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Vers une marchandisation de l’orientation

La mise en œuvre de Parcoursup en 2018 et la réforme du lycée l’année suivante ont accru les besoins d’accompagnement à l’orientation des jeunes, renforçant ainsi un marché privé de l’orientation qui surfe sur le stress de l’inflation des choix scolaires. En effet, avec la suppression des filières pour les baccalauréats technologique et général, les élèves choisissent en classes de première et de terminale des enseignements de spécialité. Or, ces choix se révèlent cruciaux depuis Parcoursup et l’instauration de prérequis pour être admis dans les formations de l’enseignement supérieur1.

Les conseillers et conseillères d’orientation psychologues (CO-Psy) sont devenus en 2017 des psychologues de l’Éducation nationale (PsyEN). Cette nouvelle dénomination illustre les changements auxquels est confrontée la profession. les PsyEN sont en nombre restreint – on en compte un pour 1 500 élèves –, et leurs missions d’accompagnement psychologique des élèves en difficulté ont été renforcées au détriment de l’orientation de tous2. Leur effectif réduit et leur localisation actuelle – principalement au sein des CIO (centres d’information et d’orientation), avec des déplacements dans les établissements – posent des problèmes pour l’accompagnement de proximité des lycéens3. Face à l’étiolement du rôle d’orientation des PsyEN, le marché privé de l’accompagnement à l’orientation est en plein essor en France, répondant à une demande croissante de service personnalisé pour l’orientation.

Le « coaching d’orientation » : remède au stress ?

Accompagnement individualisé et sur mesure, le coaching d’orientation se structure au tournant des années 2010. Organisée en réseau d’agences franchisées, comme Recto Versoi ou Mental’O, ou en cabinets relevant de l’auto­entreprise, cette offre d’accompagnement à l’orientation est fortement hétérogène, et certaines pratiques peuvent poser des questions d’ordre éthique : les conseillers ou coachs ne sont pas tenus d’avoir reçu la moindre formation leur prodiguant une qualification spécifique, pas plus qu’ils et elles ne doivent suivre un code déontologique professionnel4.

Socioéconomiquement inégalitaire, cette offre s’est développée depuis la mise en œuvre de Parcoursup, créant un « marché de l’anxiété » : « La phase de préparation des candidatures a été vécue par de nombreuses familles comme une période de stress intense, à cause de l’inflation des démarches […]. Moyennant 560 euros, la société Tonavenir.net propose une “formule sérénité”, qui comprend des conseils d’orientation, une aide à l’écriture de lettres de motivation, et même la gestion du dépôt des vœux sur la plateforme… »5

Une imbrication croissante État-marché

Toutes les activités au sein du marché privé de l’orientation n’œuvrent pas d’une façon isolée. Anne-Claudine Oller, Jessica Pothet et Agnès van Zanten observent une imbrication croissante du rôle de l’État avec celui d’acteurs issus de la sphère marchande6.

C’est notamment le cas des salons de l’enseignement supérieur organisés par des groupes de médias privés – à l’instar de L’Étudiant ou de Studyrama – qui revendiquent néanmoins remplir une mission d’intérêt public en bénéficiant de surcroit d’une forte reconnaissance de la part de l’État : l’information sur les salons est largement relayée par l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (Onisep), les conseils régionaux et les rectorats. Ces acteurs parrainent souvent symboliquement les salons de l’orientation en y envoyant des représentants, ou financièrement en affrétant des cars pour que les lycéens puissent s’y rendre. Ces derniers peuvent y rencontrer des enseignants du supérieur, mais surtout des étudiants ou d’anciens étudiants venus faire la promotion de leur formation et témoigner de leurs parcours.

Ces salons créent ainsi des espaces pour s’informer et recevoir des conseils individualisés, et entrainent chez les lycéens et lycéennes des processus d’identification concernant leur futur cursus. Les organisateurs de ces salons, notamment à travers le choix des thématiques et des intervenants de conférences, laissent entrevoir un avenir où tout est possible, où priment la motivation et les désirs au détriment des résultats scolaires. Cette vision de l’orientation profite en particulier aux établissements d’enseignement supérieur privés, dont certains sont accessibles hors procédure Parcoursup et qui connaissent depuis quelques années une forte croissance.

Marie Lauricella
Chargée de veille et d’analyses à l’Institut français de l’éducation, ENS de Lyon.

Pour aller plus loin

Marie Lauricella, « Parcoursup : réguler et rationaliser l’accès à l’enseignement supérieur », Dossier de veille de l’IFÉ no 142, janvier 2023.


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Notes
  1. Anne-Claudine Oller, Le Coaching scolaire, PUF, 2020.
  2. Paul Lehner, Les Conseillers d’orientation : Un métier impossible, PUF, 2020.
  3. Cour des Comptes, Un premier bilan de l’accès à l’enseignement supérieur dans le cadre de la loi Orientation et réussite des étudiants, rapport de 2020.
  4. Jean Guichard, « Le “rapport Charvet” : une refondation de l’orientation ? », L’Orientation scolaire et professionnelle, vol. 48, no 3, septembre 2019, p. 301-320.
  5. Annabelle Allouch, « Les étudiants livrés au marché de l’anxiété »,
    Le Monde diplomatique, 1er avril 2018.
  6. Anne-Claudine Oller, Jessica Pothet et Agnès van Zanten, « Le cadrage “enchanté” des choix étudiants dans les salons de l’enseignement supérieur », Formation emploi no 155(3), juil.-sept. 2021, p. 75-95.