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Virginie Salmen : « Ils perçoivent très bien cette inégalité. »

© DR.
D’excellents souvenirs ! J’ai fait de ma maternelle jusqu’à la 2de dans un quartier très mixte, en région parisienne. C’était très riche, très motivant. J’ai été déléguée de la 6e à la 3e, j’étais dans une classe échecs, il y avait une association sportive, bref, beaucoup d’activités.
J’ai l’impression que les enseignants nous faisaient vraiment vivre les enseignements. J’aimais beaucoup les langues, j’en ai appris jusqu’à cinq en comptant le latin : j’ai exploré toutes les possibilités que m’offrait l’Éducation nationale d’apprendre des langues !
Dès le CE1, je suis partie en voyage scolaire, et j’en ai fait jusqu’à deux par an au collège, ainsi que des échanges linguistiques. Au collège, les élèves étaient acteurs. On avait par exemple le droit de vendre des friandises aux autres élèves pour la coopérative, on finançait les voyages en partie comme ça.
Et, dans ce collège, on faisait un stage en 4eclass= »questions ». Grâce aux nombreuses œuvres sociales de la commune, j’ai passé une semaine dans un grand magasin près de Liverpool, où on avait des correspondants.
Après le bac, j’ai étudié les lettres, puis intégré une école de journalisme, l’ESJ de Lille, et je suis entrée à Europe 1 l’année suivante. J’y suis restée une vingtaine d’années. J’ai été présentatrice, reporter aux infos générales, puis grand reporter éducation. Je pense que ma sensibilité vient de là.
En 2015, on a créé Viens voir mon taf avec Mélanie Taravant, une autre journaliste d’Europe 1, et une enseignante d’anglais, en tant que bénévoles d’abord, puis j’ai basculé pour devenir salariée de l’association. Je trouvais frustrant de ne pas pouvoir m’investir plus parce que bénévole.
Les attentats de janvier 2015 ont été le déclencheur d’une envie d’agir pour Mélanie et moi, on s’est demandé ce qu’on pourrait faire en tant que citoyennes. On avait l’impression qu’on ne savait faire que des reportages, mais une amie prof d’anglais nous a dit qu’elle voyait très bien ce qu’on pouvait faire : elle voyait ses élèves pleins d’envie à la rentrée de 3e et, dès début octobre, elle observait leur déconvenue face aux portes qui se ferment, et un fort sentiment d’inégalité. Nous, on avait un gros carnet d’adresses, qui s’enrichissait à chaque interview ou reportage. On pouvait les aider à trouver un stage.
L’idée a tout de suite trouvé son public, aussi bien côté élèves que professionnels : il y avait un besoin criant, l’idée était simple à expliquer, beaucoup de gens ont voulu aider. En 2018, on a embauché une petite équipe pour passer à la vitesse supérieure, et nous avons désormais des antennes locales, à Lyon, Grenoble et Marseille.
Nous signons des conventions avec des collèges de REP. Il y en a un peu plus de trente aujourd’hui, avec une autre trentaine en liste d’attente. Nous voyons tous les élèves de ces collèges dès la fin de la 4e pour un premier atelier, afin qu’ils aient toutes les informations sur les stages et se préparent à faire leur choix dès la rentrée. On veut leur donner les codes que les enfants avec réseau ont dès la fin de la 4e.
Pour ceux-ci, dans la majorité des cas, leurs parents appellent quelqu’un qu’ils connaissent et demandent s’ils peuvent faire un stage. Les enfants que nous accompagnons, eux, sont en première ligne, ils encaissent trente ou quarante refus par des adultes qui n’ont pas toujours beaucoup de considération pour leur démarche. Ils se disent que si on ne les accepte pas pour un stage de cinq jours non rémunéré, on ne voudra jamais les embaucher…
Parfois, on leur demande un CV, une lettre de motivation, une carte Vitale, qu’on ne demande pas dans le cadre d’une cooptation par réseau. Ils perçoivent très bien cette inégalité.
Nous, on essaye de faire en sorte qu’ils aient accès à des métiers ambitieux, qui correspondent à leur souhait.
Nous mesurons l’évolution de leur ambition, avec des questionnaires avant et après le stage. Les chiffres sont assez stables, ils sont à peu près 80 % à revoir à la hausse leurs ambitions après notre accompagnement.
Ces élèves s’autocensurent au point, parfois, de penser qu’on leur fait une blague si une entreprise qui leur parait prestigieuse et hors de leur monde les accepte. Pour des élèves de l’éducation prioritaire, plus qu’un projet scolaire, le stage, c’est l’ouverture de portes vers un monde qu’ils ne pensaient pas accessible pour eux. Ils démystifient, réalisent que ce sont des gens qui parlent comme eux qui y travaillent.
On observe aussi une remotivation scolaire assez importante après le stage. Par exemple, certains se mettent à travailler l’anglais qui devient utile à leurs yeux après avoir assisté à des réunions en anglais dans une entreprise. 10 à 15 % disent avoir trouvé une vocation ou confirmé leur envie, certains précisent leurs souhaits. Ils se projettent.
Les enfants ont un choix d’orientation très engageant à faire en fin 3e, alors qu’ils sont très jeunes encore, et qu’il est difficile de revenir en arrière. Il faudrait multiplier les occasions de découvrir les métiers avant la 3e. De plus, la remotivation pour l’une ou l’autre discipline pourrait ainsi intervenir plus tôt.
Nous menons une expérimentation cette année, avec une cité éducative, appelée « Viens filmer des pros ». Des élèves de 5e sont allés filmer par petits groupes des métiers qui les intéressaient. Ça les a amenés à se poser dès la 5e la question de ce qu’ils aimeraient faire comme stage.
Il faut aussi des moyens humains importants pour servir de tiers de confiance entre l’école et les entreprises. Ce n’est pas le métier des enseignants, ils ne peuvent pas tout connaitre des filières et des métiers.
Et puis il y a encore des entreprises qui n’accueillent que des enfants de collaborateurs, alors que ça n’est pas très pertinent pour eux. On pourrait envisager d’imposer aux entreprises des quotas d’élèves non cooptés.
Pour en savoir plus : https://www.viensvoirmontaf.fr
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