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Pourquoi faire des activités pratiques en sciences ?

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Pas toujours facile d’accompagner à la démarche d’investigation un élève désorganisé. Un accompagnement efficace ne passerait-il pas par un accompagnement à l’organisation de la pensée ?

La démarche d’investigation est réputée d’autant plus efficace pour les élèves qu’ils conçoivent leurs propres expériences et qu’ils en tirent personnellement les conclusions. Dans ce cas, les élèves sont engagés dans des situations proches de celles que les scientifiques vivent, ils sont davantage motivés et impliqués dans les situations d’apprentissage, ils s’engagent dans des discussions portant sur les concepts scientifiques en jeu, les données expérimentales et la critique de leurs expériences. Les élèves construisent alors des liens entre connaissances et expériences par le biais du questionnement et des hypothèses qu’ils formulent à partir de leurs connaissances et de leurs conceptions. Les travaux de recherche montrent que les élèves apprennent à la fois des connaissances des domaines concernés et des aptitudes à mener une démarche d’investigation (formuler une hypothèse, concevoir une expérience, interpréter des données, etc). Ils construisent en outre des compétences liées au travail collaboratif et ils se font une meilleure idée du travail scientifique.

Les activités pratiques ont donc un rôle important dans l’apprentissage, mais suffit-il de faire pour apprendre ou est-ce qu’apprendre c’est faire ? Les auteurs qui ont étudié cette question se réfèrent à Piaget pour expliquer pourquoi les activités pratiques sont essentielles à la compréhension du monde. Piaget propose que le terme actif soit compris comme « accepter ou se donner un but, plus ou moins précis d’ailleurs, et organiser soi-même son activité afin de l’atteindre ». Pour Maryline Coquidé, « il est classique de considérer que l’action est source de connaissances. Ainsi dans la théorie piagétienne, l’enfant construit son intelligence depuis la naissance, par interactions entre ce qu’il est à un moment donné et la réalité qui l’entoure, c’est-à-dire par son activité, et par l’adaptation continuelle des schèmes d’assimilation ». Robin Millar souligne que si la construction des représentations est dans un premier temps individuelle, elles ont besoin pour être ancrées solidement d’avoir été partagées et validées par la communauté des élèves ou par l’enseignant. L’action est utile, mais pas suffisante et, surtout, elle doit intervenir dans un contexte particulier et à un moment déterminé du développement de l’enfant.

mener des activités pratiques

Un débat a émergé dans la communauté des chercheurs sur l’efficacité de la démarche d’investigation. Certains chercheurs considèrent qu’elle est inefficace et source de confusion pour les apprenants, qui mèneraient des raisonnements faux alors que d’autres argumentent en faveur de son intérêt pour l’apprentissage. Ceux, majoritaires, qui adoptent ce deuxième point de vue pensent que la démarche d’investigation expérimentale possède une réelle valeur ajoutée pour les élèves et pour les enseignants, mais qu’elle est complexe à mener. En effet, pour mener cette démarche de façon autonome, les élèves doivent s’approprier un problème, formuler des hypothèses, définir des mesures et des variables, interpréter des résultats et élaborer une conclusion. C’est donc une tâche qui mobilise de nombreux objectifs de difficultés hétérogènes. Certains objectifs sont maitrisés spontanément par les élèves, alors que d’autres nécessitent un apprentissage, qui s’effectuera sur du long terme.

Les travaux menés montrent que les élèves aiment réaliser des activités expérimentales, mais qu’ils n’en tirent pas forcément un bénéfice en termes d’apprentissage des notions. Pour Millar, les idées et les explications n’émergent pas spontanément des données expérimentales, et il est nécessaire que les enseignants guident les élèves pour que ces derniers établissent des liens.

Les travaux portant sur l’analyse des difficultés des élèves montrent qu’ils sont globalement capables de proposer une démarche à partir de problèmes qu’ils déterminent eux-mêmes, mais qu’ils perdent souvent de vue le but des expériences qu’ils sont en train de réaliser et la cohérence de la démarche. D’autres travaux montrent que les élèves les plus performants sont ceux qui sont capables de comprendre le but et de s’y référer tout au long de la mise en œuvre de la démarche. L’activité d’analyse des données est également mal maitrisée par les élèves, car elle est souvent prise en charge par l’enseignant.

En résumé, les élèves ont des difficultés à mettre en œuvre une démarche systématique et exhaustive. Ceci serait dû à des difficultés cognitives qui se retrouvent aussi chez les adultes, car « enfants et adultes ont tendance à arrêter leurs recherches dès qu’ils estiment avoir trouvé un facteur qui compte »1. Finalement, le rôle et le statut des expériences ne sont pas évidents pour les élèves, chez qui il semble y avoir une véritable « résistance au réel »2. Une autre problématique concerne l’identification des stratégies utilisées par les élèves, qui sont qualifiées d’ « exploratoires », de « sécuritaires adaptatives », de « pilotées par la manipulation », ou de « défaitistes »3.. Les travaux qui étudient la façon dont les élèves apprennent montrent que la construction du sens passe par l’interaction et la verbalisation orale et écrite. L’étude des savoirs mobilisés et produits par les élèves à partir de l’analyse des pratiques argumentatives ou des productions écrites est un champ de recherches prometteur pour comprendre comment le sens se construit lors des activités et pour proposer des aides.

Comment aider les élèves ?

Si l’on souhaite mettre l’accent sur la réalisation d’expérimentations bien contrôlées, il faut laisser aux élèves un temps assez long (plusieurs semaines). D’autre part, certains objectifs nécessitent un travail interdisciplinaire. Par exemple, pour le traitement graphique des données et la modélisation, un travail en lien avec les mathématiques s’impose.

Il est également nécessaire d’impliquer les élèves dans des activités cognitives telles que planifier, anticiper, questionner, justifier, contrôler. Ces activités métacognitives sont étayées par des activités de production et de représentation personnelles (schématique, langagière, textuelle, kinésthésique, etc.), afin d’en améliorer la prise de conscience. En effet, l’explicitation de sa pensée ou de sa façon de voir le problème permet à l’élève de progresser dans sa résolution. Les productions graphiques permettent également aux élèves de prendre de la distance par rapport aux activités manipulatoires.

Les travaux actuels étudient des solutions numériques pour étayer la démarche d’investigation expérimentale. Ce peut être par exemple par le biais de cahiers de laboratoire numériques qui structurent le compte rendu de l’élève en étapes bien identifiées. Ces supports permettent également aux élèves d’acquérir une vision synthétique des différents éléments de leur rapport, ils structurent l’écriture des protocoles, ils proposent des ressources adaptées à la tâche et des consignes spécifiques relatives à chaque activité4. Des dispositifs tactiles de réalité augmentée sont aussi proposés aux élèves, afin de les aider à organiser le matériel de laboratoire. Enfin, l’utilisation de logiciels de simulation permet de leur donner à voir des objets et des phénomènes inaccessibles en contexte scolaire. Les animations et les ressources à leur disposition jouent alors le rôle de référent empirique virtuel, qui n’ajoute pas de confusion ou de difficulté d’utilisation particulière.

De nombreux travaux existent qui ont bien identifié les difficultés des élèves et des enseignants soit du côté cognitif ou métacognitif, soit du côté méthodologique. À l’avenir, des outils numériques qui intègreront les résultats de la recherche seront mis à disposition des élèves et des enseignants pour guider et étayer la démarche d’investigation.

Patricia Marzin-Janvier
Maitre de conférences HDR, ESPÉ de Grenoble, équipe MeTAH-Laboratoire d’informatique de Grenoble-UGA
Références
Maryline Coquidé, Patricia Bourgeois-Victor, Béatrice Desbeaux-Salviat, « Résistances du réel dans les pratiques expérimentales », Aster n° 28, p. 57-77, 1999.
Patricia Marzin-Janvier, « Comment donner du sens aux activités expérimentales ? », Note de synthèse pour l’HDR, université Joseph Fourier-Grenoble 1, soutenue le 7 juin 2013.Robin Millar, « Investigations des élèves en sciences : une approche fondée sur la connaissance », Didaskalia n° 9, p. 9-30, 1996.Patricia Schneeberger, Raymond Rodriguez, « Des lycéens face à une investigation à caractère expérimental : un exemple en 1re S », Aster n° 28, p. 79-105, 1999.

L’élève chercheur
Depuis 2007, la démarche d’investigation (DI) est préconisée en Europe pour apprendre les sciences, à la suite des recommandations d’une commission européenne pilotée par Michel Rocard5. Cette démarche pédagogique est présentée comme très prometteuse. À la suite de ce rapport, la démarche d’investigation a été introduite dans les programmes de tous les pays européens. En France, la démarche d’investigation était déjà présente dans les programmes avant 2007, mais elle est présentée de façon beaucoup plus détaillée dans les programmes de collège publiés en 2008, où il est proposé aux élèves d’analyser le problème, de formuler des hypothèses, de concevoir des protocoles d’expériences, de contrôler et d’isoler des paramètres et leur variation, d’expliciter des méthodes, d’exploiter, de synthétiser et de structurer des résultats. Cette démarche place l’élève dans une posture qui s’apparente à celle d’un chercheur.

Notes
  1. Patricia Marzin-Janvier, Comment donner du sens aux activités expérimentales ?, université Joseph-Fourier, Grenoble I, 2013.
  2. L’idée exprimée ici est que le recours au réel pour chercher, pour observer, pour valider des hypothèses n’est pas la solution utilisée spontanément par les élèves, qui préfèrent utiliser des documents ou bien questionner des experts. En effet, la construction de modèles scientifiques s’appuie sur des investigations scientifiques où le réel ne se laisse pas facilement maitriser
  3. Patricia Schneeberger & Raymond Rodriguez, 1999 (voir réf. encadré)
  4. Voir par exemple la plateforme LabBook : labbook.imag.fr
  5. Michel Rocard, Peter Csermely, Doris Jorde, Dieter Lenzen, Harriet Walberg-Henriksson & Valérie Hemmo, Science Education Now: a renewed pedagogy for the future of Europe, European Commission, 2007