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Bien préparer au bac de français avec l’IA

L’intelligence artificielle générative au cœur d’un cours de français ? Vous n’y pensez pas ! Mais si, parbleu ! Y compris pour préparer les élèves de 1re STI2A au baccalauréat. Si l’outil s’avère efficace pour entrainer leur esprit critique ou favoriser une mémorisation active des cours, il ouvre également des portes côté créativité. Avez-vous déjà essayé d’inventer une chanson de la Renaissance ? Eux, oui !

En première générale, j’ai utilisé l’intelligence artificielle générative (IAG) pour accompagner le travail de révision sur l’exercice de la dissertation, dans le cadre de la séquence sur On ne badine pas avec l’amour, d’Alfred de Musset, et le parcours « le jeu du cœur et du langage ».
L’ensemble de ce travail intervenait à la fin de la séquence, quand les élèves disposaient d’une solide maitrise de l’œuvre comme du parcours associé.

Au préalable, j’avais distribué aux élèves une série de sujets de dissertation concernant la pièce et le parcours afin qu’ils les classent par grandes séries de préoccupations possibles (le genre de la pièce, la dynamique dramatique, la construction des personnages et leur typologie). Puis ils devaient choisir un sujet sur lequel ils souhaitaient approfondir la réflexion.

Par petits groupes, les élèves ont construit l’analyse du sujet, proposé une problématique et engagé la réflexion sur différents axes de réponse. La mise en commun de ce travail a permis de rappeler les étapes fondamentales du travail à partir d’un sujet de dissertation sur une œuvre et son parcours.

Expertiser les propositions des IA

Ensuite, avec le sujet choisi par les élèves, j’ai demandé à plusieurs outils d’IAG accessibles gratuitement (ChatGPT, Gemini, Perplexity, Mistral) de proposer une analyse du sujet et un plan détaillé. Par équipes, les élèves ont expertisé les propositions émises.

Dans un rapport d’abord extrêmement critique, les élèves ont relevé notamment que les IA n’avaient pas correctement identifié les mots clés du sujet pour en proposer une définition et que ces analyses n’aboutissaient pas à une proposition de problématique réellement probante. De plus, les plans proposés s’en tenaient à des idées générales sur la pièce, les personnages sans mettre en évidence les particularités, les singularités. Surtout, les plans s’en tenaient à des lieux communs — voire des clichés — sur la pièce, alors que le travail réalisé en classe permettait d’aller beaucoup plus loin et de nuancer considérablement le propos. Enfin, il manquait des exemples précis.

Cependant, les élèves ont admis que cet outil permettait de dresser des plans types possibles afin d’accompagner leurs révisions sur la pièce. Surtout, le rapport critique à la production de l’IA permet d’enrichir sa lecture de la pièce et de dépasser les remarques trop attendues pour aller vers une lecture plus personnelle de la pièce, en particulier dans le nécessaire travail de retour au texte que cet exercice permet.

De fait, j’ai ensuite proposé en classe un travail de reformulation d’un des plans proposés en demandant aux élèves de trouver dans la pièce des exemples utiles qui leur ont permis de reformuler certains arguments, voire l’axe d’analyse.

Demander à l’IA de formuler des sujets

En travaillant ainsi avec les élèves, j’ai commencé à explorer le fait que les IAG peuvent être un outil tout à fait pertinent pour accompagner les apprentissages et les révisions des élèves.

Pour l’exercice de la dissertation comme pour celui de l’essai, on peut par exemple proposer à l’IA de formuler des sujets. Ces sujets pourront ne pas correspondre aux attendus formels de l’exercice (les IAG ont tendance à proposer des alternatives ou à simplement utiliser l’intitulé du parcours sans distance pour l’intégrer dans une question), mais ceci permet de disposer facilement d’une banque de questions, d’interrogations sur l’œuvre et sur le parcours qui permettent à chaque élève, en autonomie, de revenir sur sa lecture des œuvres et les discuter.

Autre démarche engagée : aider les élèves à mieux mémoriser. Cette année, j’ai une classe de première où la question du travail personnel est centrale. Les élèves ont beaucoup de bonne volonté, mais ils ne savent tout simplement pas ce qu’il faut mettre en œuvre pour mémoriser des contenus de cours et se rendre capable de réutiliser ces connaissances en situation d’évaluation.

Chercher des questions plutôt que des réponses

J’ai eu l’occasion de revenir sur des méthodes de planification du travail personnel et d’aide à la mémorisation en accompagnement personnalisé, notamment en leur montrant comment dépasser la simple relecture passive du cours en posant des questions. Or, je constate que certains élèves ont beaucoup de mal à poser des questions intéressantes, pertinentes et sont donc incapables de fabriquer des fiches de révision sous forme de questions-réponses vraiment utiles (ce qu’on appelle des flashcards).

Or, il se trouve que, dans cette classe, je pratique le système du secrétariat : chaque semaine, trois élèves sont chargés de rédiger avec un logiciel de traitement de texte une trace écrite rédigée du cours de français. Je récupère ces différentes traces écrites que je corrige et synthétise avant de la mettre à disposition de l’ensemble des élèves dans la classe virtuelle moodle.

Je dispose donc pour chaque chapitre d’une trace écrite du cours qui peut être téléchargée dans ChatGPT pour demander à l’IA de formuler des questions type flashcard. Ces questions peuvent servir de base pour des tests rapides en classe. Mises à disposition des élèves dans le cours moodle, ces questions sont aussi un outil utile pour réviser autrement, y compris collectivement, puisque les élèves peuvent se poser les questions les uns aux autres. Surtout, c’est un moyen de revenir au cours de façon plus active.

Évidemment, la modalité d’élaboration du questionnaire est tout à fait transparente, le pari étant que les élèves puissent eux-mêmes faire le même type de démarche pour accompagner des révisions dans d’autres cours. Surtout, je n’ignore pas qu’il existe des applications spécifiques qui savent faire la même chose. Ce qui m’intéresse, c’est de montrer aux élèves comment mieux utiliser les outils qu’ils connaissent déjà. Libre à eux, plus tard, d’aller explorer d’autres applications, par ailleurs souvent payantes ou financées par une avalanche de publicités, ce que je ne souhaite pas encourager.

Créer une chanson façon Renaissance

Dans le cours de français, l’IA ne sert pas qu’à travailler sur les exercices académiques. Je fais également quelques expériences qui utilisent le son et l’image.

Avec un outil de génération automatique de musique, on peut construire un morceau à la manière d’une chanson de la Renaissance. En travaillant sur le texte de cette chanson, on peut introduire une séquence sur la poésie qui part des clichés et lieux communs de la poésie de la Renaissance ou de la poésie amoureuse pour explorer ce qui fait la richesse et la complexité des sonnets de Louise Labé ou de Ronsard.

Je me suis également amusée à créer des petites séquences de musique instrumentale pour accompagner et minuter le travail en classe. Je dispose ainsi de quelques morceaux de deux à cinq minutes qui aident les élèves à se concentrer sur leurs tâches et leur permet de gagner en efficacité, puisque cette plage de son délimite le temps imparti à une tâche. L’avantage de cette génération automatique est que je peux effectivement demander une durée précise et changer régulièrement les morceaux utilisés en classe pour éviter la lassitude. Et puis c’est plus drôle et moins agressif de poser son stylo quand la musique s’interrompt plutôt que quand un minuteur sonne.

Il y a aussi, sans doute, beaucoup à inventer à partir d’images réalisées par les IA génératives. Pour l’instant, j’ai essentiellement utilisé cet outil pour aider les élèves à lire plus efficacement des didascalies initiales au théâtre. On peut, par exemple, demander à une IAG de dessiner le décor décrit par la didascalie. On produit plusieurs versions qu’on soumet aux élèves en leur demandant celle qui leur parait la plus adaptée.

Respecter une éthique de l’honnêteté

Outre que c’est un moyen efficace et rapide pour obtenir une lecture effective et fine d’une didascalie qui peut être longue (songez aux didascalies initiales de Victor Hugo, par exemple), invariablement, cet exercice a permis d’introduire la notion de quatrième mur et de place du public. En effet, les IA ont tendance à composer un décor plutôt fait pour le cinéma, avec trop d’éléments insuffisamment significatifs, voire hors de propos, et sans tenir compte de la position du public.

À la fin de la première activité autour de l’IA générative avec mes élèves de 1re STI2D, nous avons un peu échangé autour de l’activité. La plupart ont exprimé leur surprise, tant ils considéraient d’abord ChatGPT comme un moyen de tricher. Cependant, un élève a dit qu’il s’y attendait, parce que tous les élèves, désormais, s’en servent et que cela lui paraissait normal que les enseignants leur apprennent à mieux l’utiliser. La seule chose qui le surprenait, en fait, c’est que cette première activité scolaire ait trouvé sa place en français.

De fait, désormais, ceux parmi mes élèves qui ont utilisé une IAG pour les aider dans un travail le font apparaitre explicitement, comme je le fais moi-même. Nous avons donc toutes et tous dépassé le stade de la triche pour engager collectivement une éthique de l’honnêteté qui me parait juste et utile, sur le long terme, pour eux comme pour moi.

Marie-Claude Pignol
Professeure de lettres en lycée à Pithiviers (Loiret)

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Couverture du numéro 593, "Intelligence artificielle et pédagogie"