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AED : un vrai métier

Pierre Courtois-Boutet est assistant d’éducation au lycée pilote innovant de Poitiers. Il apprécie son travail « d’intermédiaire entre élèves et adultes », dont il enrichit l’approche de son propre cheminement associatif et personnel.

Après un bac économique et social, il entreprend des études dans la filière artistique à Rouen jusqu’à un master en direction d’établissements et de projets culturels à l’université de Rouen-Normandie. Ses dernières années d’études sont perturbées par le covid et les confinements. La fin de son parcours est aussi marquée par le diagnostic d’une forme autistique et d’un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), ce qui, à la fois, le libère et lui fait prendre du recul.

Son diplôme lui ouvre les portes de postes à responsabilité. Lui préfère prendre son temps plutôt que de se lancer jeune dans un travail de ce type. Sur Twitter, il lit une offre d’emploi d’assistant d’éducation (AED) publié par le proviseur du LP2I (lycée pilote innovant international) de Poitiers, où lui-même a été élève. Il postule et est recruté.

« Dans ma famille, beaucoup ont pensé que c’était un boulot provisoire. On peut avoir cette vision-là, mais ce n’est pas forcément ça. Ce travail permet de développer des projets personnels. Et puis, j’avais envie d’être confronté avec le monde réel. » Le monde réel, c’est un établissement qui reçoit 650 lycéens avec « trop peu » d’assistants d’éducation pour les accueillir, échanger avec eux, avec les enseignants et les autres personnels pour que leur scolarité se déroule au mieux.

Un travail important

« Ce travail me plait bien, prenant, important. » Les activités sont variées avec l’accueil à la vie scolaire des élèves malades, en relayant si nécessaire vers l’infirmerie ou les parents, ou encore le traitement des absences. Mais, ce qui lui semble crucial, c’est le recueil des paroles des lycéens. « Tu prends plein d’informations, tu apprends à les traiter, à être une oreille attentive pour les élèves tout en étant membre de l’équipe pédagogique. »

Instaurer la confiance tout en restant clair sur un possible partage avec les conseillers principaux d’éducation (CPE) ou les enseignants constitue sa ligne de conduite. « Il y a des choses que l’on doit dire. Par exemple, un élève qui me parle d’idées suicidaires, je dois le signaler au CPE. » Et de ce partage, nait aussi la confiance avec l’équipe pédagogique.

Il perçoit son rôle comme un intermédiaire entre les lycéens et les adultes de l’établissement, un rôle primordial après deux années de covid qui ont des conséquences sur la santé mentale des élèves. « C’est super de pouvoir en parler, de dire que c’est normal de ne pas se sentir bien. » Il vient en soutien des enseignants qui sont parfois désemparés face à des crises d’angoisse ou des « pétages de câbles ».

Le bon geste, les bons réflexes

Il intervient alors sans avoir reçu de formation particulière pour recueillir la parole sans commettre d’impairs, pour savoir écouter un lycéen ou une lycéenne transgenre, pour avoir le bon geste face à un élève en pleine crise de tachycardie ou de tétanie. « Ça interroge. On accueille des futurs citoyens dans un lieu, l’école, que l’on souhaite sain et posé, mais les personnes qui accueillent en premier ne sont pas formés, pas même au PSC1 » (formation aux premiers secours).

Il lui faut, dans tous les cas, avoir de bons réflexes, appeler l’infirmerie ou le 15 si besoin, ne pas paniquer et encore une fois trouver les mots et l’attitude rassurants. La responsabilité morale est réelle même si pénalement c’est le chef d’établissement qui la porte. Les AED, quelle que soit la situation, sont souvent les premiers interlocuteurs. Dénués de pouvoir de décision, ils sont amenés pourtant à agir, à choisir la solution qui leur semble la plus pertinente. « De fait, on se retrouve à décider, à aller au-delà de nos responsabilités. C’est un boulot important et très intéressant mais peu payé. Au-delà des études, de l’énergie déployée, de ce qu’on attend de nous, des besoins des élèves, la paye est un révélateur de la façon dont on se sent valorisé au travail. »

Il est passé provisoirement du trois-quarts temps à un plein temps de quarante-et-une heures par semaine, une durée qu’il estime trop prenante pour poursuivre sur ce rythme. Son investissement lui vaut parfois de voir son activité qualifiée de « métier passion », une façon pour les interlocuteurs de mettre de côté le peu de reconnaissance pécuniaire.

Donner des billes

Par curiosité, il a suivi une formation d’AED organisée par le rectorat. Il a constaté un décalage entre les conseils donnés et la réalité du terrain. « On nous a dit de faire attention de ne pas dire trop de trucs personnels aux élèves. Si tu veux donner confiance, il faut donner quelques billes, bien sûr, pas trop. »

Il lui arrive par exemple d’expliquer qu’il est autiste, lorsque des paroles déplacées sont prononcées par un lycéen. C’est l’occasion d’échanger sur des insultes ou des blagues qui peuvent blesser, sur la valeur des termes employés, sur ce que veut dire plus généralement la différence quelle qu’elle soit. Il parle aussi lorsque c’est opportun de ses troubles de l’attention. « C’est important qu’il y ait des personnes en situation de handicap dans les établissements scolaires, car cela concerne aussi énormément d’élèves. »

Il vit à plein l’implication émotionnelle et regrette qu’à aucun moment des échanges de pratiques ou des temps d’observation externe ne soient organisés pour réfléchir posément aux dimensions humaines de la fonction. L’apprentissage se fait sur le terrain avec l’angle de sa sensibilité, de ses convictions. Lui voit son rôle avant tout dans une dimension d’accompagnement, de création de liens propices à ce que chacun comprenne qu’il a de la valeur, une intention importante pour des adolescents.

Arts et journalisme

Pierre Courtois Boutet partage aussi ses connaissances du domaine artistique et son expérience du journalisme dans les activités complémentaires à la formation mises en place par le LP2I. Il est chroniqueur bénévole pour la radio poitevine Radio Pulsar, puis contributeur à Combat le média, dont il est aujourd’hui trésorier. Il travaille sur la production de contenus reposant sur son expérience personnelle, avec un scénario déjà écrit sur le harcèlement scolaire et un autre, en projet, sur son parcours jusqu’au diagnostic de son handicap.

Pierre Courtois-Boutet en enregistrement. ©DR

Il se voit comme un créateur de contenus, guidé par la curiosité, l’envie de partager, de tendre son micro et son stylo vers des personnes qui sauront expliquer, illustrer des sujets qui l’intrigue. « J’ai fait le constat pendant la rédaction de mon mémoire qu’il y avait un écart entre les recherches et ce qui est présenté aux gens. » Sur des sujets sur lesquels il doute de sa légitimité, il laisse parler les autres, cherchant les bons interlocuteurs et leur laissant le temps de développer leurs idées. « Je peux porter la parole sur des thèmes où je me sens légitime comme les TDAH et les situations de handicap. »

Il réalise des interviews, des reportages, emprunte de temps à autre le rôle d’interlocuteur rugueux pour corser les débats. Il aimerait développer des podcasts où la longueur serait de mise, pour explorer les recherches en profondeur, informer pour laisser les auditeurs se faire une opinion fondée. Il souhaiterait réaliser un court métrage sur le sujet de la santé mentale. Il a déjà été devant et derrière la caméra, participé à des activités théâtrales.

Alors, lorsqu’un projet de débat ou de podcast se profilent au LP2I, il accompagne volontiers les lycéens en apportant des conseils, à côté d’eux exclusivement, pour les laisser diriger leur initiative.

Changer la société et l’école

Il se définit comme une personne engagée dans une société où « tout est question de choix politiques », où la vitesse amoindrit les échanges et incite aux positions binaires, sans nuances. Il souligne la nécessité de « réinjecter des discussions et du travail collectif. C’est ce qui mène ma vie depuis longtemps : créer des collectifs. »

Les effets de la politique se voient à l’œil nu dans son établissement, où il mesure les effets de la réforme du bac sur les élèves, leur fatigue, leur moral en berne. « On leur met la pression. L’an passé, les changements en cours d’année sur la prise en compte du contrôle continu les ont mis en difficulté. C’est de la maltraitance. » Il se place encore une fois à côté d’eux pour recueillir leurs paroles, avec un sentiment d’impuissance face à un système sourd et aveugle aux difficultés générées. Il fait le choix de changer la société de l’intérieur. « L’Éducation nationale n’est pas mon ennemi, on est là pour faire ensemble. »

Alors, pour continuer à « comprendre la logique du système, pour voir comment le faire évoluer », il est allé à la Biennale de l’éducation nouvelle à Bruxelles en novembre dernier. « L’école est le premier levier du changement. Je suis parti avec des personnes avec qui je bosse, dont le proviseur-adjoint. C’est important d’avoir aussi des gens qui agissent dans l’ombre comme moi. » Les conférences, les échanges avec des participants de tous horizons lui ont « donné du grain à moudre ».

Et d’idées et de questions, il n’en manque pas pour envisager de nouveaux projets. Et parmi ceux-là, il envisage d’explorer plus encore la question du social et du handicap, en empruntant cette fois l’angle de la sociologie à la suite de son mémoire de master sur l’importance des pratiques culturelles pour les personnes en situations de handicap.


Sur notre librairie :

 


Sujets à émotions
Dossier coordonné par Florence Castincaud et Jean-Charles Léon

Même si les émotions et le vécu font partie du processus d’apprentissage, le sujet doit les dépasser pour devenir sujet apprenant ou enseignant. Quels moyens didactiques et pédagogiques permettent de surmonter ces peurs d’apprendre ou d’enseigner? Comment se former pour prendre conscience des affects dans la classe ?

 

 

 

 

Entretiens en milieu scolaire
N°572 – novembre 2021
Dossier coordonné par Michèle Amiel et Anne-Marie Cloet-Sanchez
L’entretien est une forme d’échanges avec les élèves, les familles, les collègues, les personnels ou les stagiaires, etc. Entre souci de relation et exigence d’efficacité, son exercice montre que c’est une compétence qui peut se développer, et devenir même un réel support des apprentissages pour chacun.