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De la confiance nait la culture (et réciproquement)

Dominique Angelvy est, pour la dernière année, professeur-documentaliste au lycée polyvalent Ernest-Ferroul à Lézignan-Corbières dans l’Aude. Il quittera ce métier sans lassitude aucune ni des élèves, ni de ses collègues. Sa passion intacte se nourrit d’humanisme et de poésie dans un territoire où la culture palpite, se partage. Il nous en ouvre les portes.

Il a grandi dans l’école, s’attardant dans la salle de classe de son père instituteur, feuilletant les cahiers, regardant les traces d’apprentissage. Enseignant, il lui semble avoir voulu l’être depuis toujours. Son élan est freiné en 3e, lorsqu’à son souhait de devenir professeur d’histoire-géographie, celui qui lui enseigne cette matière lui rétorque que le concours serait trop difficile pour lui. « Ça m’a marqué et me marque encore aujourd’hui dans mes relations avec les élèves et les collègues. Qui sommes-nous pour dire à quelqu’un qu’il ne peut pas réaliser son rêve ? »

Quelques années plus tard, il tente le concours de professeur des écoles en région parisienne. Son accent occitan et sa timidité pénalisent son oral malgré de bonnes notes à l’écrit. Il retourne dans les Corbières, travaille un an comme moniteur éducateur dans un centre d’adaptation par le travail accueillant des adultes en situation de handicap, puis tente à nouveau le concours, cette fois à Carcassonne. Et cette fois est la bonne.

Ses trois années de formation commencées en 1981 sont, dit-il, « une chance, avec des enseignants intéressants, des cours à la fac de Montpellier et à l’École normale et des stages en situation ». Il démarre sa carrière par de longs remplacements dans une école en zone d’éducation prioritaire, intègre ensuite l’école de Peyriac-de-Mer, près de Narbonne, une petite école avec deux classes en élémentaire et une en maternelle. Il se lance dans la pédagogie Freinet, y passe un temps fou et se régale. Par des relations amicales, il découvre le collège et le métier de professeur documentaliste. Il suit une formation, se lance dans la préparation du Capes (Certificat d’aptitude au au professorat du second degré) et change de profession.

Changer d’air

Il enseigne dans plusieurs collèges et lycées de l’Aude, avec « le besoin de changer d’air au bout de sept ans même si je me sens bien ». Son dernier poste sera donc le lycée polyvalent Ernest-Ferroul, un établissement tout neuf où se côtoient sections professionnelles et d’enseignement général. « C’était enthousiasmant, de partir de zéro, de constituer l’équipe ! » La première année, seules des classes de seconde sont accueillies. Le CDI (centre de documentation et d’information) semble vide avec un équipement informatique complet arrivé en cours d’année et des rayonnages clairsemés.

Dominique Angelvy écrit aux éditeurs, active le réseau culturel foisonnant des environs. Tout près de là, à Lagrasse, se trouvent les éditions Verdier à l’origine du Banquet des livres, une manifestation annuelle qui accueille des auteurs prestigieux. La médiathèque locale est très active, le printemps des poètes se déploie sous l’impulsion de multiples associations culturelles. Tous sont partants pour aider. « En milieu rural, existe un tissu d’acteurs culturels qui font des choses près des habitants. Les élèves en collège et en lycée professionnel n’ont pas forcément accès à la culture. Grâce à ce réseau, on peut ouvrir vers la culture. »

La proviseure encourage, la région Occitanie apporte son appui financier. « La Région a envie que ça marche, finance les projets dans la confiance. Je me régale et s’il faut passer du temps pour échanger, construire le projet, je le fais avec plaisir. »

De nombreux invités

Agnès Desarthe, Emmanuelle Pagano, Franck Pavloff, la liste des écrivains qui sont venus dialoguer avec les lycéens s’étoffe d’année en année, avec en galerie de souvenirs des photos exposées au CDI. Le poète Pennequin a partagé ses textes sous forme de performance. Des auteurs invités au Banquet des Livres de Lagrasse, s’arrêtent au lycée pour échanger : ethnologues, sociologues, photographes, romanciers.

Des classes sont associées aux résidences d’artistes de l’espace culturel des Corbières. Il y a deux ans, l’une d’entre elle a travaillé avec une conteuse belge, une suisse et une autre audoise sur un projet sur le thème du territoire. Ils sont partis une semaine durant faire des reportages, enregistrer des sons intégrés par la suite au spectacle.

Au lycée Ernest-Ferroul, l’art est vivant et l’art se vit sous toutes ses formes. Une option cinéma est née par la volonté de professeurs en lien avec le Ciné club local qui, dès l’ouverture associait les élèves dans sa programmation.. Un studio de webradio a été installé au CDI. Un groupe de huit lycéens anime une « radio faite par des élèves pour des élèves » avec l’appui d’une animatrice grâce à un financement du Conseil régional. Le matériel est utilisé également par des enseignants pour des projets de classe sur l’exil, les migrations par exemple.

De l’amour

Des résidences d’artistes sont organisées pour un travail plus au long cours. L’an dernier, la journaliste Laurène Daycard est venue animer un atelier d’écriture auprès de lycéens professionnel sur le thème de l’amour. À partir de la question « À quoi, pensez-vous quand je vous dis amour ? », les adolescents ont raconté, et à partir de leurs écrits ont créé un fanzine. L’expérience a été relatée sur deux pages dans Libération. « C’était un travail formidable, les élèves étaient fiers de l’article et de leur travail. L’expérience a changé aussi l’ambiance de classe. »

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Un fanzine sur l’amour

Que ce soient des lycéens en filière professionnelle lui importe, eux dont l’estime de soi est souvent en berne à force de préjugés sur leur niveau, leurs aptitudes. Entre deux confinements, ils travaillent cette année sur un projet de photographie sociale. Là encore, l’implication est forte et les productions sont de qualité. «  Ils sont souvent plus attentifs, plus justes dans leurs interventions que des élèves qui sont plus blasés car plus habitués. » Donner confiance, donner envie, son intention semble venir en écho des mots blessants reçus lorsqu’il avait exprimé en 3e son désir d’enseigner.

Éducation aux médias et poésie

Pendant près de trente-cinq ans, il a partagé ses pratiques au sein du Clemi (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information) comme délégué départemental de l’Aude et formateur académique en animant des formations sur les webradios, les webtélés, l’enseignement de l’EMI (éducation aux médias et à l’information) ou encore les projets pédagogiques autour du festival « Visa pour l’Image ».

La culture, il la fait vivre aussi au quotidien en affichant des poésies et des haïkus dans tous les coins et les recoins du lycée, les glissant dans les casiers, les offrant à la demande. Les enseignants, les agents et les élèves en sont friands. Il les écrit avec sa calligraphie de maître d’école, les pleins et les déliés s’inscrivant parfois en encre blanche sur des cartons peints en bleu à la façon des vieilles plaques de rues. Il se régale de ce partage, de la gourmandise des mots qu’il diffuse.

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Un avis de contravention poétique

Au fil des années, il a accumulé les poèmes reproduits en affiches, les prête volontiers comme ses « contraventions poétiques » très prisées. Il les distille maintenant aussi sur Twitter, régalant les amateurs d’une évasion en mots de l’actualité anxiogène.

Lecture, café et gâteaux

Sa passion est née d’une rencontre avec une lectrice poète lors d’un Printemps des poètes, un véritable déclic. Il suit un stage de lecture à voix haute puis initie un café-poésie dans le collège où il enseigne alors. C’est un succès, les gâteaux à disposition sont souvent délaissés pour déguster les mots sans voir le temps passé. « C’est un bonheur de voir des élèves de 6e lire du Baudelaire. Je ne mets pas d’enjeu de compréhension. Quand ils me disent “je ne comprends pas”. Je réponds “moi non plus”, c’est la beauté du texte, ce que l’on ressent qui importe ».

Il se souvient avec émotion de la rencontre entre des lycéens et la poétesse Sylvie Nève. Elle est venue leur présenter un spectacle sur Barbe Bleue a priori difficile d’accès auprès d’un public composé en grande partie d’élèves de Bac pro. «  Les gens de l’association qui avait monté la pièce étaient inquiets. Je les ai rassurés, tout allait bien se passer, comme toujours. La rencontre a été extraordinaire. Les élèves ont écouté sans bouger, posé des questions pertinentes. » La représentation avait lieu l’après-midi et, pour celle ouverte au public le soir, les élèves présents sont revenus, accompagnés d’autres lycéens à qui ils avaient parlé, enthousiastes, du spectacle.

Les beaux souvenirs sans nul doute s’égrèneront en ribambelle lorsque Dominique Angelvy fermera la porte du CDI, laissant derrière lui de jolis mots tissés à l’infini, conjugués à tous les temps de la culture, multipliés au sein d’un réseau. Il quittera la salle des profs où, là aussi, le partage est de mise, et les amitiés nées au fil des projets et des enthousiasmes subsisteront dans sa vie d’après.

Monique Royer


Le compte Twitter de Dominique Angelvy : @DAngelvy


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