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Du bâton à la carotte…

Au lycée, les élèves abonnés aux mauvaises notes ont tendance à décrocher. L’auteure nous propose quelques pistes pour redonner du sens à l’évaluation et en faire un véritable outil de progression, en particulier pour les élèves les plus faibles. Entre les autocollants et les devoirs individualisés, c’est déjà le regard de l’enseignant sur l’évaluation qui doit évoluer.

Quelle que soit la quantité de conseils pour progresser rédigés par l’enseignant, la note cristallise l’attention des lycéens au moment où ils reçoivent leur copie corrigée. On peut observer dans de nombreuses classes que beaucoup d’élèves ne semblent même pas lire les commentaires adjacents, ils préfèrent comparer avec les camarades le résultat chiffré obtenu, comme un jugement de valeur quasi définitif, étiquetant chacun comme « bon » ou « mauvais » dans la matière, de manière figée. Dans un tel cadre, comment redonner du sens à l’évaluation et en faire un véritable levier de progression des élèves ?

Rendre, quand on le peut, des évaluations non chiffrées, est une première piste très intéressante et très révélatrice. Cependant, il faut bien reconnaître que ce mode d’évaluation, bien qu’enrichissant, est difficile à généraliser du fait des contraintes institutionnelles et de temps. En effet, au lycée, la demande de notes est d’autant plus forte de la part des élèves et de leurs familles que les évaluations communes pour le baccalauréat commencent maintenant dès le deuxième trimestre de la classe de première.

Pour l’élève, l’enjeu est de pouvoir se situer vis-à-vis des attendus des épreuves. Le nouveau baccalauréat prend également en compte pour 10% de la note totale les moyennes de première et de terminale, consacrant ainsi la note comme essentielle au lycée, d’autant plus qu’elle est utilisée pour accéder aux filières de l’enseignement supérieur, même si les volumes horaires de certaines matières peuvent être assez réduits.

Dans un tel contexte, prévoir, corriger et rendre des évaluations non chiffrées peut être perçu comme une « perte de temps » par les enseignants, les élèves et leurs familles, alors même que, comme le souligne André de Peretti, la visée de l’évaluation est bien de valoriser et d’entraîner chaque élève «à progresser vers son excellence propre»[[André de Peretti, Jean Boniface, Jean-André Legrand, Encyclopédie de l’évaluation en formation et en éducation, ESF,1998]], ce qui ne nécessite pas une note.

Des appréciations autocollantes

Une autre approche est celle consistant à varier le plus possible les feedbacks, c’est-à-dire les retours donnés aux élèves sur les étapes franchies et les difficultés rencontrées. En particulier, on peut varier la forme de ces feed-back pour surprendre les élèves et les sortir de la routine de rendu d’évaluation souvent stérile.

Ainsi, il y a quelques années, lasse de voir mes élèves de lycée se débarrasser de leur copie sans lire les longues appréciations personnalisées que j’avais pris tant de temps à rédiger, j’ai apposé des autocollants « valorisants » sur leurs copies, pointant en une image et quelques mots un point positif du travail proposé, une progression, un effort remarqué, la qualité de l’écriture ou encore l’originalité. Il s’agit d’un changement de forme plutôt que de fond, une manière de mettre en avant visuellement un succès pour affermir la confiance en soi de l’apprenant.

Le résultat ne s’est pas fait attendre : les élèves surpris se sont attardés sur leurs copies, me demandant d’expliquer les mots en anglais figurant sur les autocollants et qu’ils ne comprenaient pas. Ceci est bien la preuve qu’ils ne lisaient pas les commentaires habituellement inscrits sur leurs copies puisque beaucoup de ces mots étaient en fait les mêmes. J’ai pu en voir beaucoup coller dans leur cahier fièrement leur devoir après l’avoir consulté, y compris ceux dont la note était assez basse, et peut-être même surtout ceux-là.

Habitués aux mauvaises notes, ce jour-là ils ont obtenu quelque chose qu’ils ne pensaient plus jamais recevoir : une valorisation dans une matière où ils avaient cumulé du retard et dans laquelle ils s’étaient résignés à être « mauvais ». L’effet sur la motivation a été immédiat pour la plupart, et la focalisation sur la note bien moindre. L’évaluation peut alors remplir non seulement sa fonction d’information sur les progrès faits et ceux restants à faire, mais permet aussi d’aider l’apprenant à reprendre confiance en soi et en l’école, devenue un lieu où on ne va pas simplement être jugé par rapport aux autres.

Une évaluation par les pairs

Au sein d’un cours, sans qu’il y ait d’évaluation « formelle », on peut également amener les élèves à porter un regard neuf sur leur propre pratique ou sur celle de leurs pairs. Ainsi, lors d’une prise de parole d’un élève, proposer une évaluation par les pairs en demandant à l’ensemble de la classe d’identifier ce qui est agréable pour l’auditoire – clarté de la voix, volume sonore adéquat, débit, regard – et de proposer des pistes d’amélioration se révèle extrêmement formateur.

Pour ma part, j’ai d’abord hésité à mettre en place ce genre d’exercice, craignant de devoir rappeler à l’ordre des élèves qui se moqueraient des autres ; en réalité, cela ne m’est pas arrivé une seule fois en sept ans d’exercice. Les élèves placés dans un nouveau rôle, celui de conseiller, se montrent d’une grande bienveillance les uns envers les autres, et il est même en général difficile de leur faire préciser ce qui pourrait être amélioré tant ils préfèrent insister sur les points positifs.

Ces auto- ou inter-évaluations, sans donner lieu à une note chiffrée, renforcent la cohésion du groupe, l’estime de soi de l’élève mis en valeur, mais aussi celle des autres qui se montrent fiers qu’on prenne en compte leur avis. Elles favorisent l’acquisition de méthodes et de savoir-faire transférables, de manière bien plus efficace et durable qu’une simple lecture de fiche-méthode de type « comment bien s’exprimer à l’oral », tant pour celui dont on commente la prestation que pour les commentateurs.

S’autoévaluer par écrit

Une autre solution consiste à proposer aux élèves de réfléchir par écrit aux difficultés rencontrées lors d’un exercice, d’un projet, d’une évaluation, et d’identifier des pistes de progression. En effet, si l’on envisage l’évaluation comme formative et faisant partie intégrante de l’apprentissage, et non uniquement sommative, à visée certificative, cela signifie que l’élève ne doit pas simplement lire un commentaire externe sur son travail mais «doit pouvoir reconnaître et corriger lui-même ses erreurs pour pouvoir tirer profit de l’évaluation»[[Charles Hadji, L’évaluation, Règles du jeu, ESF,1989.]] et donc effectuer un travail réflexif métacognitif.

Ces expérimentations relèvent d’un choix d’évaluation sans note chiffrée. Cependant, dans un dispositif où celle-ci est conservée, que faire de ces «abonnés aux mauvaises notes», de ces élèves qui sont si loin de la «norme attendue»? Si, comme le souligne Philippe Meirieu, en tant qu’enseignant, «on ne doit jamais désespérer de quiconque ni dire qu’il ne peut plus progresser»[[Voir : https://www.meirieu.com/PREFACES/vocationenseignant.htm]], c’est parfois l’élève lui-même qui est découragé et désespéré par ces notes qu’il vit comme autant de jugements de valeur.

Refaire le devoir en l’améliorant

Une première piste est de permettre à l’élève de revenir sur un travail effectué, par exemple lui rendre une production écrite dans laquelle l’enseignant ne corrige pas les erreurs qu’il estime que l’élève pourrait corriger lui-même. En revanche, il les lui signale clairement en les entourant et ajoute des conseils pour pouvoir améliorer le devoir, en lui proposant de rajouter quelques points à la note, voire de le refaire et ne compter que la meilleure des deux notes obtenues.

Bien entendu, l’élève se fera sans doute aider, mais ce n’est pas gênant car le but de la manœuvre est de lui permettre de revenir sur son travail et de comprendre comment l’améliorer : même avec une aide extérieure, l’exercice sera plus formateur qu’une simple mauvaise note de plus. Pour ma part, j’ai pu constater de réels progrès pour des élèves choisissant de refaire des devoirs de cette manière, y compris lorsque le devoir refait portait clairement la marque d’une autre plume, les évaluations suivantes étaient plus correctes et plus structurées.

Une notation différenciée

L’autre piste est d’adopter un système de notation tenant compte de l’évaluation des progrès personnels de l’élève et non simplement de l’adéquation de ce qu’il a produit à la norme attendue. Plutôt que d’évaluer tous les élèves de la même manière, prendre en compte leurs progrès réels et valoriser ces derniers, même s’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour qu’ils atteignent le « niveau attendu », permet en effet dans de nombreux cas de leur faire retrouver confiance en eux-mêmes et dans l’institution scolaire. Cela les prépare, à mon sens, plus efficacement à la confrontation avec cette norme qu’une série d’échecs répétés, où la distance les séparant de l’attendu est telle qu’il leur semble plus raisonnable de simplement baisser les bras.

Dans tous les établissements où j’ai enseigné, j’ai pu voir de véritables explosions de joie chez les élèves en grande difficulté au moment de la découverte de leur « bonne » note et un changement radical d’attitude de leur part par la suite. Comme si cet événement les autorisait à se penser comme un être en devenir, capable de changer et de s’améliorer, un sujet libre à qui s’offre à nouveau le choix de s’impliquer dans son apprentissage.

On peut parfois hésiter à évaluer différemment les élèves d’une même classe, dans un souci d’équité, notamment à cause du fait que les moyennes chiffrées sont prises en compte pour le baccalauréat pour les classes de première et de terminale (encore davantage lors de cette année 2020-2021 si particulière, suite à l’annulation des épreuves communes).

Pourtant, il faut à mon sens se rappeler que l’objectivité totale est impossible en évaluation, ainsi qu’on peut le voir lors d’expériences de multi-corrections évoquées par Charles Hadji. On sait que pour les mêmes travaux, les notes varient fortement d’un correcteur à l’autre, mais également dans le temps pour un même correcteur. Évaluer un élève en prenant en compte ses progrès ne provoque pas selon moi une rupture d’équité, n’enlevant rien aux élèves les plus performants tout en impactant positivement l’estime de soi des plus fragiles et par là-même, augmentant leurs chances de réussite aux évaluations suivantes.

Aujourd’hui plus que jamais, alors qu’à un premier confinement – synonyme pour beaucoup de rupture avec l’école, ou tout au moins d’une implication moindre – a succédé une rentrée compliquée entre protocole sanitaire et hétérogénéité accrue, et alors que les lycées ont de nouveau été confrontés à l’enseignement à distance de manière partielle, possiblement voué à se répéter au gré des possibles futures «vagues» de Covid-19, il semble essentiel de réussir à faire évoluer nos pratiques pour aller vers une évaluation qui ait davantage de sens pour les élèves et leurs familles, et soit réellement porteuse d’espoir.

Andrea Duval
Enseignante d’anglais, lycée Parc Chabrières (Oullins)

À lire également sur notre site:
Supprimer les notes, est-ce tromper les élèves ? Antidote n°6, par Pierre Merle


Photo de Sylvain Connac


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N° 568 – L’évaluation pour apprendre

Sans évincer la dimension critique des débats sur l’évaluation, notre dossier est centré sur le lien entre l’évaluation et les apprentissages du point de vue de l’élève, pour mieux comprendre en quoi ce jugement permet à l’élève d’avancer, par son effet sur sa motivation, ou sur ses connaissances et compétences.