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Voir plus grand pour la maternelle !

Après le plan maths et le plan français, le ministère de l’Éducation nationale vient de dévoiler par circulaire un nouveau plan, cette fois-ci pour l’école maternelle. Malheureusement, ce texte, très injonctif sur certains points, s’éloigne de l’esprit des programmes de 2015 et accélère la « primarisation » de l’école maternelle.

Quelques semaines avant la parution de notre futur dossier sur l’école maternelle (mi février), la circulaire du 10 janvier 2023 fixe les objectifs et les modalités du futur Plan maternelle. Elle identifie deux enjeux pour ce niveau : le premier répond aux objectifs de sécurisation de l’enfant, de développement de sa personnalité et de son gout pour les apprentissages. Et le second, en cohérence avec la politique de Jean-Michel Blanquer, réaffirme l’objectif « d’installer les premiers apprentissages fondamentaux autour de priorités : le langage et les premières notions de mathématiques ».

Les mesures annoncées ne répondent concrètement qu’au second enjeu.

MANQUE D’AMBITION

La boussole du ministère ? Les résultats aux évaluations nationales de CP ! Cette focale unique a trois effets : la « primarisation » de l’école maternelle (c’est-à-dire le rapprochement avec les modes de fonctionnement et les objectifs de l’école élémentaire) et l’abandon de ses spécificités pédagogiques, le désintérêt pour les domaines qui ne sont pas évalués (les activités physiques, les activités artistiques, le domaine « explorer le monde »), et l’importance démesurée accordée aux savoirs qui se voient et peuvent « s’objectiver » par des chiffres lors des évaluations.

Or, comme le dit Pascale Garnier, professeure des universités en sciences de l’éducation à l’université Paris 13, « la mise en valeur des seuls résultats tangibles à court terme conduit à ignorer paradoxalement un rapport à soi et aux autres qui est essentiel dans le processus d’apprentissage »1.

Par exemple, savoir inventer la suite d’un récit n’est pas évalué dans les livrets du ministère, car il serait difficile d’élaborer des critères de réussite « objectifs » et à leur donner une valeur chiffrée. Collaborer à plusieurs pour effectuer une tâche non plus, pour les mêmes raisons.

Aux CRAP-Cahiers pédagogiques, nous regrettons ce désintérêt pour tout ce qui n’est pas évaluable : tous les domaines de l’école maternelle sont fondamentaux pour développer le langage oral, les capacités réflexives, la curiosité des élèves. Ils seront présents dans notre futur dossier et les auteurs s’attachent à montrer en quoi ils sont essentiels à la formation d’un élève.

La politique de pilotage par l’évaluation se poursuit par l’annonce de trois réunions annuelles des enseignants de grande section et de CP pour « mettre en perspective les résultats aux évaluations nationales de début de CP avec les attendus de fin de GS » et « développer une culture commune de l’évaluation ». Une mesure qui laisse craindre la fin de l’évaluation positive initiée par les programmes de 2015, s’appuyant sur l’observation du cheminement de l’enfant et de ses progrès, et en gardant une trace, plutôt que sur les résultats scolaires.

LANGAGE, MATHS, RIEN D’AUTRE ?

Améliorer les résultats des élèves, certes, mais avec quelle méthode ? Quels moyens pour y parvenir ? Le ministère annonce des formations qui s’appuieraient sur les actuels plans de formation en maths et français et sur les guides pédagogiques sur le vocabulaire et le principe alphabétique. Rien de très nouveau. Rien non plus qui soit susceptible de rattraper l’indigence de la formation initiale et continue au sujet du développement de l’enfant, ou de la pédagogie de la maternelle.

Notre prochain dossier consacre plusieurs articles à des questions vives de la maternelle qui devraient avoir toute leur place en formation : que penser des pratiques routinières tels que les rituels ou les fiches ? Comment évaluer avec bienveillance ? Comment enseigner le langage oral en étant attentif aux élèves les plus éloignés de la culture scolaire ? Ce dossier, titré « Où va l’école maternelle ? », montre aussi toute la richesse (du point de vue des apprentissages des élèves) des modalités de travail de la maternelle : le jeu, l’organisation d’un milieu riche, le projet…

Le bienêtre et l’accueil des enfants ne sont pas écartés de la circulaire, mais les bonnes intentions, pour convaincre de leur sérieux, doivent être assorties de moyens. Parmi les mesures annoncées : créer des dispositifs passerelles entre les établissements d’accueil des 0-3 ans et l’école maternelle, permettre aux professeurs d’échanger avec les autres professionnels de la petite enfance. Sans moyens supplémentaires, ces idées louables sont vouées à l’échec.

INJONCTIONS

Ce qui risque de choquer le plus les enseignantes et enseignants de maternelle, ce sont les mesures qui concernent les relations avec les familles. En effet, la circulaire cadre de façon très injonctive, et, à ma connaissance, inédite, la relation parents-enseignants. Il est demandé aux enseignants de petite et très petite sections de recevoir, pour les rassurer, tous les parents en entretien au cours de la première période. De plus, tous les professeurs de maternelle sont enjoints de recevoir les familles individuellement en milieu et en fin d’année pour rendre compte des résultats des élèves aux évaluations.

Or, les 108 heures du temps de travail des professeurs des écoles qui sont dédiées aux concertations d’équipe et aux rencontres avec les familles ne sont pas extensibles et sont déjà insuffisantes pour répondre aux prescriptions institutionnelles actuelles.

Outre la question du temps, cette conception uniforme de l’accueil des familles par des entretiens individuels qui s’appuieraient sur les résultats aux évaluations est bien restrictive au regard de la richesse des pratiques des enseignants de maternelle et de la diversité des familles. Par exemple, inviter les parents au spectacle de fin d’année, à la restitution d’un projet, à venir partager les activités quotidiennes lors de la semaine de la maternelle, à lire un album ou dire une comptine dans sa langue d’origine…

Les enseignants ont bien des façons de faire vivre la coéducation. On en trouvera encore des exemples dans le futur numéro de notre revue. Ce serait bien triste d’éteindre leur imagination et leur bonne volonté en les épuisant dans des rendez-vous à la chaine qui ne permettent pas réellement de nouer un véritable partenariat avec les familles.

PROPOSITIONS

D’autres voies sont possibles pour consolider une école maternelle au service de la réussite de tous les élèves, en voici quelques exemples :
• Construire un plan de formation initiale et continue ambitieux qui comblent les manques actuels dans le développement de l’enfant, la pédagogie de la maternelle et la didactique des différents domaines.
• Guider les enseignants dans l’observation efficace et l’évaluation positive des 3-6 ans.
• Offrir aux enseignants de GS et CP des temps de concertation ouverts pour échanger leurs pratiques, concevoir et mettre en œuvre des projets qui favorisent une transition douce entre l’école maternelle et le CP et une acculturation progressive au métier d’élève.

Maëliss Rousseau
Enseignante en maternelle dans les Hauts-de-Seine
et membre du Comité de rédaction des Cahiers pédagogiques

À lire également sur notre site :

L’école maternelle que nous voulons, tribune commune

Défendons l’école maternelle !

La maternelle mérite mieux que ça ! Communiqué de presse du CRAP-Cahiers pédagogiques

La start-up nation commence désormais en maternelle, par Maëliss Rousseau

La maternelle, « enfin » une école ? Par Rachel Harent

Une note discordante, par Yannick Mével

L’École maternelle par celles et ceux qui la font vivre par Rachel Harent

Jean, Sofiane, Shaïma et Pauline, avant-propos de notre n° 517 « Tout commence en maternelle », par Christophe Blanc et Valérie Neveu


Bientôt sur notre librairie :

N°583 – Où va l’école maternelle ?

Coordonné par Jacques Crinon et Maëliss Rousseau

Dans un contexte de forte pression sur les formes et contenus de la maternelle, quelles valeurs, quels fondamentaux voulons-nous promouvoir ?


Photo de Maëliss Rousseau.


Notes
  1. Pascale Garnier, Sociologie de l’école maternelle, PUF, 2016 p. 56.