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Sous les projecteurs : L’éducation prioritaire, une politique féconde pour le système éducatif

Collectif Langevin-Wallon, éditions du Croquant, 2025

Tout, tout, vous saurez tout sur l’éducation prioritaire ! On aimerait que tous les acteurs du système éducatif, en particulier ceux qui ont des responsabilités institutionnelles, se plongent dans la lecture de cet épais ouvrage de près de 800 pages qui constitue une somme impressionnante de savoirs et d’analyses sur ce qui reste un élément marquant de la politique éducative française depuis près de cinquante ans.

On y trouve bien sûr un historique très documenté, avec les différentes phases et rebondissements, depuis la naissance sur le terrain à Gennevilliers et au sommet avec le (grand) ministère Savary jusqu’à l’appauvrissement de la notion, réduite bien souvent à un octroi de moyens pour dédoubler les petites classes. Et en passant par ces moments difficiles, où l’abandon parait tout proche (pensons aux déclarations de décès sous Sarkozy), mais où, tel un phénix, la renaissance peut venir, avec par exemple la refondation de 2012. Notons que les Cahiers pédagogiques ont toujours accompagné ce dispositif, dès 1982 (avec le dossier « Elles vivent les ZEP ! ») et encore aujourd’hui.

En tant que rédacteur de cette recension, il me parait honnête de signaler que j’ai une proximité avec les auteurs, faisant partie avec deux d’entre eux du conseil scientifique de l’OZP (Observatoire des zones prioritaires), mais je crois vraiment que les éloges que je puis faire de cet ouvrage ne sont pas usurpés.

Cela d’ailleurs n’empêche pas de petites critiques parfois, sur des côtés redondants, un nombre peut-être excessif de notes (on comprend le souci de sourcer au maximum, mais les liens hypertextes mentionnés auraient gagné à être des « liens courts » plus accessibles). Cela n’empêche pas non plus les interrogations sur certains points qu’on aurait tendance à nuancer davantage (par exemple, le rejet un peu radical des apports possibles des neurosciences, ou le jugement négatif sur l’idée de décentralisation).

Mais comment ne pas saluer l’immense travail effectué avec rigueur, lequel s’appuie tout autant sur des archives que sur la connaissance du terrain des auteurs ? Et comment ne pas louer le souci de ne jamais oublier la pédagogie et de ne surtout pas en rester aux questions structurelles ? J’apprécie notamment cette mise en avant de la conjugaison nécessaire de bienveillance et d’exigence qui me semble essentielle dans les pratiques, ainsi que la centration sur le travail réel des élèves et sur leurs apprentissages.

De nombreux titres de chapitres sont formulés sous forme de questions, questions qui se posent aux acteurs, mais sont souvent soit occultées, soit traitées de manière simpliste. Ainsi, « pourquoi le projet vaut-il mieux que le contrat ? », « quelles finalités la découverte des métiers et des formations sert-elle ? », « pourquoi le travail personnel de l’élève, dans et hors la classe, est-il une question majeure en éducation prioritaire ? » ou encore « de quoi l’innovation pédagogique est-elle l’expression ? ». Sans oublier celle qui constitue un peu le fil directeur du livre : « Pourquoi la question sociale doit-elle constituer une préoccupation professionnelle constante de tous les personnels ? »

On le voit, même s’il a pour cible l’éducation prioritaire, ce livre aborde des thématiques qui vont bien au-delà.

Jean-Michel Zakhartchouk

Questions aux auteurs, Fabienne Fédérini, Marc Bablet, Michèle Coulon

Membres du collectif Langevin-Wallon
Marc Bablet, Michèle Coulon, Fabienne Fédérini. ©DR.

Marc Bablet, Michèle Coulon, Fabienne Fédérini. ©DR.

 

Pourquoi ce livre est-il signé collectivement et anonymement, alors que vous auriez pu faire état de votre expertise et de la légitimité à publier cette somme impressionnante ?

Tous les trois, nous avons travaillé ensemble au ministère, au bureau de l’éducation prioritaire, et nous avons voulu garder cette dimension collective et coopérative. De plus, nous voulions nous appuyer sur le travail des chercheurs, des formateurs et des équipes des réseaux, marquer le fait que nous ne sommes pas dans une logique individuelle, mais que nous nous inscrivons dans une communauté vaste et riche d’expériences.

Par ailleurs, en choisissant le patronage de Langevin-Wallon, nous nous situons dans la perspective historique du Conseil national de la Résistance, à un moment où on attaque frontalement ses acquis. Pour ces deux chercheurs, la démocratisation de l’école consistait en une élévation générale du niveau culturel pour toute la population, et non en une sélection des « meilleurs ».

Après bientôt cinquante ans d’éducation prioritaire, qu’est-ce qui justifie sa perpétuation ?

Cette politique met au premier plan la question sociale. Toutes les études montrent combien la position sociale joue un rôle décisif dans la réussite scolaire. On évoque beaucoup la mixité sociale, et c’est bien sûr une bonne chose, mais elle ne peut suffire à effacer la ségrégation scolaire. Ce que nous cherchons, c’est l’égalité des réussites qui peut se construire malgré les inégalités sociales de départ. Il y a, comme le dit Bernard Lahire, des enfants qui vivent le même moment dans la même société, mais pas dans le même monde.

La politique d’éducation prioritaire, parfois très peu soutenue par l’institution, a néanmoins pu œuvrer dans le sens de l’égalité, quand on ne la réduit pas à des classes de douze élèves.

La Cour des comptes, dans son rapport de 2018, reconnait que cette politique est la seule qui cherche vraiment à compenser les inégalités sociales. Elle ne devrait pas être la seule ! Tant qu’on n’aura pas fait disparaitre la ségrégation sociale au sein des écoles et des collèges, on aura besoin de l’éducation prioritaire. Ce qui ne doit pas conduire à l’élargissement de la carte et, par là même, à la dilution des moyens. L’éducation prioritaire comme politique spécifique doit pouvoir être inspirante pour le système éducatif dans son ensemble.

Vous vous référez à de nombreux travaux de recherche, qu’est-ce qui en fait l’unité ?

Nous avons eu à cœur de repérer ce qui pourrait être pertinent sur la réussite scolaire des élèves de milieux populaires, que ce soit en sociologie, en psychologie sociale, en sciences de l’éducation, etc. Cette diversité est nécessaire pour traiter de la complexité. Sans oublier la question essentielle de la pédagogie.

Tout cela a alimenté notre réflexion et notre souci de montrer les liens entre ces diverses approches. Nous nous appuyons aussi sur l’expérience de l’OZP (Observatoire des zones prioritaires) dont nous faisons partie, qui a accumulé un savoir et des données considérables depuis des années.

Souvent par souci de communication politique, les pouvoirs publics ont tendance à saucissonner les questions quand la réponse doit être globale et systémique. Par exemple, il faut penser en même temps la formation des enseignants et l’observation des élèves au travail. C’est cette logique qui a abouti à la rédaction du référentiel de l’éducation prioritaire.

Vous semblez rejeter l’apport des neurosciences. N’y en a-t-il pas qui peuvent enrichir les pratiques ?

Celles-ci ne peuvent ni ne doivent dicter les pratiques. Ce sont des sciences d’observation de ce qui se passe en laboratoire, il n’est pas sûr que cela nous dise grand-chose sur la mise en œuvre pratique de l’enseignement. Les travaux de psychologues du langage, comme Lev Vygotsky, nous semblent beaucoup plus féconds. Mais le plus préoccupant sans doute est que la question sociale est ainsi évacuée.

Il en est de même lorsque l’on réduit l’enseignement dit explicite à l’instruction directe à la québécoise. Il est nécessaire d’expliciter ce qu’on fait avec les élèves, ce qu’on leur apprend, nécessaire de « dévoiler le dessous des cartes » en quelque sorte, mais il ne peut être question de méthode unique et de séances standardisées.

Face à ces diktats, il nous faut mettre en avant le pouvoir d’agir des enseignants, ce qui demande du professionnalisme et donc de la formation pour l’acquérir.

Finalement, qu’est-ce qui peut donner espoir à travers l’avenir de l’éducation prioritaire ?

On entend beaucoup dire qu’il y a une crise de l’école. Non, c’est surtout la société qui est en crise et l’école en est une victime. Mais celle-ci reste une institution solide avec la loi qui rappelle que tous peuvent apprendre, que tous ont la capacité de progresser. La loi, c’est la protection des plus vulnérables. Restons sur ces bases-là et ayons confiance dans la solidité de l’école et de ses collectifs professionnels. Il faut défendre notre culture commune, la liberté pédagogique, et notre volonté d’émancipation de nos élèves.

 


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Couverture du numéro 600, « 4 pistes pour l’école du futur »