctionnement du système éducatif. Entretien avec les coordinatrices du dossier, Peggy Colcanap, principale adjointe de collège à Paris, et Alexandra Rayzal, professeure d’histoire-géographie en collège à Paris.
Pourquoi les Cahiers pédagogiques ont-ils souhaité faire ce dossier sur l’excellence? En quoi est-ce un sujet important?

Alexandra Rayzal : L ‘excellence, je la pense un peu comme un sujet annexe, presque un impensé, dans l’éducation nouvelle. Notre regard est tourné vers des problématiques plus générales et urgentes : l’échec scolaire, l’inclusion, le bienêtre à l’école, la prise en compte des enjeux du monde de demain, etc. Dans ce contexte, consacrer du temps à l’excellence, qu’elle soit celle des élèves ou des établissements, ça paraît presque une provocation ! Pourtant c’est un sujet qui, je pense, est omniprésent dans notre système éducatif. Ne pas en parler ne le rend pas moins présent. La poursuite de l’excellence irrigue tout le fonctionnement du système, de l’évaluation à l’orientation, et influence de ce fait une grande part des pratiques pédagogiques. Que ce soit fait le plus souvent de manière implicite rend les choses encore plus compliquées pour les élèves. Je pense donc qu’il y a là un sujet dont nous devions nous emparer.

Peggy Colcanap : Par ailleurs, le mot est polysémique et ne résonne pas de la même manière pour chacun d’entre nous. Il peut être lié à un ancien temps que l’on pense avoir existé. Il fait écho à des récits de professeurs ou de parents que l’on a entendus. Il exprime souvent l’espoir ou le regret d’un adulte sur le devenir scolaire d’un enfant. Les Cahiers pédagogiques voulaient interroger le terme d’excellence pour montrer l’impact du regard ou de la perception de l’adulte sur l’élève et sa réussite.

De quoi parle-t-on, quand on parle d’excellence?

A.R. : Vaste question ! On a essayé de récolter des réflexions et témoignages variés. Il en ressort qu’on parle le plus souvent de l’excellence des élèves et de celle des établissements. L’excellent élève, c’est celui qui correspond en tous points aux attentes du système scolaire. L’excellent établissement, quand on se réfère aux classements et vœux d’affectation, c’est davantage pour l’opinion publique celui qui concentre les excellents élèves que celui qui fait réussir ses élèves au-delà des espérances. Nous avons voulu, dans ce dossier, donner à voir d’autres formes d’excellence, notamment en lycée professionnel.

Est-ce que l’excellence peut ou doit être un objectif du système éducatif ? L’excellence pour tous ou pour certains ?

A.R. : Dans un pays aussi attaché à l’élitisme que la France, je crois illusoire de se défaire de la recherche de l’excellence comme objectif du système éducatif. Comme le dit Jean-Michel Zakhartchouk dans le dossier, en France, on est toujours à « Polytechnique moins quelque chose » ! Mais je constate que c’est difficilement compatible avec l’idéal du progrès de tous que pourrait représenter une pédagogie réellement inclusive. Je ne crois pas aux formules creuses du type « l’excellence pour tous ». La question serait plutôt : comment permettre l’éclosion de l’excellence sans en faire un enjeu qui sacrifie les autres élèves ?

P.C. : En effet, pour être excellent il faut souvent se comparer à d’autres : lors de concours, lors des contrôles ou examens. La quête de l’excellence a parfois de grandes conséquences sur l’estime de soi. Est-ce utile pour réussir d’être le meilleur ? Avoir déjà mieux réussi que la fois précédente, être allé plus loin dans un raisonnement ou la rédaction d’un texte, avoir dépassé les objectifs que l’on s’était donnés, gagner en persévérance, n’est ce pas là la clé de la réussite et, à terme, celle de l’excellence ?

Qu’est-ce qui vous a surprises, dans ce dossier?

A.R. : Ce qui m’a surprise, c’est plutôt ce qui nous a manqué que ce que nous avons trouvé. Nous avons eu une phase avec très peu de propositions de contributions, et ça m’a renforcée dans l’idée que le sujet est souvent peu assumé, soit par des gens qui ont des choses très intéressantes à décrire mais ne se croient pas concernés par « l’excellence », soit par des gens qui ont peur de passer pour élitistes. Sinon, pour moi qui connais le système des classes à horaires aménagés, découvrir qu’il en existe pour non-musiciens, dans un objectif de découverte culturelle, a été une très bonne surprise !

P.C. : De mon côté, c’est le ressenti des auteurs dans leurs écrits professionnels. Certains sont portés par une volonté de faire progresser les élèves, et la notion d’excellence n’est pas un but, mais un constat apparu au détour d’une réalisation. D’autres se donnent l’excellence comme objectif. La pression qui s’opère se ressent dans leurs écrits, comme si l’excellence de leurs élèves démontrait l’excellence de leur action. Comment ne pas se sentir en difficulté, abattu, devant une pression si forte ?

Propos recueillis par Cécile Blanchard

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