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Se laisser porter par la curiosité de l’enfant

pierre-le_na.jpgInvitation à une réflexion sur les enjeux de l’enseignement scientifique et du rôle de la science chez les  jeunes enfants. Un article de notre hors-série numérique n°58, « Enseigner la science aujourd’hui ».

Un nouveau-né nous sourit. Son cerveau, dès la naissance, est riche de la centaine de milliards de neurones qui lui sont donnés pour la vie. Toutefois, ces neurones ne sont encore que peu connectés entre eux par les synapses, ces cellules dont l’apparition progressive et l’organisation achèvent de construire, vers la fin de l’adolescence, le gigantesque réseau de connexions où s’articulent pensée, mémoire, rêves, représentations du monde, apprentissages, volonté, désirs, la personnalité en un mot. Période bénie de l’enfance, où, chaque minute, se construisent deux millions de connexions synaptiques nouvelles, qui inscrivent la multitude des expériences sensorielles et verbales. De cette explosion cérébrale, chaque parent, chaque professeur d’école maternelle sont conscients, même quand le plus souvent ils en ignorent le mécanisme. Souvent éblouis, ne sont-ils pas tentés de rejoindre le jugement de Johan Wolfgang von Goethe qui écrivait : « Si tous les adultes tenaient les promesses de l’enfance, nous n’aurions que des génies. »

Langage et écriture, dessin et musique, nombres et formes, que d’apprentissages se construisent alors chez le petit d’homme ! Sa découverte du monde, du mystère des objets et des phénomènes mobilise ses sens, sa curiosité, et bientôt son questionnement qui s’exprime par ses incessants « pourquoi ? ». L’enfant rejoint alors l’immémoriale démarche de curiosité, mère des légendes et des mythes, mère de la science. « Le bébé, un scientifique au berceau », écrivait même la psychologue Alison Gopnik.

D’où vient donc cette curiosité ? Peut-être a-t-elle représenté un avantage évolutif décisif dans la lutte immémoriale de l’espèce pour survivre ? Peut-être est-elle, comme Sigmund Freud en faisait l’hypothèse, le détournement utile d’un puissant interdit ? En tout cas, sa puissance, si perceptible chez le jeune enfant, éclate chez les scientifiques souvent qualifiés de « grands enfants », comme chez bien des créatifs. À contrario, lorsque famille puis école ne l’ont pas nourrie puis éduquée, quelle tristesse que celui d’un regard vide devant les mystères du monde ! Nulle surprise que cet extraordinaire processus de croissance cérébrale ne cesse d’interroger ces explorateurs du cerveau que sont les psychologues, les cognitivistes et spécialistes de neurosciences, et, en fin de compte, les pédagogues qui sont à la recherche du meilleur chemin d’apprentissage possible.

PARCOURIR LES CHEMINS D’APPRENTISSAGE

Qu’il s’agisse de la lecture, du calcul et de la géométrie, de la musique ou du sport, des sciences de la nature, les publications savantes se sont multipliées pour explorer ou critiquer ces chemins d’apprentissage et les pédagogies qui peuvent aider à les parcourir de façon efficace. J’ai eu le bonheur de travailler avec Wynne Harlen, physicienne devenue experte en enseignement élémentaire de la science ; j’ai pu mesurer combien la richesse théorique de ses analyses ouvrait à des pédagogies plus efficaces. J’ai pu collaborer avec Alice Delserieys, qui analyse comment contourner, chez l’enfant de maternelle, les obstacles du bon sens ou des fausses évidences dans la construction d’une pensée rationnelle, souvent contre-intuitive. Face à ces travaux savants dont j’apprécie les tours et détours, et qui concernent cette première découverte de la science, dès la maternelle et tout au long des années d’école élémentaire, je voudrais pourtant, ici, prendre le parti de défendre un point de vue presque simpliste et trivial. Le voici.

Il est bon que le professeur des écoles accompagne l’enfant dans sa découverte du monde et soit préparé pour ce faire. Il est bon que les programmes définissent contenus et horaires. Il est bon que chez l’enfant le raisonnement se construise, que l’abstraction et les concepts se mettent en place, à l’occasion d’activités expérimentales simples. Il est bon que les chercheurs aient dépensé des trésors d’imagination pour construire des protocoles et évaluer les résultats d’un apprentissage.

Il est bon sans doute de mettre en avant l’éducation à la citoyenneté ou à l’esprit critique. Pourtant, tout cela étant nécessaire et présent, rien ne remplace la volonté d’une professeure des écoles qui, séduite par la soif de savoir de ses élèves, par leurs yeux brillants à l’évocation d’un animal, d’une étoile, d’une plante, par leurs mains avides de toucher et manipuler, par leurs mots maladroits, se lancera, hésitante et incertaine de posséder elle-même la juste démarche, dans une leçon de science que nul de ses élèves n’oubliera, car elle leur aura révélé le monde. À propos de la duplication du carré, Socrate, que rejoint alors cette collègue professeure, ne cherchait pas à faire de l’esclave Menon un futur mathématicien. Son apologue voulait seulement démontrer que chacun des humains possède en lui, fût-il esclave, cette capacité de comprendre.

Que de professeures des écoles ai-je ainsi rencontrées, capables de se laisser porter par la curiosité des enfants et de la faire vivre dans leur classe, comme elles savent leur apprendre à lire ! Rares seront ceux de leurs élèves qui deviendront un Isaac Newton, mais beaucoup d’entre eux, qui n’auront pas oublié leur émerveillement devant le pouvoir de leur jeune intelligence face au monde, pourront alors dire un jour, comme l’écrivait en 1725, peu avant sa mort, le génial découvreur de la gravitation universelle : « Quant à moi, il me semble que je n’ai été qu’un garçon jouant sur la plage et me divertissant de temps à autre en découvrant un galet mieux poli ou un coquillage plus beau que d’ordinaire, alors que le grand océan de la vérité s’étendait devant moi, dans la totalité de son mystère. »

Pierre Léna
Astrophysicien, Académie des sciences, cofondateur de La main à la pâte
Que dit la recherche sur les effets d’une pédagogie d’investigation ?
La Britannique Wynne Harlen, connue des professeurs des écoles français au moins par son  remarquable ouvrage Enseigner les sciences. Comment faire ? (éditions Le Pommier, 2015), publie une analyse détaillée des critiques adressées à la pédagogie d’investigation, notamment après le rapport PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) 2015, soulignant le manque de preuves sur son efficacité.
Cette analyse rassemble les éléments de preuves disponibles et les arguments solides en faveur de
cette pédagogie. Elle identifie les facteurs susceptibles de favoriser ou d’entraver sa mise en œuvre. Elle examine les avantages pour les élèves individuellement, puis pour les sociétés qui ont besoin de davantage de scientifiques, d’ingénieurs et de technologues. Elle formule des recommandations
pour une politique d’enseignement des sciences.
Le texte (quarante-quatre pages), son résumé (dix pages), publiés en anglais sous le titre Inquiry Based
Science Education: A review of the concept, implementation and impact with recommendations,
sur le site de InterAcademy Partnership for Science, fédération mondiale des Académies des sciences qui, avec La main à la pâte et d’autres initiatives, agissent depuis vingt-cinq ans pour améliorer la qualité de l’enseignement scientifique. Une version française est accessible sur le site de l’IAP.
P. L.

Bibliographie :
Alice Delserieys, Jean-Marie Boilevin, Konstantinos Ravanis (éds.), The precursor model, Springer 2021, in press, traduction française en préparation.
Alison Gopnik, Andrew Meltzoff, Patricia Kuhl, Comment pensent les bébés ?, Le Pommier, 2005.
Wynne Harlen, The teaching of science in primary schools, David Fulton Editor, 2018 (7e édition).


Sur notre librairie :

 

Hors-série numéro 58 – Enseigner la science aujourd’hui

Dossier coordonné par David Jasmin et Laurent Reynaud

Pourquoi et comment enseigner la science aujourd’hui ? Cette question s’éclaire d’un jour nouveau à la lumière des développements technologiques, des évolutions sociétales et des enjeux environnementaux qui se présentent à nous.
Un dossier en partenariat avec la fondation La main à la pâte.