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« L’éducation nouvelle promeut le débat pédagogique inventif »

Philippe Meirieu a participé à la totalité de la Biennale internationale de l’éducation nouvelle, du 2 au 5 novembre 2017 à Poitiers, dont il était grand témoin. Il est intervenu en clôture, pour dire à la fois ce qu’il en avait retenu et proposer des pistes d’action aux acteurs de l’éducation nouvelle.

Bien sûr, pas plus qu’aucun participant de la Biennale, le « grand témoin » Philippe Meirieu n’a pu assister à la totalité des cinquante-quatre forums de pratiques et aux quatre tables rondes proposées sur les quatre jours. Mais il s’est livré à l’exercice de la conclusion, dans un discours très combatif et militant.

Il a d’abord souligné l’importance d’un tel événement, alors que « la priorité à l’éducation affirmée a du mal à s’incarner » et l’intérêt des débats entre des mouvements de cultures différentes. Pour lui, ce qui était en jeu, était que l’éducation nouvelle, loin d’être embaumée ou mythifiée, puisse poursuivre le projet d’une école émancipatrice et fraternelle imaginée en 1921 au congrès fondateur de la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle à Calais.

Droit à l’éducation contre égalité des chances

« Dans un univers individualiste qui peine à construire un « commun » assumé, qui se perd dans la consommation compulsive de l’épuisable, dans une société où les savoirs se perdent dans la multiplication d’informations virales, dans une école qui creuse les inégalités sociales en raison du caractère massivement laxiste de ses pratiques, l’éducation nouvelle, c’est la justice sociale et le droit à l’éducation pour tous », a-t-il affirmé, exhortant à abandonner le concept d’ « égalité des chances ».

L’ « égalité des chances » se résume en fait à aligner sur la ligne de départ des enfants et des jeunes aux « chances » très variables et inégales, en assurant qu’ils sont à égalité précisément puisque sur la même ligne de départ… À cela, Philippe Meirieu oppose la volonté de l’éducation nouvelle de construire une école juste socialement dans les actes et de lutter contre la baisse du niveau scolaire avec une « revalorisation des savoirs exigeants ».

Pour Philippe Meirieu, « l’éducation nouvelle pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses prêtes à l’emploi, elle récuse tout applicationnisme systématique et promeut le débat pédagogique inventif ». Il défend également l’idée que «l’éducation nouvelle doit être attentive à ne fermer la porte à aucun apport de la recherche» mais aussi à ne jamais renoncer à les interroger, notamment au nom des valeurs qu’elle porte. Ce qui fait écho à un propos d’Yves Reuter, intervenant dans une des tables rondes, et qui disait que « les professeurs innovants sont ceux qui se résignent le moins et qui sont en recherche professionnelle ».

Douze chantiers

Il s’est attaché à proposer aux mouvements organisateurs de la Biennale douze chantiers à prendre en charge. Parmi ceux-ci, le travail sur le « sursis », le « délai, dans une société de la satisfaction pulsionnelle », et « l’urgence de ralentir pour autoriser la pensée ».

Venons-en à son propos sur l’évaluation, qui a fait réagir sur les réseaux sociaux. Son postulat est que « l’évaluation, si elle n’exige pas de l’élève qu’il reprenne le travail auquel il a échoué, est laxiste. Il faut expliquer, faire refaire. » Ainsi, laisser un élève bâcler son travail, lui mettre une « mauvaise » note chiffrée sans plus de commentaires, et passer à un autre sujet, n’est pas de l’exigence. Évoquant la « pédagogie bancaire » de Paolo Freire, il dénonce également des «aberrations», telles que les moyennes ou la compensation des notes entre les différentes matières pour obtenir le baccalauréat. Pour lui, la forme aboutie de l’évaluation, c’est « celle qui permet non pas de devenir meilleur que les autres mais meilleur que soi-même ».

L’objet qui résiste

Autre piste dessinée lors de cette conférence, la nécessité de « ne pas séparer de manière absurde le manuel et le cérébral : un chirurgien doit savoir utiliser sa main et un agriculteur doit être un intellectuel pour construire son exploitation de manière durable et dans le respect de la planète ». Car selon Philippe Meirieu, « les difficultés intellectuelles d’un très grand nombre de nos enfants sont liées à la disparition d’objets concrets qui résistent ». Car c’est dans le dialogue avec ce qui résiste qu’on se construit et le rapport avec l’objet est structurant pour l’enfant, et pour les rapports qu’ont les enfants entre eux. Il fait référence à Pierre Léna, membre de l’Académie des sciences, cofondateur de La main à la pâte, qui explique que « face à des fils électriques et une ampoule, celui qui a raison n’est pas celui qui crie le plus fort mais celui qui fait que l’ampoule s’allume ».

« Que je sache, on n’attaque pas autant les « hyper-pédago » qui promeuvent les écoles alternatives hors contrat, ou la scolarisation dans la famille », s’agace-t-il, face au mouvement actuel en faveur de l’instruction en famille et des écoles familiales. Pour lui, « dans une société où les replis identitaires mettent à mal le lien social, l’éducation nouvelle doit remettre au cœur de l’école le principe de solidarité ».

Il cite encore Fernand Oury : « L’autorité est le quotidien de l’école. Mais l’autorité n’est pas le pouvoir. » Et ajoute qu’il « n’y a pas de véritable autorité qui ne soit liée à une responsabilité », que l’école doit faire faire aux élèves l’expérience de l’autorité «en tant que» titulaire d’une responsabilité dans le groupe ou la classe. On associe ainsi apprentissages, responsabilité et autonomie.

Le douzième chantier ouvert par Philippe Meirieu est celui des droits de l’enfant, un « enjeu global » selon lui.

Cécile Blanchard

Détour par le Québec

Lors de cette Biennale internationale, une conférence de Marjorie Vidal, enseignante-chercheure en sciences de l’éducation à l’université de Sherbrooke de Montréal, et Vanessa Lemire, orthopédagogue, a permis de faire connaissance avec les dispositifs de raccrochage au Québec.
Au Québec, 65,3 % des élèves d’origine défavorisée obtiennent un diplôme secondaire contre 79,1 % des élèves favorisés. Le secteur de l’éducation des adultes prend en charge un nombre de plus en plus important d’adultes en grande difficulté, « à se demander qui sont les marginaux », pointe Marjorie Vidal. Ce secteur concerne désormais très majoritairement des jeunes adultes de 16 à 24 ans et 16,4 % y arrivent dès 16 ans. Que proposer à ces très jeunes adultes, pour lesquels ni l’école ni la formation pour adulte ne sont adaptées ? La pédagogie de la formation pour adultes n’est pas toujours adaptée à un public aussi jeune, du fait d’un manque d’encadrement alors que ces jeunes ne sont pas nécessairement suffisamment autonomes.
Deux points saillants du fonctionnement de ces structures ont notamment été mis en avant. D’abord, le fait que l’on s’y occupe des besoins premiers des raccrocheurs. L’offre de services y est très variée: soins médicaux, tickets de bus, repas, garderie, prise en charge des addictions, et elle se développe au fur et à mesure que les besoins émergent. Et, avant de pénaliser les élèves pour leurs absences, on tient compte de leurs contraintes familiales, financières, etc.
Par ailleurs, les deux intervenantes soulignent que lesdites structures défendent une approche globale de la réussite, prenant en compte à la fois les « résultats scolaires normés » et l’insertion sociale, et s’attachent à nouer des partenariats hors les murs de l’école. Même si elles font le constat de difficultés à se comprendre et à collaborer au sein des équipes plurielles de ces structures de raccrochage, néanmoins, on n’y observe pas de compartimentation ou de spécialisation des interventions, voire au contraire des co-interventions d’enseignants avec d’autres professionnels.

La conférence de Marjorie Vidal et Vanessa Lemire est visible en ligne.


Pour en savoir plus:
Visionner la conférence
Le diaporama utilisé par Philippe Meirieu.
Le communiqué de presse des mouvements organisateurs suite à la Biennale.

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