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Quatre axes de tension et de débat au sein de l’éducation nouvelle

Première tension : développement dans et avec l’institution/développement contre et hors de l’institution.

Toute l’histoire de l’éducation nouvelle est marquée par la question de la possibilité d’une alternative à la « forme scolaire » : les uns envisagent cette alternative en dehors de l’école, dans l’éducation populaire, les moments non scolaires de la vie des enfants et adolescents, voire « une société sans école », ou bien ils créent des écoles privées alternatives où enseignants et parents se retrouvent autour de valeurs partagées, tandis que les autres envisagent cette alternative à l’intérieur même de l’école, comme ce fut le cas par exemple à la Libération des « classes nouvelles », dont le bulletin de liaison devait devenir les Cahiers pédagogiques. Entre ces options, le débat porte sur le risque de l’entresoi d’une part et celui de la dilution dans la forme dominante d’autre part.

Deuxième tension : l’éducation nouvelle est indissociable des organisations qui en ont fait l’histoire/l’éducation nouvelle est une série de principes généraux dont chacun peut se prévaloir sans s’affilier à un groupe organisé.

Pour les premiers, l’adhésion à une organisation permet aux éducateurs de sortir de la solitude et du bricolage individuel, de se former (co-former) et de devenir des praticiens conscients et des militants capables de capitaliser l’expérience collective. Pour les seconds, l’éducation nouvelle est un ensemble de références, de ressources, de principes qu’ils partagent et dont ils mobilisent des éléments dans des configurations individuelles ou collectives innovantes (la classe inversée par exemple). Les seconds pointent chez les premiers le risque de l’enfermement dans une doxa ou une vulgate sclérosante et des logiques d’appareil, les premiers pointent chez les seconds le risque de la perte des valeurs au profit d’une fascination pour l’innovation et les outils, et l’oubli des héritages qui contraint à « réinventer » sans cesse avec une perte d’énergie considérable.

Troisième tension : épanouissement de l’individu/éducation pour tous ; tous les défenseurs de l’éducation nouvelle affirment qu’il s’agit bien de tenir les deux objectifs, qu’il n’est de véritable émancipation individuelle que dans la lutte pour l’égalité.

Mais les pratiques, les engagements, les discours sont porteurs de choix qui tendent davantage vers l’un des pôles. Ainsi aujourd’hui, certaines pratiques, sous l’étiquette « Montessori », tendent clairement vers le pôle de l’épanouissement de l’individu, au prix parfois d’un certain élitisme ou du moins d’une contribution à la reproduction sociale. D’autres, au nom de l’éducation populaire, voire de la pédagogie critique se réclamant de Paulo Freire notamment, mettent en garde les tenants de l’éducation nouvelle contre le risque de négliger le pôle de l’émancipation des opprimés et de l’éducation à la lutte sociale. La diversité des options politiques constitue une richesse de l’éducation nouvelle : elle impose le débat. Depuis un siècle, le débat politique a été l’un des moteurs des mouvements de l’éducation nouvelle. Il épousait les tensions et les problèmes du moment. Si cette dimension politique disparaissait (au nom d’une « neutralité » ou d’un « apolitisme » de la pédagogie), l’éducation nouvelle ne serait rapidement plus grand-chose d’autre qu’un ensemble de dispositifs dépourvu de sens.

Quatrième tension : méthode « naturelle »-non intervention/intervention de l’adulte-construction du rapport à la loi.

Confrontés à l’autoritarisme, aux méthodes « descendantes », au contrôle permanent et à l’infantilisation de la forme d’éducation traditionnelle et de la forme scolaire, les pédagogues de l’éducation nouvelle ont une tendance « naturelle » à privilégier l’initiative de l’enfant au nom de l’épanouissement des individus et de la lutte contre « l’école-caserne ». Mais l’acte pédagogique lui-même et la réalité des expériences de non-directivité, entrent en tension avec une conception simpliste de ce principe et a conduit tout au long de l’histoire des mouvements d’éducation nouvelle, à la recherche de solution qui dépassent cette contradiction (par la Pédagogie institutionnelle par exemple).

Au-delà du partage des principes, on pourrait affirmer qu’il n’est pas possible de se reconnaître dans l’éducation nouvelle si l’on ne se reconnait pas dans ces tensions, si l’on ne s’inscrit pas dans ces débats (et sans doute quelques autres) qui ne manquent pas d’animer les mouvements pédagogiques de l’éducation nouvelle depuis un siècle et bien sûr la Biennale qui les réunit depuis 2017.

Yannick Mével
Directeur des publications des Cahiers pédagogiques


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