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Madame, on a envie d’abandonner

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Lors des travaux personnels encadrés, les élèves rencontrent une première occasion de mener une démarche d’investigation au long cours. Le temps ainsi que le caractère interdisciplinaire du projet offrent un espace d’explorations nouvelles.

« Alors madame, nous, pour nos TPE, on a choisi de travailler sur le miel et les abeilles, mais on ne trouve pas de problématique »

« Madame, pour connaitre la concentration du sucre dans le miel, il faut faire des maths ? Et pour doser le sucre dans le miel, il faut aussi faire de la chimie ? »

« Mais madame, notre expérience a raté, on a envie d’abandonner. »

« Finalement madame, on n’arrive pas à trouver une réponse simple. »

Rendons-nous à l’évidence, les TPE, qui constituent la première épreuve anticipée du baccalauréat scientifique, désarçonnent bien des élèves. Dans les années 2000, en tant que lycéenne j’avais eu la chance de pratiquer des TPE en 1re S, histoire de faire toutes les erreurs possibles une première fois en travaillant sur la fabrication du chocolat, puis j’avais choisi l’option TPE pour le bac, mêlant mathématiques et physique pour monter une maquette fonctionnelle du site de Stonehenge. En terminale, mes camarades et moi savions à quoi nous attendre, l’efficacité était donc au rendez-vous. Maintenant, les élèves ont cinq mois pour se lancer dans une vraie investigation scientifique au long cours et elle est directement évaluée à l’examen ! Ces heures de travail en groupe en pluridisciplinarité me semblent, à plusieurs titres, tout à fait cruciales pour la formation aux sciences expérimentales.

L’apport des TPE

Premièrement, durant tout le reste de leur scolarité, les élèves approchent les sciences dans des disciplines qui sont cloisonnées, vraisemblablement pour faciliter les apprentissages. Mais la réalité est autrement plus complexe. Quel dommage de ne découvrir qu’en 1re S qu’il n’y a pas de frontière entre la biologie, la chimie et les mathématiques !

Deuxièmement, les activités expérimentales menées en classe sont le plus souvent conçues pour fonctionner à coup sûr. On les teste même quelques jours avant pour vérifier. Pourtant, dans un laboratoire de recherche, neuf expériences sur dix ratent, et on apprend toujours quelque chose d’un résultat négatif. Certaines grandes découvertes scientifiques viennent tout simplement d’un oubli de la part de l’expérimentateur, qui a su chercher une explication au résultat bizarre, au lieu de tout mettre à la poubelle ! Il me semble important que, lors des TPE, les élèves apprennent à accepter l’échec d’une expérience, ils peuvent ainsi exercer leur esprit critique pour chercher à recommencer, par exemple en changeant un paramètre. Quel soulagement général de dédramatiser l’erreur ! À ce sujet, un très bon exemple serait celui des EXAO1, qui, de par leur fâcheuse tendance à ne fonctionner qu’aléatoirement, font la terreur de certains enseignants. J’y vois pourtant une belle occasion de montrer aux élèves que réfléchir à partir d’une situation d’échec expérimental permet d’améliorer le montage, en tâtonnant jusqu’à trouver l’origine du dysfonctionnement. Et il faut parfois s’acharner, quitte à ce que les élèves habitués à ce que tout fonctionne s’impatientent, jusqu’à la victoire de l’enregistrement qui apparait sur l’écran.

Troisièmement, reconnaissons que la démarche d’investigation menée en classe est le plus souvent très directive, nous montons la séquence de sorte que nous sachions à l’avance ce que l’élève doit trouver. Toute tentative de partir dans une autre direction est même parfois rapidement recadrée. Lors des TPE, les élèves doivent faire preuve d’imagination, et c’est une des plus grandes qualités des chercheurs.

Enfin, l’exploration d’un domaine scientifique autour d’une problématique permet de se confronter à la complexité du réel, d’accepter qu’il n’y ait jamais de réponse simple. C’est d’ailleurs pour cela que, dans le monde de la recherche, une question en appelle une autre, et que plus on en sait et plus on sait qu’on ne sait presque rien.2

Accompagner les élèves

Aussi, après avoir travaillé dans le monde de la recherche scientifique pendant plusieurs années, je peux affirmer que les séances de TPE sont incontestablement celles où je préfère enseigner. Je peux alors véritablement endosser le rôle d’accompagnatrice de la réflexion des élèves. Lorsqu’ils explorent un sujet que je ne connais pas bien, j’apprécie tout particulièrement de me retrouver d’égal à égal avec eux, la réflexion n’en est que plus stimulante. Alors, mettons à profit les enseignements d’exploration en Seconde générale, et de manière générale la pédagogie de projet, pour confronter  nos élèves à la réalité des sciences expérimentales.

Agnès Candiotti
Professeure de SVT dans l’académie de Rennes

Notes
  1. Expérimentations assistées par ordinateur.
  2. Former nos élèves à une démarche de chercheur n’a pas pour ambition de tous les pousser à faire carrière dans la recherche scientifique, mais bien de leur (ré)apprendre à appréhender le monde, dans l’esprit proposé par François Taddéi au Centre de recherches interdisciplinaires avec les « Savanturiers »