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Une formation idéale à l’EMI ?

L’auteure, elle-même formatrice, imagine les conditions idéales d’une formation continue à l’EMI qui tiendrait compte autant de la recherche que des savoirs et des préconceptions des stagiaires, en accompagnant plus qu’en professant.

En situation de formation, on oppose souvent le terrain à la théorie. L’une serait l’expertise ancrée dans la pratique, l’autre serait abstraction idéalisée. Il peut même arriver que l’on soupçonne le formateur, s’il s’appesantit trop sur un savoir issu de la recherche, de trahir cette appartenance au corps de ceux qui enseignent et affrontent au quotidien les difficultés de la classe.

Mon propos n’est pas d’opposer théorie et pratique, car l’expérience réelle de terrain informe le chercheur ; de l’observation naitra un questionnement et de là des hypothèses validées ou non par un protocole de recherche. Mon propos est de tenter de dépasser ce clivage pour voir comment une articulation entre théorie et pratique peut construire la formation en éducation aux médias et à l’information. Comment un stage de formation continue peut-il accompagner des évolutions vers des pratiques différentes et plus pertinentes ?

Transformer

On part d’une matière première, préexistante. En formation continue, le point de départ, est ce que les enseignants savent, croient et font. À partir de là, on développe des connaissances, des habitudes, des manières ou des qualités. Qu’est-ce qui compose cette matière première à façonner en formation continue ? Deux éléments : ce qui est issu de la formation initiale et les souvenirs personnels d’ancien élève.

Or, la formation initiale des enseignants est encore largement disciplinaire. Il est vraisemblable que cette formation initiale n’ait apporté que peu de savoirs théoriques dans le domaine de l’éducation aux médias. La matière du savoir à façonner n’est donc pas épaisse. Restent les souvenirs personnels. Sans doute sont-ils plus nombreux, composés au gré de semaines de la presse ou d’études de journaux télévisés d’antan. Mais ce que les enseignants vont pouvoir bâtir avec ces souvenirs, ce qu’ils croiront et feront, sera figé dans le temps, d’autant que les souvenirs édulcorent et amènent à un immobilisme rassurant. L’habitude fait loi et l’on reproduit ce que l’on connait, alors que tout bouge à l’extérieur. Dès lors, beaucoup d’enseignants viennent en formation avec l’idée qu’ils ne savent rien, que leurs pratiques sont obsolètes et qu’ils ont tout à apprendre. La tâche leur apparait insurmontable, et ils sont découragés avant même de commencer. Qui plus est, une formation n’est pas un apprentissage, et si l’on admet l’idée que les enseignants ne savent rien, aucun temps de formation, aussi long soit-il, ne saurait suffire.

Pour qu’une formation en éducation aux médias et à l’information soit efficace, il faut un premier temps de dialogue, voire de négociation, avec ceux qui vont s’investir dans cette formation. Il faut que le formateur ait le temps de recueillir cette matière première qu’il devra transformer, mais aussi qu’il arrive à rassurer. La première étape d’une formation est donc d’affirmer que si le monde a changé et si les médias d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier, ce n’est pas pour autant que ce que savent, croient et font les enseignants est inexistant. L’éducation aux médias et à l’information est une lecture critique des médias, une compréhension économique, sociétale, technique et éthique des médias et phénomènes informationnels et le développement d’une compétence de recherche et de sélection de l’information. Ces compétences, les enseignants les ont. C’est même leur cœur de métier. Il ne s’agit donc pas pour moi, dans une formation, de tirer un trait sur le passé, mais de prendre appui sur ce passé pour aller vers le présent.

Informer

Toute formation suppose nécessairement une part d’informations, même si cela ne saurait suffire. Un formateur n’est pas un simple informateur et je ne connais aucun formateur qui ne donnerait que des textes officiels, ou une longue litanie de sites à consulter, de vidéos à regarder. Ceci est d’autant plus vrai qu’avec le numérique, et en particulier la plateforme Magistère, il est aisé de regrouper toutes ces informations utiles. Il existe également des MOOC qui proposent une mise à disposition de références indispensables.

Quelles sont-elles ? Quelques articles universitaires, plus ou moins complexes ; des ouvrages universitaires également ; les sites ministériels en lien avec le sujet, que ce soit Éduscol et son portail consacré à l’éducation aux médias ou les Édubases, par exemple ; ou encore les actes de colloques. Mais pour la plupart, ces ressources utiles sont des outils clés en main, des sortes de fiches recettes réinvestissables directement sur le terrain. Il n’existe pas vraiment de manuels pour l’éducation aux médias, mais le Clemi (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information)

propose de nombreuses ressources dites d’accompagnement. Leur intérêt est à la fois d’énoncer les programmes (informations) et d’en montrer la faisabilité (avec des illustrations précises). Ces fiches outils sont bien souvent réalisées par des enseignants et sont le reflet de pratiques de terrain. Sans être perçue comme théoriques, elles modélisent une pratique afin de la rendre reproductible et généralisable. Le deuxième temps de la formation est donc un temps d’information sur ce qu’est l’éducation aux médias et à l’information, sur les ressources à la disposition des enseignants.

Se former

Former, c’est produire. La formation inclut l’idée de l’action, du faire. Il faut amener les enseignants à créer leurs propres ressources, et donc les mettre en situation. Se former à l’éducation aux médias et à l’information, c’est devenir soi-même une source d’information et, pour cela, publier. Le web 3.0, pour ne pas parler du web 4.01, se caractérise par la simplicité technique avec laquelle on peut mettre du contenu en ligne.

Et, parce qu’une formation demande de la création, avec son lot de tâtonnements et d’erreurs, il faut du temps pour cela. Pour moi, une formation de qualité en EMI propose aux enseignants de les accompagner non seulement dans la création de la ressource, à savoir l’activité ou la séquence qu’ils souhaitent mettre en place avec leurs élèves, mais également dans la réalisation concrète.

L’accompagnement à la création peut se faire à distance, le numérique permet d’échanger des ressources, de les commenter, voire de les coconstruire collaborativement en synchrone ou asynchrone. La plateforme Magistère permet ainsi l’échange de ressources entre pairs, mais il est possible également de créer un réseau Viaéduc, plus ou moins ouvert à d’autres, pour que la production soit active, riche. Publier sur un réseau social professionnel pour échanger avec des pairs sur un projet de séquence, c’est découvrir les codes d’un réseau social, et c’est donc en publiant qu’on va se former à publier.

Être accompagné

Il y a aussi nécessité de bénéficier d’un accompagnement sur le terrain. C’est assurément le rôle du formateur, qui ne doit pas se contenter d’intervenir dans une salle où sont réunies toutes les personnes à former ; c’est au sein des classes, dans la réalisation pratique de la ressource, que doit se faire la formation pour lever l’un des freins principaux à l’éducation aux médias et à l’information : la non-maitrise, ou du moins la maitrise insuffisante, des médias et réseaux sociaux, et plus généralement de l’univers numérique. Car s’il est certain que publier est techniquement aisé, certains enseignants ont une appréhension à se lancer. C’est même l’un des freins principaux à l’éducation aux médias et à l’information. Et c’est pourquoi je ne crois pas que faire porter sur une seule personne l’accompagnement d’une formation soit satisfaisant. Le formateur académique ne peut être présent au quotidien, et les questions, les difficultés que l’on peut rencontrer, c’est au sein de sa pratique de classe qu’elles se font jour. La politique volontariste de l’académie de Bordeaux me semble particulièrement intéressante, car elle prend appui sur un accompagnement de proximité des enseignants, avec la présence de deux professeurs référents « éducation aux médias et à l’information » par établissement, parmi lesquels on compte le professeur documentaliste.

Ce troisième temps est sans doute le plus long, et celui qui demande le plus d’étayage, d’accompagnement. C’est ce qui fera la richesse de la formation, son succès aussi, et qui amènera un véritable changement des pratiques.

Constituer un groupe

Une formation, c’est un ensemble de personnes, et c’est le quatrième critère pour une formation réussie. Une formation doit développer le collaboratif, l’entraide. On ne se forme pas seul, on apprend des autres aussi. Certes, le numérique favorise ces échanges. Mais on apprend aussi en regardant faire et du retour sur ce que l’on a fait soi-même. Dans l‘idéal, c’est à l’échelle d’un établissement ou d’un bassin qu’une formation doit être menée. Un enseignant, aussi convaincu et volontariste soit-il, s’il reste seul à vouloir mener une éducation aux médias, risque fort de se décourager. La tâche est vaste : pour mémoire, l’éducation aux médias couvre des champs étendus, de la pratique citoyenne des médias jusqu’à la compréhension des médias, réseaux et phénomènes informationnels, en passant par le développement d’une compétence de recherche, de sélection et d’interprétation de l’information.

L’autre avantage de former à l’échelle d’un établissement ou d’un bassin, c’est que l’on va pouvoir s’ouvrir à nos collègues. Accueillons dans nos classes des chercheurs qui pourront, une fois les observations faites, proposer des hypothèses ; ouvrons nos portes à nos collègues pour qu’ils nous regardent travailler et qu’ils nous donnent leurs impressions, ressentis et conseils pour améliorer notre pratique ; ouvrons la porte de nos collègues, entre collègues de disciplines ou de degrés différents, pour découvrir d’autres chemins, d’autres pratiques. Oublions le modèle déductif que sous-tendent les ressources d’accompagnement clés en main, et construisons de manière inductive nos propres savoirs.

Ce groupe est donc celui que composent le formateur et les collègues en formation, mais également celui que composent l’enseignant et sa classe. Il ne peut y avoir de formation sans les élèves. C’est avec eux, au sein même de la classe, que la formation est la plus active et la plus opérationnelle. Il faut se faire confiance pour accepter d’être en formation, en transformation de pratique, devant des élèves. Accepter de se montrer non comme le professeur qui a réponse à tout, mais comme celui qui, avec l’ensemble du groupe s’engage dans une réflexion et une démarche de recherche. L’expérience me prouve que les élèves sont bienveillants et témoignent même de l’admiration à celui qui se met dans cette posture, dont ils connaissent la difficulté.

Delphine Barbirati
Responsable de formations, chargée d’ingénierie de formations, formatrice

Notes
  1. On pourra lire sur la question du web 3.0 et du web 4.0 de nombreux articles dont le dossier « le web 3.0 et le web 4.0 » de l’agence CSV : http://www.agence-csv.com/blog/faq/web-40.html