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Attends, attends… il faut qu’on en parle !

Logo du CRAP-Cahiers pédagogiques.

Après le 9 juin et l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, les échanges ont été intenses sur la liste de discussion interne des adhérents du CRAP-Cahiers pédagogiques. Un certain nombre d’entre eux ont souhaité se retrouver à distance pour partager et essayer de construire à plusieurs des arguments pour échanger avec notre entourage et tenter d’éviter le pire. Voici ce que nous aimerions en partager plus largement.

C’est parti d’un constat : nous savons faire des communiqués de presse, donner notre avis à ceux qui le partagent, à ceux qui sont proches de nos idées. C’est nécessaire et utile. Mais nous avons bien du mal à parler à ceux qui, autour de nous, hésitent à s’abstenir, à ceux qui sont tentés par le vote RN, à ceux qui le défendent. Le format des grandes déclarations de principe n’est pas adapté, cela fait vite « donneurs de leçons ».

L’idée est donc venue de partager nos expériences en changeant d’échelle : plutôt que de nous adresser à tous, adressons-nous à chacun, à telle ou telle personne particulière. En quelques minutes, un dispositif a été imaginé (on sait faire ça, au CRAP-Cahiers pédagogiques) et un appel a été lancé à tous nos adhérents : venez-en parler mercredi soir en visio.

Dispositif

Les participants avaient le choix entre plusieurs « lanceurs » de discussion pour les échanges, et se retrouvaient pour un échange de trente minutes en petits groupes dans plusieurs salles. Cinq situations ont été abordées : comment parler à un collègue tenté par l’abstention ? Comment parler à un collègue qui a voté RN ? À un parent d’élève qui a fait ce choix ? Comment parler à un ou des élèves des grandes classes (avec parfois des majeurs parmi eux) ? Comment parler à des élèves de petites classes ?

Certains groupes ont abordé le sujet « à bâtons rompus », d’autres ont imaginé des dialogues, en prenant tour à tour le « chapeau » de l’abstentionniste ou de l’électeur ou électrice tenté par le vote d’extrême droite et en jouant le rôle à partir de propos lus ou entendus.

Pour parler à un collègue ou un parent qui a voté RN

Il nous a semblé important de partir du principe que c’est à cause du sentiment de ne pas être reconnu, d’être déconsidéré qu’ils ont fait ce choix. Il faut alors précisément reconnaitre ce sentiment, lui accorder du crédit, et pour cela, accueillir la parole et les ressentis, prendre au sérieux leurs questions et y répondre en étant en empathie et en partageant ses propres sentiments : « moi aussi, je suis attaché à… j’ai peur de… ». Faire exprimer le ressenti, le besoin, les attentes, et montrer qu’à ces mêmes ressentis, besoins et attentes, on a d’autres réponses.

• On ne peut pas accueillir tout le monde.
• De quoi aurais-tu besoin ? De confort ? Tu attends quoi du RN ?
• Je n’ai pas lu les programmes, mais je pense, j’espère qu’ils feront quelque chose, en tout cas les autres ne le font pas.
•  J’ai aussi besoin de confort, mais je sais que dans tel ou tel programme, il y a des choses qui répondent à mon besoin…
• Actuellement, on n’est pas en sécurité en France.
• T’es-tu déjà fait agresser ? Tu as déjà vu des gens se faire agresser ? Comment tu ferais pour qu’il y ait plus de sécurité ? C’est peut-être de justice dont tu as besoin ? Pour moi aussi, la justice c’est important.
• Il y a aussi une différence entre l’insécurité et le sentiment d’insécurité, parfois je peux avoir peur parce que je me raconte des histoires. Et puis, en parlant avec les gens, je découvre qu’ils sont très sympas. C’est compliqué de savoir ce qui peut être vraiment dangereux pour ma sécurité. Moi, je crains que le vote RN ne renforce l’insécurité, car il dresse les populations les unes contre les autres.
• Les footballeurs feraient mieux d’apprendre la Marseillaise au lieu de nous donner des conseils de vote.
• Je suis moi aussi très attaché à ce que les sportifs chantent la Marseillaise, et il me semble que depuis que Didier Deschamps est sélectionneur de l’équipe de France, ils s’y sont mis.
• À la campagne, on se sent abandonnés : les services de l’État disparaissent de plus en plus.
• C’est vrai, d’autant que beaucoup de démarches se font par internet, c’est stressant d’être seul face à un écran, et puis on ne se rencontre plus… Et si on écrivait à nos différents candidats pour voir ce qu’ils répondent à ce problème, ou si on les interpelait sur les marchés ?

Pour parler à un collègue abstentionniste, nous avons pensé insister sur ce qui nous mobilise, nous, pour aller voter.

• Tous pourris, le politique ne sert plus à rien, à partir du moment où le vote blanc n’est pas reconnu, je m’abstiens pour montrer mon mécontentement.
• Mais celui qui ne vote pas laisse les autres choisir à sa place. Ne pas voter, avec le danger qui arrive, c’est laisser faire le danger.
• Il est hors de question de voter pour tel parti. Dans ma circonscription, celle qui a été désignée est une carriériste paresseuse, donc je ne voterai pas pour elle.
• Moi aussi, il y a des gens pour qui j’aurais du mal à voter, mais je le ferai tout de même, pour éviter ce qui me semble encore pire.
• Aucun candidat n’est parfait. Là, ce sont nos idées qu’il faut promouvoir, au-delà des personnes.
• C’est une tambouille politique pour que chacun garde son poste !
• Oui, c’est ça aussi la politique, ça toujours été le cas, même pour les plus grands hommes et femmes politiques. Il faut se demander ce qu’on veut sauver en priorité.
• On n’a plus le choix qu’entre les sortants et les extrêmes.
• Le Président et les journalistes ont leur responsabilité en mettant dos à dos le RN et LFI. LFI n’est pas l’extrême gauche, le Nouveau Front populaire non plus.

Peut-on en parler avec des élèves des grandes classes (lycée), et comment ?

• Comment faire pour conserver notre devoir de réserve ?
• Il faudrait qu’on soit au clair sur la question de notre neutralité…
• Nous avons ce devoir de réserve, mais les élèves peuvent débattre, échanger leurs idées, ils ont besoin d’informations sur les programmes et cela, nous pouvons le leur donner.
• La limite, c’est de ne pas dire pour qui on vote et surtout « il faut voter pour… ».
• Comme prof d’histoire, quand je traite de l’esclavage, de l’extermination des Juifs d’Europe ou de la collaboration, je ne suis pas « neutre », j’essaie juste d’être objectif.
• Comme prof de latin, quand je fais travailler les élèves sur la République romaine, les élèves font eux-mêmes des parallèles.
• Et puis notre influence est très discutable, cela peut être contreproductif : les ados peuvent choisir de prendre le contrepied d’un adulte.

Peut-on en parler avec des élèves des petites classes (élémentaire et collège), et comment ?

• Dès l’école primaire, on a des élèves très inquiets, très stressés par la situation.
• C’est important aussi de prendre en compte les émotions des élèves.
• Ce n’est pas parce qu’on a des arguments rationnels qu’il ne faut pas aussi s’occuper de l’émotionnel. Nous-mêmes, nous sommes bouleversés et remplis d’émotions, quand nous parlons de tout cela aux élèves.
• On a la possibilité de proposer des discussions à visée démocratique et philosophique, ou d’autres cadres, qui permettent de parler en sécurité.
• Oui, par exemple, des discussions à partir d’albums de jeunesse comme Voter le loup de Magali Clavelet et Davide Cali, pour aborder le vote, la démagogie, le droit à la révolte, ou L’agneau qui ne voulait pas être un mouton de Didier Jean, pour aborder le « chacun pour soi » et l’engagement.
• Ou encore Le jour où je suis devenu plus méchant que le loup, pour aborder l’indifférence, la colère, le suivisme.

À l’issue de ce moment d’échanges, nous n’avions pas le sentiment d’avoir répondu définitivement aux questions initiales, mais nous nous sentions un peu moins démunis, un peu moins désarmés, un peu réconfortés aussi, par le partage de nos tentatives comme par celui de nos doutes.

Avec le partage de cet article, nous espérons vous donner, amis lecteurs et lectrices, un peu de force à vous aussi pour lutter et ne pas laisser le silence s’installer. N’hésitez pas à nous contacter pour plus d’informations ou pour vous approprier la démarche.

Des adhérents du CRAP-Cahiers pédagogiques

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