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Médiaparks, une fenêtre sur le monde

Travailler à la fois l’éducation aux médias et à l’information et l’enseignement moral et civique n’est pas forcément chose aisée. Pour l’auteur, les enseignants d’histoire et géographie en ont la capacité assurément, mais la mise en œuvre reste difficile.

Médiaparks est une revue scolaire réalisée par trois classes de 4e du collège Rosa-Parks de Rennes. Chaque mois, nous abordons une notion liée à l’actualité, elle fait toujours l’objet d’enjeux scientifiques et moraux. Jusqu’à aujourd’hui, nous avons abordé plusieurs thèmes : la liberté, l’égalité, la vérité, les conflits, les médias voyous, les murs qui nous séparent, la mémoire. Pour l’année prochaine, nous préparons déjà des dossiers sur l’éducation, la famille, la puissance, la santé. Ce travail à la fois civique et épistémologique est le cœur de mon enseignement dans et hors de la classe, puisque l’organisation mise en œuvre avec les élèves est assez proche de la classe inversée. Tout mon programme scolaire passe par un rendu écrit du travail sous forme d’article dans le journal. Mes élèves étant capables de rédiger collectivement des synthèses d’assez bonne qualité, j’ai juste poussé l’exigence en leur demandant de respecter, en plus, les contraintes éditoriales strictes : corps de texte de 3 200 caractères avec intertitres évoquant des parties organisées, un titre accrocheur, un chapô concis et la proposition d’une photo pour accompagner l’argumentaire. Le Médiaparks n° 1 sur la liberté a ainsi permis de rédiger des articles sur la traite négrière en histoire et sur la liberté de mouvement (notion majeure en EMC et en géographie des flux de population). Le programme est respecté car connaissances, compétences et attitudes citoyennes se rejoignent dans la même activité. La première finalité est donc didactique et pédagogique, elle nécessite peu de modifications de l’encadrement enseignant.

Rationnaliser le travail d’équipe

Mes trois classes de 4e qui se répartissent mensuellement l’édition de Médiaparks ne travaillent pas seules. Elles établissent un réseau de partage avec divers partenaires. Des membres du collège d’abord, car d’autres enseignants avec d’autres classes, d’autres niveaux ou d’autres établissements peuvent eux aussi proposer des articles en rapport avec les problématiques correspondant à chaque thème. Des partenaires ensuite, qui apportent des ressources ou leur expertise dans le contenu des articles, comme des universitaires ou des étudiants par exemple, ou encore des professionnels, des parents d’élèves. Toute la communauté éducative est donc, de près ou de loin, concernée par la production d’un numéro de Médiaparks dirigé par le groupe de coordonnateurs choisis par leurs pairs pour leur engagement ou leurs compétences de gestion de groupe. En ce qui concerne la diffusion enfin, comme Médiaparks est une revue mensuelle diffusée par internet, chaque personne qui reçoit la revue se l’approprie et la diffuse à son propre réseau (courriel, impression, réseaux sociaux), cela permet une propagation exponentielle de notre travail scolaire. Cette approche place l’élève en posture active, il produit son propre savoir et en est garant devant ses lecteurs. Chacun s’implique alors à sa mesure pour adopter une posture responsable, fiable, professionnelle. Tous agissent et interagissent, en travaillant de manière classique en classe, ou en s’impliquant davantage jusqu’à la rédaction de l’article. C’est pourquoi je trouve que la pédagogie de projet incite les élèves à s’impliquer, car elle s’appuie sur une situation réelle. C’est une occasion de promouvoir la réussite personnelle et collective, la bonne image de soi, dans et hors du collège. Par ailleurs, c’est aussi un moyen de s’interroger sur les liens de confiance dans la classe (entre élèves et enseignant), notamment dans la transmission par les pairs sur les compétences communicationnelles, l’aptitude à s’organiser et à intégrer un groupe, sur l’argumentation collective, la gestion de crise, et même sur la démarche courtoise lors d’entretiens avec des adultes experts. La relation à l’autre est stimulée à différents moments de l’apprentissage, car les élèves poursuivent entre eux leurs échanges hors de la classe ou hors du collège. L’appropriation des notions et des connaissances des programmes se construit progressivement à partir de la curiosité, de la proposition, car la classe devient un espace de réflexion et de synthèse, un lieu de partage de jugements critiques, de vision globale, de tri des documents compilés et d’écriture individuelle ou collective

Lutter contre le complotisme

Cette finalité relationnelle, conforme à un enseignement bienveillant, s’accompagne d’intentions civiques aux enjeux plus larges. Créer Médiaparks m’a permis de prendre à bras-le-corps la question des théories du complot, populaires chez certains de mes élèves, pour leur permettre de générer leurs propres anticorps intellectuels contre la « complosphère ». En effet, animer des débats sur ce sujet en classe, à mon sens, s’avère vain. D’abord, parce que l’explication scientifique du fonctionnement du monde n’a pas de critères d’analyse communs avec les thèses conspirationnistes, ce qui implique que les partisans des deux espaces de pensée ne peuvent se comprendre et peinent à communiquer. Ensuite, car cette thématique peut devenir anxiogène pour les élèves, car elle n’est pas en lien avec le programme et peut générer de l’incompréhension si on justifie le sujet par l’éducation aux médias d’information : puisque les complotistes se diffusent sur internet, les élèves risquent de penser que les médias sont leurs complices. Les réseaux sociaux qu’ils fréquentent ne suivent pas une logique de hiérarchisation et de vérification de l’information, c’est pourquoi on trouve tout et son contraire sur Facebook, Tweeter et YouTube. En passant du statut d’élève à celui de journaliste, les membres de Médiaparks construisent un raisonnement éthique, moral, intellectuel et civique et sont plus critiques lorsqu’ils se tournent vers internet pour trouver des réponses à leurs questions. En classe, mes élèves journalistes sont donc devenus progressivement des citoyens avertis. Mon rôle, au final, n’aura été que de les écouter, de tenter de répondre avec eux aux questions rencontrées, de les guider et de leur faire accepter, aussi, qu’il n’y a pas toujours de réponse à tout. En développant leur éthique journalistique, ils développent un regard et une écriture responsable ; en croisant les informations issues de leurs recherches préalables à l’écriture de leurs articles, ils définissent un petit quadrilatère qui s’approche, selon mon estimation, assez près d’une vérité éthique.

Satisfaire les appétits de partage

En somme, les bénéfices de cette expérience dans ma pratique enseignante ont été considérables. En construisant un magazine de réflexions utiles et intelligentes à partager dans la société civile avec mes élèves, j’ai participé à la connexion du collège avec son territoire à travers une réflexion sur le fond et la forme d’un nouveau média populaire, qui permet de reprendre possession de notre identité médiatique à l’échelle locale, tout en abordant des notions clés pour comprendre notre monde. L’arrivée de la réforme du collège est désormais facile à anticiper grâce aux EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) dans lesquels Médiaparks peut se fondre sans peine, puisque notre revue connecte un projet éducatif à la culture enseignante : ensemble, en classe, nous nous approprions les questions morales de la société actuelle tout en exploitant les études de cas du programme scolaire d’histoire géographie. Participer ainsi à la prise en main encadrée et progressive de moyens éditoriaux en vue d’aboutir à l’excellence rédactionnelle, tant pour les élèves que pour les adultes, est donc à la fois gratifiant et stimulant dans une vie d’enseignant.

Ronan Chérel
professeur d’histoire-géographie-EMC à Rennes (Ille-et-Vilaine)