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Heureux qui comme ULIS…
Le roman graphique de Fabien Toulmé, ULIS, s’ouvre et se clôt sur des vers d’Homère empruntés à L’Odyssée. D’Ulysse à ULIS, il n’y a qu’un pas. Le jeu de mot pourrait paraître facile, il n’en est rien. Et qu’on ne s’y trompe pas, le protagoniste, Ivan, n’a rien d’un héros, quand il découvre le métier d’accompagnant des élèves en situation de handicap.Ivan, ancien ingénieur en informatique en pleine dépression après un burn-out professionnel et une rupture difficile, se voit contraint d’accepter un poste d’AESH (Accompagnant des élèves en situation de handicap) et se retrouve parachuté sans réelle envie dans un dispositif ULIS (Unité localisée pour l’inclusion scolaire) pour accompagner Matisse, un collégien de 6e qui a un trouble du spectre autistique. Aussitôt franchie la porte de cette salle de cours pas comme les autres, commence l’odyssée d’Ivan. Une plongée dans l’inconnu, où les rencontres sont déstabilisantes mais initiatiques, où les vrais monstres ne sont pas ceux que l’on croit.
Mais comment faire sans formation ? Et c’est quoi, AESH ? Pauline Tramont, l’enseignante coordonnatrice du dispositif, résume assez bien la posture : « Accompagner les élèves, c’est être en soutien. Ce n’est pas faire à leur place. Tu es une béquille, pas une prothèse. Tu n’es pas leur prof. Pas leur père. Pas leur ami non plus. Il faut trouver le bon dosage entre douceur et fermeté. » Ce rôle-là, l’AESH lumineuse, Maryama, l’incarne pleinement.
On retrouve dans ULIS, bande dessinée scénarisée et dessinée par Fabien Toulmé, tous les acteurs essentiels de l’école : une principale enthousiaste, une enseignante bienveillante et favorable à l’inclusion dans sa classe, en contrepoint sa collègue – à deux ans de la retraite – qui assène : « Cette classe ULIS, c’est la cour des miracles. On y met tout et n’importe quoi ! » On y voit pleurer une mère d’enfant handicapé, exténuée mais soulagée, et surtout ces « enfants extraordinaires » à qui Fabien Toulmé dédie son livre.
C’est une joyeuse bande qu’on découvre ici : onze élèves de 12 à 15 ans, bruyants, chambreurs, travailleurs ou non, intéressés ou démotivés, souvent curieux, qui chantent dans le bus ou râlent quand c’est trop dur de marcher sur le sable… bref, des élèves, en somme !
Et le plus handicapé n’est pas forcément celui qu’on imagine. Au fil du récit, découpé habilement selon les quatre saisons d’une année scolaire, on se demande parfois qui accompagne qui, tant ces jeunes vont permettre à Ivan de se (re)trouver. Ces élèves lui renvoient sa fragilité, et l’évolution de Matisse, jeune quasi muet, effrayé par l’école, est une belle mise en abyme du voyage qu’Ivan va devoir faire.
L’auteur ne s’interdit rien : les moqueries des camarades, le découragement des élèves ou des équipes, la maladie, la mort, le rejet et les doutes. Il pose au centre de son récit la question principale de ce que nous renvoient texte et images : « Qu’est-ce que le handicap et pourquoi êtes-vous en ULIS ? » La plus belle définition vient d’Emma, une élève de 3e : « Moi je crois que ça veut dire que notre tête ou notre corps, il ne fait pas vraiment ce qu’on lui commande », et d’ajouter « mais je comprends pas pourquoi des fois on dit “handicapés” et des fois “porteurs de handicaps” ». Et vous, la réponse, vous l’avez ?
C’est là la force du roman graphique de Toulmé, habitué des récits documentaires : de son immersion au sein d’un dispositif ULIS de Bordeaux pendant des mois, l’auteur tire un récit sans angélisme ni misérabilisme. Il raconte la réalité de terrain, dans un système à bout de souffle, sans moyens suffisants, où il est difficile de concilier la belle idée de l’inclusion avec une réalité scolaire et sociale beaucoup moins idéale. Au sortir d’une ESS1, Pauline explique à Ivan : « Tu sais, il y a une étude qui a démontré que les parents d’enfants autistes ont un état de stress comparable à des soldats sur un champ de bataille. Le jour où on comprendra que pour ces enfants et leurs parents, la scolarisation est essentielle, peut-être qu’on mettra enfin les choses vraiment en place pour que ça se fasse dans de bonnes conditions. »
À la lecture de ce récit, comme en ULIS, on rit (beaucoup), on pleure (un peu), la maladie ou la mort rôdent toujours, mais la pédagogie adaptée et exigeante, la différenciation, le collectif et l’entraide mènent toujours vers la lumière.
À l’image de ce bel optimisme, le choix des couleurs : les quatre parties, avec leurs quatre gammes chromatiques dominantes et différentes, illustrent métaphoriquement le cheminement intérieur que l’on fait quand on rentre dans l’école inclusive… on passe de l’ombre à la lumière. Une chose est sure, quand on a fait un pas de côté, on ne voit plus tout à fait le monde et soi-même avec le même regard.
ULIS, Fabien Toulmé, Delcourt, 2025
Notes- L’ESS est l’équipe de suivi de scolarisation : c’est une réunion qui a lieu une fois par an et qui rassemble, sous le pilotage d’un enseignant référent spécialisé, la famille, les enseignants et chef d’établissement et l’AESH. Elle a pour but de réajuster les besoins et de veiller à la bonne mise en place des droits octroyés par la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) au jeune et à sa famille.


