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Prof-documentaliste : portrait en traits et en déliés

Protéiforme, le métier de professeur-documentaliste tient une place à part dans notre système éducatif, parfois mal connue ou peu reconnue. La réforme du collège vient ajouter aux points d’interrogation pour une profession dont les initiatives croisent l’éducation aux médias, à l’orientation et l’ouverture culturelle. Rencontre avec une prof-doc qui croque en dessins ses doutes et ses découvertes, ses interrogations sur son métier.

Doctoctoc, c’est ainsi qu’elle se nomme sur son blog et son compte Twitter et ne comptez pas sur elle pour quitter son anonymat le temps d’un témoignage. Sa liberté, elle y tient, celle d’exprimer dans ses billets dessinés ce qu’elle ressent au quotidien, sans se censurer, sans craindre que ce qu’elle publie soit mal perçu, mal interprété par ses collègues ou son chef d’établissement. Et puis dit-elle, « je suis quelqu’un de timide, d’effacé », alors de là à s’exposer !

Son envie de traduire son métier en dessins est née de la fréquentation du blog « Gribouilles de docs ». Gribouilleuse elle-même, elle a vu là un moyen de prendre du recul sur les tracas quotidiens, d’en rire et de les partager. « J’aime bien l’idée. Cela m’apporte une distance. On prend à cœur des situations que l’on vit. Le fait de les raconter les rend drôles ». Sur son blog, on lit la surprise ou la lassitude face aux incompréhensions, les fous-rires contenus quand l’esprit s’évade lors d’une séance répétitive et le besoin d’écrire après le 13 novembre. Ses dessins et ses textes, elle les partage avant tout avec ses collègues professeurs-documentalistes qui de temps à autres glissent un commentaire, un encouragement.

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Premier collège

Son métier, elle l’exerce depuis dix-sept ans. Dans son premier établissement, un petit collège rural, elle a mesuré l’importance de l’ouverture culturelle pour susciter des étonnements, des réflexions différentes chez des élèves qui se côtoyaient depuis l’école primaire. Elle choisit de favoriser l’émulation par la participation à des concours d’écriture comme « Étonnants voyageurs » ou « Je bouquine », par le théâtre aussi.

Dans le collège se trouve une galerie d’art où sa formation en histoire de l’art rencontre un écho. Elle l’anime, invite les élèves de cours moyen dans le cadre de la liaison avec la 6e et se régale avec un public dont les réactions pertinentes donnent envie d’aller plus loin. « On fait un peu tout dans un établissement comme celui là. Les enseignants sont souvent sur des postes partagés, les équipes sont peu stables alors on a intérêt à bien s’entendre avec les gens en place pour pérenniser les projets ». Depuis quatre ans, elle travaille dans un collège plus grand, de plus de quatre cents élèves. Elle y découvre le dispositif ULIS, destiné à l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap. Et se lance dans l’aventure Twitter.

Elle commence par la mise en œuvre d’une correspondance avec un IME (Institut médico-éducatif). Les échanges sont prometteurs mais restent limités dans le récit des activités au quotidien. Elle inscrit la classe au concours de twit’haïkus dans le cadre du Printemps des poètes pour aller plus loin dans l’écriture.

Saviez-vous que ?

Elle découvre ensuite le travail de Sophie Bocquet, également professeure-documentaliste, réalisé avec une classe de quatrième. Avec des tweets commençant par « Saviez-vous que », les élèves partagent ce qu’ils ont appris. Elle se greffe au projet qui s’enrichit avec des mini défis pour résoudre des énigmes ou des problèmes. « Les élèves sont motivés, ils sont en situation de recherche. C’est un moyen de partage de connaissances pour eux qui ne sont pas dans l’écriture longue. La contrainte des 140 caractères est pour eux un atout. »

Elle participe au projet pour la troisième année et son enthousiasme ne s’émousse pas. Elle voit les progrès des élèves, à l’oral comme à l’écrit, dans le comportement en classe comme pour le maniement du clavier, souligne la valorisation née du partage, le soin apporté à l’identité numérique. « C’est très gratifiant pour nous et pour eux. » Elle apprécie aussi le travail mené en complicité avec l’enseignante spécialisée basé sur une confiance pédagogique réciproque. Les interventions sont programmées le vendredi mais peuvent déborder un autre jour lorsqu’une initiative ou un événement comme celui des attentats réclament plus de temps.

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Chaque année, les premières séances passent par la réactualisation de la charte où les nouveaux arrivants apportent leur touche après que les plus anciens ont pris le soin d’en expliquer le fonctionnement. Elle aimerait que l’initiative se développe dans toutes les classes et notamment dans celles de quatrième, que la question de l’identité numérique, de la maîtrise des usages soit apprivoisée lors de séances spécifiques. Elle patiente, se dit que cela arrivera par un biais, pourquoi pas lors d’une journée consacrée à la citoyenneté et à la santé où le harcèlement serait évoqué. « J’aimerais proposer un atelier plus large qui va au-delà du problème de harcèlement car on parle presque toujours des réseaux sociaux d’un point de vue négatif ».

Inquiétudes

Elle recherche des ponts, des collaborations, comme elle le fait auprès de demi-groupe de classes de sixième en parallèle avec l’enseignant de français. « Nous avons une progression tout au long de l’année, avec une séance tous les quinze jours.  » Elle profite pleinement de ce temps accordé, inquiète de ce qu’il adviendra avec la mise en œuvre de la réforme des collèges. « On ne pourra pas dépasser les 26 h d’enseignement hebdomadaire avec les heures d’accompagnement personnalisé et les enseignements pratiques interdisciplinaires inclus. Si on poursuit les dédoublements, mes heures se rajouteront à l’emploi du temps des élèves. »

Dans les établissements alentour, des solutions ont été trouvées, mais pas dans le sien. Les adaptations locales soulignent le flou autour du métier des professeurs documentalistes et de la prise en compte de leurs missions d’enseignement. Le décret du 20 aout 2014 définissant les obligations des enseignants indique un service hebdomadaire de 36 heures dont six heures consacrées aux relations avec l’extérieur. Les 30 heures restant « peuvent comprendre, avec leur accord, des heures d’enseignement telles que définies au 1 du B du I de la présente circulaire. Chacune d’elle est alors décomptée pour la valeur de 2 heures. Les intéressés ne peuvent bénéficier d’heures supplémentaires. » Pas plus de précisions et plutôt une hésitation soumise à interprétations : enseigner ou animer le CDI, faudrait-il choisir ?

« Je veux pouvoir enseigner. On en arrive à une contradiction incroyable entre la reconnaissance de nos missions d’enseignants et la difficulté d’enseigner. » Elle aime pourtant aussi lancer des projets depuis le CDI comme ces consultations poétiques exercées par des élèves de cinquième où en guise de prescriptions, ce sont des poèmes qu’ils conseillent. Elle apprécie de « voir les élèves utiliser avec plaisir les ressources sans contrainte scolaire ou les regarder se caler confortablement dans un fauteuil pour lire une BD ».

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Doctotoc exerce toujours avec plaisir son métier, « un métier tellement divers ». « Après dix-sept ans, je ne peux pas dire que j’en ai fait le tour. On s’intéresse à tellement de choses : l’éducation aux médias et à l’information, la littérature jeunesse… Le métier évolue et soi-même on évolue aussi avec un parcours qui nous est propre. » Et c’est cette diversité qui lui semble essentielle. Elle lui permet aujourd’hui de rencontrer les élèves dans des moments différents, de s’enrichir des projets partagés avec ses collègues et d’enseigner de façon ouverte. Alors, lorsque la crainte de perdre cette richesse synonyme d’apprentissages au quotidien se fait jour, elle prend ses crayons pour prendre de la distance.

Monique Royer

Le blog de doctoctoc

Gribouilles de doc