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Un travail de groupe bien noté

Marie Rivoire, professeur d’anglais, a en effet mis au point une méthode pédagogique fondée sur le travail de groupe et l’utilisation sans état d’âme de la stimulation et de la motivation que procurent les notes aux élèves.

 

Je suis convaincue depuis longtemps de l’intérêt du travail de groupe, mais réunir les élèves en îlots de quatre à cinq personnes de façon permanente, et ainsi multiplier les occasions de bavardages et de dissipations m’en a souvent découragé. Suite à une année particulièrement difficile avec une classe de 3e, j’ai tout de même repris l’idée, en essayant de mettre au point un cadre pour que l’énergie des élèves soit bien consacrée aux tâches demandées au groupe, pour que chaque élève trouve son compte dans le travail commun.

Les points bonus et la note d’activité

Les élèves de la classe se placent selon leur choix autour d’une table composée de quatre à cinq élèves. Ils garderont cette place pour chaque heure de cours, l’organisation du cours lui-même étant construite en fonction de cette configuration.

Chaque table constitue un groupe qui va travailler ensemble dans le but de parvenir rapidement à gagner le maximum de points. Plus la table participe et fournit un travail de qualité, plus elle avance vite dans le compte de ses points.

Toutes les tables partent de zéro, et emmagasinent des points bonus selon la qualité du travail et de l’attitude durant l’heure. Les points bonus sont enregistrés sous forme de marque de couleur sur une fiche attribuée à chaque table.

Tous les élèves rédigent seuls pendant deux ou trois minutes, c’est-à-dire chacun sa feuille (et non pas une feuille pour la table. La mise en commun du travail n’a lieu qu’après le travail individuel).

Si la table ne fournit pas un travail de qualité raisonnable, ou si elle empêche les autres tables de travailler, elle peut être sanctionnée d’une marque rouge. Chaque marque rouge entraîne la perte d’un point bonus. Les marques pénalisantes peuvent également être individuelles en cas de troubles répétés par un individu.

La première table arrivant à vingt points bonus, et ce, quel que soit le nombre de marques pénalisantes, stoppe les comptes de toutes les tables. Le décompte est fait alors pour chaque table : les points bonus, moins les marques pénalisantes. La note est inscrite sur le carnet de notes du professeur (coefficient 0,5 pour les troisièmes et quatrièmes, coefficient 1 pour les sixièmes et cinquièmes). Elle est attribuée à tous les élèves assis autour de la table.

Le nombre de notes ainsi obtenues dépend donc du rythme et de la qualité du travail fourni en classe. Plus le rythme est soutenu, plus le nombre de notes est élevé.

Chaque fois qu’une table a bloqué les autres, donc à chaque nouvelle note, les élèves ont le droit de demander à changer de table, s’ils le souhaitent.

Renforcements positifs

Ce système me semblait pouvoir marcher. Il était attractif grâce à ses points bonus gagnés chaque heure, au gré des activités proposées par le professeur : les moments de cours frontaux collectifs, introduisant les nouvelles parties du cours, sont suivis par une réflexion individuelle aboutissant à une synthèse par table de la nouvelle notion à acquérir, et donc aussi à des points bonus ; l’élève a ainsi le sentiment d’être récompensé immédiatement pour ses efforts, même dans un cadre collectif. Il devait aussi permettre une entraide significative pour les élèves en difficulté, ceux-ci trouvant un appui au sein même de leurs camarades. Il devait également réduire de façon conséquente le brouhaha causé par le travail de groupe grâce aux marques rouges pénalisantes. Pour que le système fonctionne bien, il fallait ne pas être avare en points bonus, insister sur le côté positif du travail en groupe, sur les retombées quasi immédiates du système sur leurs résultats et avoir la main légère sur les marques pénalisantes, ne sanctionner que lorsque la règle de vie communautaire était enfreinte (gêner au point de rendre le travail des autres impossible). Il me restait à établir toute une panoplie d’activités générant des points bonus, un, deux ou trois, selon la difficulté d’exécution.

La base du système était établie.

Tout doit compter pour la moyenne

Il est à noter que cette note d’activité ne serait pas la seule à compter dans la moyenne, qu’il conviendrait d’y ajouter les devoirs de fin de séquence (évaluations individuelles), les devoirs maison, les réalisations pratiques, les inter-évaluations, les contrôles de verbes irréguliers pour les troisièmes, etc. Les apports théoriques seraient soit amenés par le professeur, soit recherchés par les élèves. L’appropriation des notions se ferait individuellement dans un premier temps, puis en inter-correction, dans un second temps. La restitution donnerait en général lieu à un travail par table, générant alors des points bonus.

J’étais assurée du succès du système en 6e et 5e. Je savais pertinemment que le travail de groupe est quasiment systématique en primaire, et que les élèves entreraient d’autant plus facilement dans cette organisation bonifiée du travail. Elle était plus intéressante que le système des bons points ou des images, bonification limitée et trop individuelle à mon avis, parce qu’elle se transformait en notes ayant une influence directe sur la moyenne.

J’étais beaucoup moins sûre de moi concernant les 4e et 3e : les élèves étant plus âgés, allaient-ils entrer dans le jeu ? Le système permettrait-il aux élèves au lourd passé de refaire surface comme je l’espérais ? N’allaient-ils pas trouver le système infantile ? Les bonifications les motiveraient-elles assez ? Les pénalisations suffiraient-elles vraiment à leur permettre de s’auto-discipliner ?

J’obtins de ma principale un accord immédiat pour mettre en place à la fois mon système et les tables en îlots. J’eus l’agréable surprise de constater alors un gros gain de place, et une meilleure circulation dans la classe.

Ainsi que je l’avais anticipé, les 6e entrèrent sans surprise dans leur espace de vie. Par contre, ils furent ravis en comprenant que leur travail leur rapporterait des bonus immédiatement : sans exagérer, ils se « jetèrent » sur le travail afin d’empocher les fameux points, qu’il faut alors distribuer plutôt généreusement. En effet, si on veut amorcer un travail rapide et efficace, rien de tel que d’annoncer à l’avance le nombre de points que celui-ci peut rapporter, selon sa qualité. Renouveler les occasions de ces points bonus dans l’heure motive les élèves et accélère leur rythme de travail.

Et les 3e ?

Le phénomène se reproduisit quasiment à l’identique avec les 5e, avec l’effervescence qu’on leur connaît. Sans énervement aucun, sans cris, sans perte de temps : finis les mots dans le carnet, dont l’efficacité est très limitée… J’eus alors l’occasion d’utiliser la première marque rouge pour une table, avec pour résultat immédiat, un silence de mort dans la classe. Je perçus à la table voisine, un « ça calme ! » significatif ! Cela marchait donc ! Je me réjouissais de la qualité gagnée, et des progrès que cette bonne écoute permettait.

Qu’allaient en penser les troisièmes ? La disposition des tables leur plut d’emblée, et encore plus lorsque je les informais qu’ils pouvaient se placer comme ils voulaient, au gré de leurs affinités. Je leur signalais seulement qu’ils ne pourraient plus changer, tant que la première note n’aurait pas été obtenue. Le règlement ne leur posa pas de problèmes, bien au contraire, et le système des marques rouges leur parut juste. Je leur proposai alors une première activité facile pouvant rapporter deux points bonus. Il fut alors passionnant de voir comment le travail collectif qui suivit la phase individuelle se mit en place selon les tables, les élèves les plus avancés aidant les plus faibles, les discussions qui allaient bon train selon les erreurs à corriger ou non, l’effervescence autour de la décision finale avant de m’appeler pour que je décerne les points bonus tant convoités.

Ce que j’avais imaginé fonctionnait parfaitement. Tous les élèves étaient actifs, même ceux en difficulté. Bien sûr, les classes étaient différentes, et les élèves qui n’étaient pas habitués à travailler ne firent, pour certains, que recopier le travail de leurs camarades ; mais pour ces derniers c’était déjà une grosse avancée. Je devais m’apercevoir, au fil des mois, que ces mêmes élèves, à force de recopier des choses justes, et de pouvoir ainsi répondre aux questions et aux sollicitations du professeur, finissaient par ne plus être passifs, et à progresser, presque malgré eux.

Mes classes transformées

Voici donc, en résumé, les points positifs qui ont transformé mes classes et mon mode de fonctionnement :

  • un réel enthousiasme des élèves,
  • une meilleure ambiance de classe,
  • une meilleure auto-discipline au sein des tables,
  • un travail de tous, et donc moins de décrochage sérieux d’élèves,
  • une plus grande entraide au sein de chaque table,
  • un meilleur rythme de travail et de meilleurs résultats,
  • la remise en route de beaucoup d’élèves qui se sentaient perdus en début d’année,
  • une relation apaisée entre professeur et élèves,
  • un accroissement phénoménal de la participation des élèves, et ce, même en classe de 3e grâce à une attribution de points bonus supplémentaires en cas de participation de tous les élèves à la table,
  • une désinhibition progressive des élèves plus réservés (ils finissent par ne plus même se rendre compte qu’ils osent prendre la parole), et par voie de conséquence, une amélioration notable de la prononciation et une acquisition d’automatismes en phonologie,
  • un encadrement permettant aux plus démunis de se sentir soutenus par la table,
  • une multiplication presque infinie de travaux de groupe générant des points bonus,
  • un regain important d’intérêt pour le cours…

Cette liste n’est pas exhaustive : il me semble que chaque jour apporte une nouvelle idée, un nouvel aspect à exploiter. Constater de quelle façon les élèves s’investissent et progressent est réjouissant. La réussite du système repose aussi certainement sur la personnalité de l’enseignant, sa confiance dans cette forme de travail et sa gestion, la perception plus ou moins positive qu’il transmet aux élèves.

Le collège dans lequel je travaille n’étant pas particulièrement difficile, je me posais la question de la réussite du système en zones sensibles. Il est alors très intéressant de savoir que la jeune stagiaire que j’avais la première année de cette mise en place a été nommée, l’année qui a suivi, dans une ZEP de la région parisienne. Elle s’est empressée de mettre en place mon système. Il a généré le même enthousiasme, et a motivé les élèves à tel point qu’ils ont demandé à ce qu’il soit appliqué dans tous les cours. Je demeure persuadée qu’il fonctionnerait aussi bien dans beaucoup de matières, et pourquoi pas, de la primaire au lycée, pour le plus grand encouragement et le profit de tous.

(Cahiers pédagogiques n° 476, « Travailler par compétences », oct. 2009)

Marie Rivoire
Professeur d’anglais au collège Le Grand Lemps (Isère) et formatrice dans l’académie de Grenoble

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Références

Marie Rivoire, « Travailler en îlots bonifiés pour la réussite de tous », Génération 5, Chambéry, 2012

Lire sur le site des Cahiers (https://www.cahiers-pedagogiques.com/Travailler-en-ilots) la recension de cet ouvrage et le débat qu’il a suscité.