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Pourquoi lire des travaux de recherches sur l’éducation aux médias et à l’information ?
Pour mettre en œuvre l’enseignement de l’éducation aux médias et à l’information, pourquoi lire des travaux de recherches, alors que des ressources intéressantes sont d’ores et déjà à disposition et se multiplient ? Peut-être non seulement pour renforcer ses convictions ou s’assurer des bases scientifiques des scénarios pédagogiques que l’on pratique ou des méthodes que l’on envisage de mettre en œuvre, mais aussi, à contrario, pour prendre le risque de voir ses cadres de pensée troublés (comme c’est souvent le cas) par les apports des recherches menées ces dix dernières années, afin d’enrichir ses pratiques.
Le rapport des enfants et des adolescents aux médias est un domaine investi par la recherche, et tout particulièrement les pratiques informationnelles des jeunes. L’étude des pratiques des médias numériques y a bien sûr une place importante, même si elle représente un défi méthodologique. Loin de nous offrir le portrait uniforme d’une jeunesse née avec le numérique, elle met en valeur l’hétérogénéité des pratiques de ceux que l’on désigne sous le terme générique de jeunes ou d’adolescents. Ces recherches qualitatives mettent ainsi en garde contre un regard uniformisant, qui, empêchant de voir la diversité des répertoires hérités, risque de reproduire, et d’accentuer, des inégalités. Des usages différents, mais aussi des représentations diverses apparaissent. Certaines recherches mettent également en valeur la porosité entre les usages scolaires et non scolaires, et un entrelacement des préoccupations personnelles et scolaires, difficiles certes à prendre en compte pour les enseignants.
Questionner les fondements de ses propres pratiques pédagogiques
Il semble en outre important de se questionner sur ce qu’on entend soi-même par « média » et « information », termes dont les significations font l’objet de controverses : l’éducation au traitement de l’information (pensé comme information d’actualité) dans les médias de masse, et en particulier dans les médias numériques, est certes une question cruciale, mais qui ne recouvre pas tout le champ de l’éducation aux médias et à l’information[[Laurence Corroy, Éducation et médias, la créativité à l’ère du numérique, ISTE éditions, 2016.]].
Même en se concentrant sur cette partie de l’éducation aux médias, on peut questionner le regard que l’on porte sur ces objets. En tant qu’enseignant, perçoit-on l’éducation aux médias comme un antidote à une exposition jugée dangereuse aux médias de masse ? Pense-t-on, au contraire, qu’il faut favoriser un regard critique porté sur ces médias en les posant, au sein même de l’école, comme objet d’analyse ? Qu’entend-on alors par « esprit critique » ? Cette notion est-elle comprise de la même façon par tous les enseignants, dans le cadre d’un enseignement perçu en France comme transversal ?
Pour répondre à ces questions, le détour que propose une approche historique des écoles de pensée de l’éducation aux médias offre un éclairage qui me semble intéressant. C’est ce qu’explique Laurence Corroy en distinguant, de manière synthétique, différentes approches qui, prenant appui sur des fondements théoriques différents, marquent de leur empreinte les pratiques pédagogiques actuelles concernant l’éducation aux médias. Elle identifie trois approches : l’approche « protectionniste », l’approche « critique » et l’approche « politique ».
L’approche protectionniste, qui nait à l’époque de l’apparition des médias de masse, vise à préserver la jeunesse de l’influence néfaste qu’ils sont réputés exercer sur eux : dans cette optique, le développement de l’esprit critique nécessite de limiter au maximum le temps d’exposition du public, et plus précisément du jeune public, à ces médias. L’approche critique encourage l’analyse du contenu des médias, et envisage alors l’esprit critique comme la faculté de comprendre la signification des messages véhiculés et leur cadre représentatif. L’approche politique, quant à elle, née d’une réflexion spécifique sur les médias d’information, envisage l’éducation aux médias comme une valorisation du politique et pour laquelle exercer son esprit critique nécessite des connaissances sur la profession de journaliste, la création, la circulation et le traitement de l’information d’actualité. Faire la part de l’influence de ces approches, pour lesquelles la définition de l’esprit critique ne fait pas consensus, constitue un travail certainement difficile, mais aussi constructif pour se saisir de la question de l’éducation aux médias et à l’information au sein des établissements scolaires.
Claire Joubaire
Chargée d’études et de recherche, service Veille et analyse de l’Institut français de l’éducation (ENS de Lyon)
Pour en savoir plus
Claire Joubaire, « ÉMI : partir des pratiques des élèves », Dossier de veille de l’IFÉ n° 115, 2017. https://miniurl.be/r-16wa
« Ce que le numérique peut en éducation », revue Diversité n° 195, 2016.
Les ouvrages de la collection « Les enfants du numérique », C & F éditions.