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Sur le programme du parti « Les républicains » sur l’école

Il y a, dans le document d’orientation Éducation et Enseignement supérieur publié par le parti « Les Républicains » suite à sa journée de travail du 6 avril 2016, des idées auxquelles la recherche en éducation incite plutôt à souscrire. Un économiste de l’éducation, habitué à observer une corrélation faible ou nulle entre dépenses pour l’école et résultats des élèves, partagera sans doute le jugement de la Cour des comptes cité dans le programme selon lequel le problème de l’école française est moins le manque de moyens que leur mauvaise utilisation.

Il est par ailleurs exact que des travaux rigoureux montrent l’efficacité de la pédagogie explicite, d’un enseignement structuré, d’une mesure régulière des progrès des élèves, les vertus de la répétition, même si l’on peut douter fortement de ce que la « pédagogie traditionnelle » ait été explicite. En revanche, il va de soi que reconnaître les vertus de la pédagogie explicite pour l’enseignement des disciplines n’empêche en rien d’approuver les enseignements pratiques interdisciplinaire, que ce document rejette fortement, puisque leur vertu est d’apprendre à utiliser les connaissances acquises dans plusieurs disciplines pour traiter des problèmes réels.

D’autres politiques proposées sont déjà pratiquées dans certains pays étrangers avec des résultats plutôt positifs et il n’est pas aberrant de vouloir les essayer, pourvu qu’on les évalue et qu’on les réoriente en fonction des résultats obtenus, la recherche montrant qu’en la matière, le diable est dans les détails. Ainsi d’une autonomie encadrée des établissements scolaires, de l’existence d’écoles « libres de leurs moyens, comptables de leurs résultats », inspirées des Charter Schools états-uniennes, d’une gouvernance « de proximité et de responsabilité ».

Mérite et excellence

Cependant, ce programme contient aussi plusieurs orientations que les résultats de la recherche conduisent à tenir pour dangereuses pour notre école et pour notre pays. La première est que, selon le diagnostic LR, le problème de l’école française est qu’elle décourage l’excellence, qu’elle ne reconnait pas assez le mérite. Cette position soulève deux types de problèmes.

Le premier est que, non, le rôle de l’école n’est pas la tâche morale de récompenser le mérite ou l’effort. Il est de faire en sorte que les élèves apprennent le mieux possible. Lorsque l’école se soucie des moyens (l’effort, le respect de l’autorité) au lieu de se soucier des résultats, elle manque à la promesse implicite faite à chaque élève que les efforts qu’on lui demandera seront au service de ses apprentissages et, au-delà, de sa vie. Il est immoral, il est incivique, de valoriser l’effort pour lui-même, le respect de l’autorité pour lui-même. Le second est que cette position procède d’un diagnostic erroné. Le problème de l’école française, ce n’est pas celui de ses meilleurs élèves, c’est celui de ses élèves les plus faibles. C’est celui de ses élèves les plus défavorisés. Les plus faibles : le programme diagnostique « un net recul en maths chez les bons élèves et les plus faibles ».

Je ne sais à quelle définition des « bons élèves » et à quelle évaluation se réfère ce diagnostic mais ce n’est surement pas PISA.

Résultats en mathématiques

En 2012, en maths, sur une échelle dont la moyenne OCDE est 500 et l’écart-type 100, le score de nos meilleurs élèves est significativement au dessus de la moyenne OCDE (621 en France contre 614, pour le neuvième décile), tandis que celui de nos élèves les plus faibles est significativement au dessous de cette moyenne (365 contre 375 pour le premier décile, 330 contre 343 pour le cinquième percentile). Et non seulement les écarts entre faibles et forts sont plus grands qu’ailleurs, mais en outre ils augmentent. Depuis la dernière évaluation PISA où les maths étaient le domaine majeur (2003), le niveau des plus faibles est en effet en net recul (de 389 à 365 pour le premier décile) mais celui des plus forts est, au pire, stable (de 617 à 621 pour le neuvième décile).

D’autres évaluations que PISA, par exemple, le dispositif CEDRE de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Éducation nationale) diagnostique aussi une augmentation de l’écart entre faibles et forts et non une baisse des plus forts comme des plus faibles (MEN-DEPP, Note d’information n°18 de 2015). Des inégalités sociales de performance, le programme LR ne dit pas un mot. Le diagnostic de PISA 2012, que, en France, la performance en mathématiques dépend du milieu social plus que dans tout autre pays de l’OCDE, n’a pas été intégré dans le paysage mental de LR, non plus d’ailleurs que la forte augmentation de cet impact depuis 2003.

Que, dans un système éducatif laissé dans cet état par elle (en 2012, cela faisait dix ans que la droite gouvernait l’éducation de ce pays), LR ne sache que reprendre la vieille antienne de l’excellence trahie, du mérite bafoué, du saccage de nos meilleurs esprits par le nivellement par le bas, c’est ennuyeux. C’est aussi idiot : nous ne sommes plus, grâce aux nombreuses évaluations nationales et internationales, à cette époque bénie où l’on pouvait raconter n’importe quoi sur l’évolution des performances de nos élèves.

Que la droite conteste la façon dont la gauche s’attaque à ce problème, cela fait partie du débat démocratique, mais qu’elle ne voie tout simplement pas le problème, cela, comment dire ? étonne. Peut-être devrait on lui signaler ce dont les partis conservateurs se sont aperçus aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne : que l’amélioration des performances des élèves les plus faibles et les plus défavorisés ne relève pas seulement d’un souci d’égalité, mais aussi d’un souci de croissance économique et de cohésion sociale ; que les pays dont la performance moyenne est la plus forte sont, le plus souvent, aussi ceux où les inégalités de performance sont les plus faibles.

Remédier à la difficulté scolaire

La seconde orientation dangereuse est – c’est d’ailleurs cohérent avec ce qui précède -, le contenu des politiques envisagées pour traiter la difficulté scolaire. La première de ces politiques est un retour au redoublement, du CP « pour ceux qui ne savent pas lire », et du CM2 pour ceux qui ne savent pas « lire (LR ne semble donc pas très sûr que le redoublement du CP suffise à régler la question du savoir lire, c’est en effet sage), écrire, compter et calculer » (la référence à « calculer », on suppose, est une concession à la modernité).

On le sait, les bons effets du redoublement, lorsqu’ils existent, ne durent pas, ce qui est normal : la plupart des élèves faibles sont des élèves qui apprennent plus lentement, pas des élèves qui buttent sur une difficulté particulière. Ils ont donc besoin d’un renforcement permanent de l’enseignement, plus que de la possibilité de redoubler. On sait aussi que les formes « modernes » du redoublement le mobilisent en dernier recours, si une action continue au long de l’année scolaire et des vacances (écoles d’été) a échoué.

De fait, dans ce texte, le redoublement est envisagé moins comme une remédiation que comme un moyen de diminuer l’hétérogénéité des classes de CE1 et de 6e, (ce qui facilite en effet le travail du maître, un objectif peut être lié au fait de (re) mettre ce dernier au centre du système, l’objectif majeur du programme LR). Il se trouve d’ailleurs que ce moyen est assez inefficace, puisque l’écart entre les performances moyennes dans deux niveaux successifs sont beaucoup plus petites que celles qui séparent les élèves forts et faibles d’un même niveau scolaire, le CM2 par exemple.

La seconde politique est celle des classes de niveaux (LR veut laisser les établissements en proposer) et les CP+. Si l’on comprend bien cette dernière proposition, il s’agit de regrouper les élèves en difficulté dans une même classe où ils recevraient un enseignement renforcé. Il n’a pas manqué jusqu’ici de classes spéciales pour élèves en difficulté et, toujours, dans ces filières spécifiques (CPPN ou classes pré-professionnelles de niveau, classes technologiques, etc.) la caractéristique de l’enseignement fut d’être moins exigeant, d’où il suivait que les élèves y progressaient moins que s’ils étaient restés dans une classe ordinaire. On peut faire le pari que, dans les CP+ proposés par LR, l’effet filière l’emporterait sur l’effet renforcement.

Préapprentissage et passéisme

La troisième politique est le préapprentissage dès la troisième. Cette politique avait été développée par le ministre Gilles de Robien, puis supprimée au début de la présidence de Nicolas Sarkozy. Que l’on mette à part certains élèves qui nuisent de façon durable à l’apprentissage des autres, cela se conçoit. En revanche, la faiblesse scolaire ne peut être un motif d’exclusion : c’est à l’école de faire ce qu’il faut pour conserver les élèves et les mobiliser jusqu’à ce qu’ils aient les compétences minimales pour vivre et travailler dans cette société. C’est le sens du socle commun de connaissances et de compétences.

La troisième orientation dangereuse est le passéisme. Oui, l’école doit transmettre un héritage, mais celui qu’elle doit transmettre est celui qui est utile pour affronter l’avenir. Personne ne propose de transmettre l’héritage de la collaboration pétainiste, parce que cet héritage-là encombre plus qu’il n’aide. Transmettre un héritage suppose donc de choisir dans le passé de ce pays et dans les connaissances acquises par l’humanité ce qui paraît le plus bénéfique pour la suite. Cela suppose qu’on ait une certaine idée de l’avenir et de la façon dont l’école doit y préparer. Encore une fois, des divergences à cet égard entre gauche et droite seraient légitimes, mais qu’un programme pour l’école ne comporte pas la moindre mention de cet avenir, ne recèle pas la moindre trace d’un certain enthousiasme à le préparer, cela est très étrange.

Denis Meuret
Professeur émérite en sciences de l’éducation, membre honoraire de l’Institut universitaire de France (2008-2013).

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