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Dans la peau d’un journaliste

« Il faut aider les élèves à y voir plus clair », a déclaré la ministre de l’Éducation à un journaliste d’un quotidien régional lors de la Semaine de la presse 2016. C’est avec cet objectif que ce projet d’éducation aux médias et à l’information autour de la réalisation d’un journal sur la pollution a été pensé.

L’enquête annuelle de l’institut OpinionWay de décembre 2015, mandaté par le Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof), indique que seulement 24 % des Français ont confiance dans les médias. Mais comment développer l’esprit critique sans engendrer une méfiance généralisée vis-à-vis de la presse ? Quelle part de responsabilité pourrions-nous endosser si nous jetions sur tous les médias la même suspicion et amenions alors nos élèves à se détourner des médias classiques pour se réfugier vers d’autres, moins recommandables, notamment en termes de validité de l’information ? Quel rôle pouvons-nous alors jouer à l’école ?

Tel est l’enjeu du module « Dans la peau d’un journaliste ». Il a pu être conçu et mené au sein d’une classe de CM1-CM2, mêlant acteurs pédagogiques (conseiller pédagogique, formateur TICE (technologie de l’information et de la communication pour l’enseignement), enseignant), professionnel du journalisme (chef d’agence d’un quotidien régional) et acteurs de terrain. Le tout, au travers des TUIC (techniques usuelles de la communication et de l’information).

Quelle meilleure façon de développer l’esprit critique et de faire prendre conscience de tous les enjeux d’une publication (véracité des informations, contrôle des contenus, intention de la publication, auteur du message, etc.) que d’inviter les élèves à être eux-mêmes rédacteurs ?

« Dans la peau d’un journaliste » est donc un projet pluridisciplinaire (français, sciences) d’éducation aux médias et à l’information autour d’une recherche documentaire sur la pollution (sujet induit par l’enseignante, au regard du contexte local), dans le cadre des nouveaux programmes d’éducation morale et civique.

Réaliser un vrai journal

L’aboutissement est la réalisation d’un vrai journal, en se calquant au plus près de ce que peut être un quotidien régional. Un travail autour des médias est réalisé en amont, permettant aux élèves de prendre conscience de la diversité des médias, de la nature des messages transmis, mais surtout d’identifier les sources, les auteurs, et d’évaluer la confiance à accorder aux différentes publications, qu’elles soient numériques, vidéos, papier ou audios. Le travail en partenariat avec un journaliste a permis de coller au plus près de la réalité.

L’inscription dans le volet « Éducation morale et civique » se fait au travers de quatre entrées dont la sensibilité, le droit et la règle, l’engagement et le jugement (penser par soi-même et avec les autres en développant les aptitudes à la réflexion critique).

Les compétences travaillées en français sont au cœur même de la démarche. Les volets « Comprendre et s’exprimer avec l’oral », « Lire » et « Écrire » sont pleinement investis depuis l’étude des différents médias, au travers de la recherche documentaire et des investigations faites par les élèves, jusqu’à la rédaction finale du journal.

Le sujet traité permet également de travailler en sciences et technologies : des connaissances sont acquises et mises en lien avec les questions de santé ; des informations pertinentes sont extraites de documents pour répondre à des questions ; un comportement éthique et responsable est poursuivi.

Quant au domaine numérique, il est pleinement représenté au travers de l’utilisation de différents outils, de la recherche documentaire sur internet, de la production numérique d’un document et enfin par un travail sur l’usage responsable d’internet.

« C’est quoi pour vous les médias ? »

Le premier objectif est d’explorer ce que recouvre le mot « média » afin de le définir.

Les représentations des élèves sont recueillies, et les médias les plus courants sont identifiés collectivement (presse écrite, télévision, radio, internet). Puis, des exemples de sujets sont distribués aux groupes d’élèves, afin qu’ils effectuent un tri en fonction des indices trouvés. Une catégorisation est réalisée, qui rend compte de la multiplicité des sujets médiatisés. La justification et l’argumentation s’appuient sur le choix des indices. C’est le premier exercice de l’esprit critique. Les élèves présentent leur classement, qui est discuté puis validé avec le groupe classe. L’enseignant organise les échanges.

« Que disent les médias ? »

On initie alors les élèves aux repérages des différents types de messages diffusés par les différents médias et on fait émerger quelques critères d’identification pour pouvoir les repérer et les classer.

En salle informatique, quatre types de documents sont proposés aux élèves, issus de la presse écrite, la radio, la télévision et internet. Pour chaque extrait, grâce à une grille de critères, les élèves réfléchissent au message qui est proposé, puis échangent afin de le présenter au groupe classe.

Le but de la tâche est de proposer ses hypothèses sur le type de texte, son sujet, l’émetteur (à partir d’une liste), le temps estimé pour produire ce message avant sa diffusion, le contrôle exercé sur la diffusion, le récepteur choisi, l’accès au message et les moyens techniques utilisés.

La mise en commun pour la validation des différentes grilles est réalisée collectivement. Les extraits les plus complexes sont présentés grâce au vidéoprojecteur, pour une négociation argumentée.

Que trouve-t-on dans un journal ?

Par observation de différents journaux, on reconstitue la maquette de certaines pages et les premiers repères sur les types d’articles présentés sont pris. La visualisation de plusieurs unes permet rapidement d’isoler les différents blocs. Une maquette de la une est alors arrêtée collectivement grâce aux différentes réalisations des groupes. Enfin, une approche de l’article principal est réalisée collectivement (surtitre, titre de l’article, image, légende par analyse du contenu). Ces échanges permettent un premier brassage du lexique dédié au journalisme.

On caractérise enfin les contenus et l’organisation de deux pages représentatives : une page « dossier » et une page « locale ». Ça y est, le journal est structuré !

Qu’est-ce qu’une interview ?

Il parait essentiel de travailler cet exercice qui sera utile, d’une part pour mieux connaitre le métier de journaliste à travers l’interview de l’un d’eux, mais aussi dans la perspective de recueillir des informations de spécialistes et experts du sujet qui seront développées dans les pages « dossier ».

L’objectif de cette phase est de dégager les caractéristiques d’une interview à partir de la lecture et de l’écoute de différents exemples. Cela permet d’identifier avec les élèves des éléments sur la forme (une introduction, une succession de questions-réponses) et sur le fond (types de questions : qui, quoi, comment, pourquoi, où, etc. ?). Le canevas d’une interview est élaboré.

Que voulons-nous apprendre lors de la venue du journaliste ? Différentes pistes sont proposées par les élèves : connaitre le métier de journaliste d’un quotidien (les spécificités du métier : recherche de la vérité, etc.), connaitre le déroulé d’une journée d’un chef d’agence, vérifier les critères définis lors de l’observation des pages du journal (émetteurs, récepteurs, types de messages, types d’articles) et, enfin, compléter le lexique.

C’est le jour J ! Le journaliste est invité pour répondre aux questions préparées par les élèves autour de la problématique « qu’est-ce que le métier de journaliste ? » Pour cet exercice, on peut contacter des personnes ressources disponibles dans la réserve citoyenne.

Un enregistreur permet de recueillir les propos pendant que des élèves sont désignés successivement pour prendre des notes. C’est à ce stade qu’ils commencent à se mettre en situation et entrent dans la peau d’un journaliste. Sur le tableau numérique interactif de la classe, une carte mentale est réalisée par l’enseignante, afin de mémoriser et d’organiser les réponses.

Le comité de rédaction dans la classe

« Quels sont les sujets que l’on pourrait traiter (sur le thème de la pollution) ? » C’est le moment de définir les angles des articles et interviews pour constituer un dossier. On organise la recherche et le travail rédactionnel. La classe est considérée comme une équipe de rédaction dont le rédacteur en chef est l’enseignant, garant de ce qui sera écrit. Celui-ci nomme les différents groupes de travail, pour une différenciation efficace en fonction des articles retenus. Les questions que le lecteur pourrait se poser sont rédigées par les élèves avec l’aide de l’enseignant.

Chaque élève du groupe participe aux recherches, mais des rôles différents peuvent être prévus : photographe, rédacteur principal, un secrétaire de rédaction pour la relecture, etc.

Comment faire une recherche documentaire ?

L’idée est d’éviter de noyer les élèves dans les méandres du web, parmi des millions de propositions. On mettra donc à disposition une sélection de sites à travers un portail comme Symbaloo1. Les élèves vont commencer par sélectionner les ressources qui correspondent à leur problématique, avant d’effectuer leur recherche. On pourra d’ailleurs introduire dans le portail un ou deux sites canulars traitant du même thème, mais avec des fausses informations flagrantes2.

Les objectifs sont doubles : choisir parmi les sites proposés ceux qui permettent de répondre à l’angle et commencer à rechercher des informations permettant de réaliser le dossier du journal.

La rédaction, enfin !

Dans cette dernière phase, on rédige les articles. Il est possible de revenir à la recherche documentaire pour des vérifications. Les outils de classe utilisés pour le travail de rédaction (guide de relecture, dictionnaire, répertoire, tutorat, etc.) sont mis en œuvre selon les habitudes.

Les articles sont ensuite déposés dans la maquette, que l’on aura mise à disposition des élèves. Se documenter, croiser les informations, rédiger son article, le saisir et faire en sorte qu’il puisse entrer dans le canevas défini représentent un travail conséquent, à la manière d’un journaliste. Quelques interventions de l’enseignant dans cette dernière phase, et le journal peut être mis sous presse !

Des prolongements et liens interdisciplinaires peuvent être effectués : travail de lecture et compréhension sur des écrits complexes ou travail méthodologique de prise de notes et de sélection d’informations. Le tri de sites peut être réalisé à travers l’élaboration d’une grille de lecture permettant d’évaluer la fiabilité des informations.

Carole Cortay
conseillère pédagogique de la circonscription de Saint-Gervais, Pays du Mont-Blanc (Haute-Savoie)
Christophe Gilger
référent numérique de la circonscription de Saint-Gervais, Pays du Mont-Blanc (Haute-Savoie)
Marie-Odile Raphaël
enseignante, maitre formateur en CM1-CM2 à l’école primaire du plateau d’Assy à Passy (Haute-Savoie)
POUR EN SAVOIR PLUS
résenté lors du Salon numérique des deux Savoie, mis en ligne sur le site Prim’TICE : http://www.primtice.education.fr/cycle3/francais/fiche-detaillee-du-scenario.html?sheetid=3278 ; ressources complètes sur le site TICE74 : http://www.ac-grenoble.fr/tice74/spip.php?article1196 ; relayé sur le portail numérique national Primàbord : http://eduscol.education.fr/primabord/deux-nouveaux-scenarios-de-l-academie-de

Notes
  1. http://www.symbaloo.com/embed/pollution4
  2. Une sélection ici : http://classetice.fr/spip.php?article383.