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Créer un média éphémère en EMC

L’auteure a créé un atelier média éphémère au sein de ses cours d’EMC, pour développer les compétences civiques de ses élèves et leur permettre de s’orienter dans le panorama de la politique française. Ils ont aussi pu travailler sur le niveau de langue et différents médias pour en comprendre les enjeux.

Nos élèves vivent sous un flot constant d’informations. Surinformés mais un peu perdus, je les vois, les entends, depuis deux ans que l’actualité semble s’accélérer sous nos yeux, me demander d’expliquer. Le 9 janvier 2015, mes terminales lisaient les notifications du Monde en même temps que nous discutions des évènements. Le 16 novembre 2016, ils me montraient ce qui circulait sur leur fil Facebook ou Twitter, pour que nous démêlions le vrai du faux. Le 8 novembre 2016, ils attendaient que j’analyse pour eux les enjeux de l’élection de Trump.

Les enjeux de la société de l’information sont au cœur de nos échanges avec les élèves sur le monde de demain. Je ressortais toujours insatisfaite de mes propositions pédagogiques, ayant le sentiment de ne pas permettre aux élèves de saisir l’ensemble du sujet et ses implications économiques, politiques, sociétales. Est alors née l’idée, après les rencontres d’été du CRAP, de mettre les élèves en situation de production de l’information, sur un enjeu qui allait occuper l’année scolaire 2016-2017 : les élections présidentielles en France. L’idée était de créer un média éphémère dont les élèves seraient les journalistes, publiant régulièrement de novembre à juin. Pas besoin ici d’introduire des péripéties dans la simulation, l’actualité saurait s’en charger (et sur ce point, l’actualité a dépassé toutes mes attentes !).

Dans cette optique, je pouvais ainsi utiliser l’heure hebdomadaire d’enseignement moral et civique pour monter un atelier média à l’échelle de ma classe, et traiter dans le même temps le programme d’EMC (enseignement moral et civique) de 1re, articulé autour de l’exercice de la citoyenneté dans la République française et l’Union européenne et les enjeux moraux et civiques de la société de l’information. Cet atelier média me permet aussi de développer des compétences transdisciplinaires autour de l’argumentation, de l’esprit critique et des compétences numériques. Il a enfin une dimension fondamentalement coopérative : les élèves doivent travailler ensemble, dans la même direction, se soutenir et s’entraider si l’on veut que le média soit de qualité et publié de façon régulière.

J’ai proposé le dispositif à ma classe de 1re AbiBac (vingt-deux élèves) à la rentrée et ils ont tout de suite été partants. Le premier temps de l’atelier a consisté, entre fin septembre et début novembre, à cartographier le paysage politique et médiatique français, afin de poser un cadre de travail. Nous avons aussi rencontré Alexandre Chassignon, journaliste à France Bleu Maine, qui est venu échanger avec les élèves sur le métier de journaliste et l’éthique journalistique, en particulier la question de la hiérarchisation de l’information face à des élèves très critiques sur la profession.

Un journal impartial et engagé

Après ce travail d’analyse préalable, nous avons défini les contours de notre média. Quelle philosophie et quelle structure souhaitions-nous lui donner ? Les élèves ont été invités à formuler leurs souhaits sur trois Post-it différents, complétant les débuts des phrases suivantes : « Je veux un média qui… », « je ne veux pas d’un média qui… », « un média doit-il ou peut-il… ? » Cette séance a été très riche de questionnements, en particulier sur la question de l’objectivité journalistique : l’information peut-elle être transmise de façon neutre ? Opposés mais en même temps attirés par les appeaux à clics que sont les sites comme BuzzFeed, les élèves souhaitaient un média impartial, mais en même temps un média engagé. Nous avons ainsi pu différencier les notions d’objectivité et d’honnêteté en journalisme et définir la ligne éditoriale de notre média, résumée par notre slogan « penser, comprendre, s’engager » et par notre nom, le JournAlternatif. Il s’agit de produire de l’information claire mais pas simplifiée à destination de jeunes lycéens comme eux. Les élèves sont toutefois très conscients que libérés de la notion d’être « rentables », ils sont dans une situation bien différente de la majorité des journalistes aujourd’hui.

Il a aussi été question de l’organisation du travail dans l’atelier. L’analyse du paysage médiatique français a conduit les élèves à faire évoluer le dispositif initial, qui prévoyait trois médias (papier, télé et web) pour aller vers la production d’un seul média, dans lequel évoluent quatre pôles (écrit, audiovisuel, web et graphique). Ils ont aussi souligné la nécessité d’un community manager pour exister sur les réseaux sociaux. Ils ont en outre exprimé le souhait de pouvoir travailler en binôme, voire en trinôme sur des sujets complexes comme le populisme, la victoire de François Fillon aux primaires de la droite et du centre ou les programmes des candidats en politique étrangère. Chaque pôle a enfin un responsable chargé de veiller au calendrier, afin que les articles soient relus, prêts à temps et qu’il n’y ait pas de doublons.

De la recherche d’information à la rédaction d’articles

Une fois la structure et la philosophie posée, le calendrier s’est assez naturellement mis en place à partir de la mi-novembre. L’atelier est organisé en période de six à sept semaines à l’issue de laquelle les articles sont publiés. Chaque période s’ouvre par une conférence de rédaction générale où sont émises des idées de sujet, dont s’emparent un ou plusieurs élèves. S’ensuit une phase de documentation. C’est lors de cette phase que naissent les questions relatives au travail journalistique : « quelle information chercher ? où ? comment la valider ? » J’ai fait le choix de ne pas faire de cours ou même de fiche d’activité sur ces aspects, mais de répondre à la demande des élèves dans une démarche inductive. Ils ont cependant un site1qui propose des ressources et démarches. Lorsqu’une question revient plusieurs fois, telle que « comment savoir si ce site est fiable ? », nous faisons alors un point d’étape, à l’aide d’outils tels que la chaine YouTube Hygiène Mentale, qui permet d’aborder très facilement et rapidement la question des sources de l’information et de la vérité. Les élèves ont ainsi pris l’habitude, tels des journalistes professionnels, d’aller lire en détail les programmes des candidats ou de regarder les débats télévisés pour pouvoir produire une analyse personnelle. Ils ont aussi découvert de nouveaux moteurs de recherche comme Qwant, Ecosia, afin de changer de lunettes dans la recherche d’informations.

Le travail approfondi sur un sujet permet aux élèves de traiter à la fois des enjeux de fond tels que la question des valeurs de la République, du travail, des discriminations, de la guerre en Syrie, mais aussi des enjeux philosophiques et éthiques : « Ai-je différents points de vue sur cette question ? Suis-je dans l’information ou dans le commentaire ? Suis-je partial ? » Pour débattre de ces questions, les élèves ont demandé à organiser une conférence de rédaction de mi-période, pour que chacun puisse présenter ses angles et qu’ils puissent être discutés, sur le fond mais aussi sur la forme.

Mettre en forme l’information

La question de la forme est en effet vite apparue comme une question centrale aux élèves. Comment rendre compte ? La multiplication des canaux de transmission de l’information (vidéo, audio, infographie, texte, etc.) implique pour chaque groupe de réfléchir à la cohérence entre le sujet de l’article et sa formalisation. C’est aussi le rôle du pôle graphique de se former sur les différentes techniques, afin de pouvoir apporter son savoir-faire aux autres. Ainsi un article sur les primaires de la Belle Alliance Populaire s’est vu partiellement transformé en infographie, une analyse sur les populismes a été conduite à travers un débat radiophonique. À travers cette question se pose aussi celle de l’audience. Si les élèves ne sont pas soumis à l’obligation de rentabilité, le fait même d’être publié pose la question d’être lu. Nombreux sont les débats sur la langue : le niveau de langue, le choix des mots, celui du titre, accrocheur mais pas trop.

être acteur de la société de l’information

Cet atelier ne se limite pas aux murs de la classe. En février 2017, nous visitons l’AFP (Agence France Presse) et l’hôtel Matignon pour concrétiser tout à la fois le travail des journalistes et celui des institutions politiques. D’autre part, la présentation en poster du projet à la conférence nationale EMI (éducation aux médias et à l’information) à Lyon et un court reportage consacré au Journalternatif sur Radio France a permis que des contacts se nouent à la fois avec des collégiens rennais qui produisent un mensuel papier et avec la protection judiciaire de la jeunesse pour coécrire des articles.

Si beaucoup de points restent à aborder (les fake news, l’ère de la postvérité, l’économie des médias, etc.), cet atelier a à mes yeux un mérite : celui de mettre les élèves en position de faire sur un sujet hautement inflammable, et donc de susciter chez eux questions, débats et réflexions sur leur place en tant qu’acteurs et non seulement consommateurs de cette société de l’information. Ils ne s’y trompent pas d’ailleurs, demandant à chaque heure de cours : « On fait atelier madame ? »

Anne Pédron
professeure d’histoire-géographie à Nantes (Loire-Atlantique)

Notes
  1. 24hdansuneredaction.co