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La matrice EMI de l’académie de Toulouse
Présentation d’une « matrice pour l’éducation aux médias et à l’information (EMI) » réalisée par un groupe de travail de professeurs documentalistes ainsi que de la méthodologie de réflexion employée.
Depuis la loi de refondation de l’école, le ministère a affirmé avec force le rôle essentiel de l’EMI (éducation aux médias et à l’information) à travers plusieurs textes et mesures comme le plan numérique, le parcours citoyen ou la rénovation des programmes. Le groupe TraAM Documentation de Toulouse a travaillé sur un document de clarification et d’aide à la mise en œuvre de cette EMI.
Dispositif national, les TraAM (travaux académiques mutualisés) s’inscrivent dans une démarche de développement de l’usage du numérique et de leur intégration dans les disciplines. Ils sont pilotés et financés par le département des usages et de la valorisation des pratiques à la Direction du numérique pour l’éducation (DNE).
Les thèmes et les participants sont renouvelés chaque année. Pour l’année scolaire 2014-2015, le thème général en documentation était « Monter un projet collaboratif pour échanger sur la formation des élèves ».
L’idée principale est d’aborder l’EMI dans ses différentes facettes : l’information-documentation, l’éducation aux médias (d’actualité mais aussi du web 2.0), la culture numérique (manipulation des outils et leur compréhension technique) et les aspects citoyens et éthiques.
Le terme de matrice, emprunté notamment aux travaux de Pierre Fastrez et Thierry de Smedt1, s’est imposé pour répondre au besoin d’un document ouvert et évolutif. Bien plus qu’un programme ou curriculum, ce terme mathématique permet de croiser les entrées. Dans la matrice EMI, chaque objectif se décline à la fois par notions, niveaux et facettes.
Pour préciser le positionnement des professeurs documentalistes, il semblait nécessaire de clarifier une entrée infodocumentaire de l’EMI. Mais nous voulions offrir la possibilité de renverser le tableau pour zoomer sur une autre facette. Il est possible par exemple d’entrer par l’éducation aux médias, ou par le domaine social et éthique dans le cadre d’un cours d’EMC.
Enfin, nous tenions à ce que l’EMI ne soit pas vue à travers le seul prisme du numérique, mais interrogeant les transferts et les ruptures entre le monde de l’imprimé et le monde du web 2.0.
Celles des professeurs documentalistes
La matrice remet en cause une vision procédurale des compétences informationnelles. De nombreux collègues sont depuis longtemps sortis d’une méthodologie de recherche par étapes obligatoires, d’enseignement de bonnes pratiques qui, dans les faits, n’étaient que peu efficaces sur les pratiques informationnelles réelles des élèves. La matrice a permis de recenser ces nouvelles approches pédagogiques (projets de publication autour de l’identité numérique ou de la compréhension de l’environnement informationnel, etc.) qui trouvent aujourd’hui leur place dans un ensemble et des progressions.
Et celles des élèves
Voici des phrases dont nous ne voulons plus : « Il ne faut pas utiliser Wikipédia », « le copié-collé c’est interdit ». Désormais, il s’agit de prendre en compte les pratiques personnelles de nos élèves : les faire émerger, les accueillir, s’y appuyer pour verbaliser les actions, utiliser le bon vocabulaire, etc. Notre enseignement doit être réinvesti par les élèves dans leurs pratiques personnelles, ne pas rester limité à la tâche scolaire. En EMI, les enseignants sont confrontés à une grande hétérogénéité des pratiques. La matrice propose donc une posture d’observation des élèves pendant la séance pédagogique et décrit leurs attitudes en fonction de leur niveau d’acquisition des notions.
Nous avons dressé une liste de notions d’appui couvertes par le champ de l’EMI et les avons structurées en six objectifs (liés aux compétences du socle) : être auteur ; argumenter ; comprendre et s’approprier espaces informationnels et outils de recherche ; partager les informations de façon responsable ; comprendre, expérimenter le web et sa structuration ; assumer sa présence numérique.
Pour chaque notion, nous avons décrit ce que donneraient trois niveaux distincts de maitrise.
Un exemple avec la notion d’autorité : Nous choisissons de présenter la notion « autorité », centrale dans de nombreuses séances.
En information-documentation (première facette de la notion)
L’élève apprend à évaluer l’autorité d’un document en fonction de critères liés à : l’identification de l’auteur (d’un livre, d’un article de périodique, d’un texte en ligne) ; l’édition : publication papier, publication en ligne ; des critères de forme (type de texte, présence d’éléments publicitaires, utilisation d’un langage correct) ; des critères de fond (qualité de l’information apportée, de mise à jour, etc.).
L’élève apprend à évaluer l’autorité d’un document en fonction de critères liés à la connaissance et à la prise en compte : des différents types d’auteurs (personne morale, personne physique) ; de l’autorité de l’auteur ; de l’autorité de l’organisation éditoriale : éditeur, ministère, site de presse, etc. ; de critères de forme : type de document (diaporama, exposé oral, clip vidéo, infographie, article de presse, etc.) et notamment support utilisé pour la publication (site, blog, forum, Wiki, etc.), date de publication ; de l’autorité de l’interface de publication, interface ouverte (blog, article), interface fixe (site web), interface contributive (forum, Wiki).
L’élève sait reformuler la pensée d’un auteur, au besoin l’organiser, la compléter ou encore la citer en utilisant les guillemets. L’élève comprend que l’autorité d’un document peut être augmentée par une recommandation. Il sait lui-même recommander un document.
En éducation aux médias (deuxième facette de la notion) : produire des documents multiples (son, affiche, texte, diaporama, infographie, animation, oral, etc.) ; connaitre et différencier les supports de publication (papier, site, blog, forum, Wiki, réseau social, etc.) ; connaitre la chaine de production médiatique de chaque support ; connaitre le mode de financement des outils du web 2.0 (Wiki, Google, réseaux sociaux, etc.) ; savoir relier le traitement de l’information à son contexte de publication ; distinguer l’information du divertissement et de la publicité ; connaitre les atouts et limites de la liberté d’expression encadrée ; comprendre que les documents collaboratifs ne sont pas stables mais en perpétuelle mise à jour ; savoir lire un article de Wiki, notamment l’historique de sa rédaction.
En culture numérique (troisième facette de la notion) : utiliser des logiciels de traitement de texte, de PAO, de traitement de sons, qu’ils soient en ligne ou hors ligne ; connaitre les règles de base de la typographie ; connaitre la différence entre logiciel libre et logiciel propriétaire.
Pour les aspects citoyens et éthiques (quatrième facette de la notion) : savoir travailler en groupe pour des documents collaboratifs et collectifs (pad) ; expérimenter le travail de groupe et la notion de compétences distribuées (savoir fédérer, coopérer autour de projets) ; connaitre la différence entre le copyright et le droit d’auteur ; connaitre la définition du domaine public ; connaitre la propriété intellectuelle ; comprendre que libre ne veut pas toujours dire gratuit, et que gratuit ce n’est pas toujours libre.
Notre travail a été soumis à la critique des professeurs documentalistes de l’académie. Soutenue dans la politique documentaire académique et promue lors des formations, la première version de la matrice a pu être corrigée et complétée grâce à la dynamique collective. Un groupe de quinze professeurs documentalistes relecteurs a été interrogé selon une grille construite en équipe, pour les amener à formuler des critiques et des pistes d’évolution. Un travail de réécriture du document a été entrepris : simplification des formules, suppression du vocabulaire complexe, insertion d’un glossaire.
Des documents simplifiés de cette matrice ont été proposés, pour offrir une approche visuelle de la matrice en partant des compétences du socle et communiquer facilement avec les équipes dans nos établissements.
Le document s’adresse pour partie aux collègues du premier degré. Il explicite les objectifs de l’EMI pour le CM1, le CM2, mais aussi la 6e, et propose une vision de l’EMI adaptée au niveau des élèves de l’élémentaire. Il propose des exemples de séances2. Il est utilisable pour construire des progressions en EMI sur tout le cycle.
Un groupe élargi de professeurs documentaliste s’appuyant sur les nouveaux programmes de collège a rédigé collectivement le document « Matrice EMI et cycle 4 »3. Ce document a pour vocation de renforcer les notions d’EMI dans les champs disciplinaires, mais aussi à servir d’appui pour la mise en place d’EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) ou d’AP (accompagnement personnalisé) dans les collèges ou comme base de discussion pour proposer une entrée EMI dans le parcours citoyen de l’établissement.
Plusieurs collègues exerçant en lycée ont rédigé le document « Matrice et lycée ». Ce sont donc principalement l’EMC et les séances autour de l’AP et des TPE (travaux pratiques encadrés) qui ont servi de base à ce travail, vu comme un prolongement du cycle 4.
La rédaction de l’ensemble de ces documents a duré deux ans et s’est révélée un travail d’une immense richesse. En premier lieu, parce qu’il nous a obligés à travailler collectivement, à penser des structurations, à donner du sens à ce qui, jusque-là, restait non conscient ou mal défini, car non verbalisé. En second lieu, ce travail a permis la stabilisation d’un vocabulaire commun. En effet, une première approche de l’EMI et des transformations actuelles du monde amène souvent son lot de mots-valises, mots porteurs de sens multiples et très imprécis qui ne permettent pas de planifier un enseignement commun (qu’est-ce qu’internet, le web, le numérique, qu’est-ce que l’autorité d’un document, etc.?).
Aujourd’hui, nous bénéficions dans nos groupes de travail académiques d’une efficacité qui prend appui sur cette explicitation. Le vocabulaire de la matrice prend une place toute naturelle dans l’EPA (l’espace personnel d’apprentissage) académique 2 : les formations PAF (plan académique de formation) s’appuient dessus, les collègues le citent dans les travaux qu’ils partagent sur le web et dans les articles qu’ils proposent pour la lettre d’information académique Doc’Toulouse4.
Ce travail s’avère très fertile également au sein de nos établissements, en particulier pour le travail autour des EPI et de l’AP.
Quelques collègues s’emparent de nos documents pour s’approprier les contenus ou les remixer à leur façon5.
Rien ne peut nous enthousiasmer plus que de voir ces reprises et les réappropriations proposées. Par elles, la matrice EMI est en train de devenir telle que nous la rêvions : un commun et « une pouponnière de projets pédagogiques ».
La matrice est disponible ici : http://docs.ac-toulouse.fr/wp/?p=4362
- en ligne : http://culturedel.info/grcdi/wp-content/uploads/2012/10/Seminaire-GRCDI_2012_texte-P.Fastrez.pdf
- En ligne : http://docs.ac-toulouse.fr/wp/wp-content/uploads/2016/01/matrice-et-cycle3-240116-1.pdf
- Il est disponible ici : http://docs.ac-toulouse.fr/wp/wp-content/uploads/2016/01/matrice-et-cycle3-240116-1.pdf
- http://fr.calameo.com/accounts/4378545
- Par exemple, dans l’académie de Caen, le travail proposé par Frédérique Yvetot : http://documentation.discip.ac-caen.fr/spip.php?article145