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« Plus de maitres que de classes » : pour quoi faire ?

533-une-200.jpg« Faut vraiment travailler avec elle ? Dans ma classe ? Mais qu’est-ce que je vais faire, moi, du maitre supplémentaire ? » Cette interrogation d’un professeur des écoles, qui devait intégrer à sa pratique professionnelle le dispositif « Plus de maitres que de classes », reflète celle de bien d’autres enseignants, entre crainte et envie. Qu’en ont-ils fait ?

En 2013, je prenais un poste de coordonnatrice d’un réseau d’éducation prioritaire. C’était aussi l’entrée en vigueur du dispositif « Plus de maitres que de classes » (PDMQC) sur ce réseau, après vingt ans de dispositifs successifs avec des enseignants surnuméraires. Ceux-ci s’étaient spécialisés dans la remédiation, en externalisant des petits groupes d’élèves en difficulté. Le nouveau dispositif (circulaire 2012-201) demandait aux enseignants de modifier leur pratique, notamment en privilégiant la co-intervention, voire le coenseignement.

Le nouveau dispositif inquiétait, questionnait, n’était pas toujours bien accueilli, mais suscitait aussi de l’envie et de la motivation chez certains enseignants. Dans les salles des maitres, les tensions étaient en partie verbalisées autour de la diminution des moyens (désormais deux postes pour cinq écoles) et s’énonçaient, plus implicitement, autour de la présence du second enseignant au sein de la classe.

La même année, je commençais un master 2 en sciences de l’éducation. Comme je souhaitais mieux comprendre ces tensions et documenter la mise en œuvre de co-interventions, j’ai centré mon mémoire de recherche sur ce dispositif.

Les titulaires sont les enseignants en charge d’une classe à l’année. Les surnuméraires sont les enseignants en surnombre dans les écoles qui interviennent dans le cadre du dispositif PDMQC. La co-intervention comprend sept configurations d’enseignement (voir schéma 1). Selon leur histoire personnelle, leur expérience, leur personnalité, leurs convictions et leur poste, les enseignants interrogés (dix titulaires et trois surnuméraires) ont des points de vue variés et des postures différentes.

Conditions et freins

À la suite des entretiens, j’ai listé les conditions et les freins à la co-intervention d’enseignants. Sont des éléments propices : l’accueil du surnuméraire par un titulaire prêt à ouvrir sa porte, l’identification explicite du surnuméraire comme enseignant auprès des élèves, des parents et des collègues de l’école et sa présence à tous les temps de concertation et de réunion, la co-intervention intégrée à la classe et non décrochée et ponctuelle, la coexistence de temps d’échange formels (concertation planifiée) et informels (l’entre deux portes), notamment sur l’organisation, sur le rôle et les attendus de chacun, sur les règles de vie de classe, mais aussi sur la pédagogie, le partage d’informations, de supports et d’expériences.

D’autres aspects sont cruciaux comme des relations apaisées et courtoises, l’explicitation des non-dits, le fait de penser la co-intervention comme une plus-value pour les élèves et de se sentir le droit et le temps d’expérimenter, de faire évoluer le dispositif sans pression ni injonction, mais aussi un certain cadrage institutionnel et un accompagnement pédagogique.

Les freins qui limitent la co-intervention se déclinent en six points : la réticence à entrer dans l’innovation de l’un ou des deux co-intervenants, une collaboration faible voire inexistante, une vision des élèves en négatif et le doute en leur capacité à réussir, l’injonction de co-enseigner, la déficience et la difficulté de communiquer entre enseignants, un besoin de formation et d’accompagnement non satisfait.

Un dispositif extérieur

Dans un second temps, j’ai identifié une « position d’extériorité du dispositif » qui transparait dans les discours des enseignants titulaires et surnuméraires. Le schéma ci-après reprend ces données.

Schéma illustrant les indices convergeant vers une position d’extériorité du dispositif « Plus de maitres que de classes ».

 

Ainsi, le dispositif ne comprend que le surnuméraire (ES) et le titulaire (ET), il n’apparait pas à l’échelle de l’école. On pourrait aussi dire qu’il y a un dispositif par titulaire ou classe. ES incarne même à lui seul le dispositif. D’ailleurs, « dispositif PDMQC » et « surnuméraire » sont régulièrement utilisés comme synonymes.

ET ouvre la porte de sa classe au dispositif un temps donné, puis la referme. Les interventions sont pensées comme des temps ponctuels, parfois décrochés du reste des enseignements. L’intervention du surnuméraire dispositif s’articule, se pense autour de certains élèves, généralement ceux en difficulté. Le PDMQC n’est pas pensé pour tous les élèves, seuls certains bénéficient du dispositif. Enfin, ET garde la main et ES se met à sa disposition, en position de subordination. ET décide des objectifs, des élèves qui vont en être. En outre, seuls les temps de travail de ES sont discutés : les échanges portent sur ce qu’il va faire mais, de son côté, ET n’explicite pas son travail. De fait, ES est peu présent sur les temps communs de l’école (conseils de cycle, des maitres, d’école, rencontre parents-enseignants, kermesse), notamment parce qu’il travaille sur plusieurs écoles. Les directeurs oublient parfois de l’inviter.

Évidences implicites Et questions

Les enseignants avec lesquels je discute de ces résultats me disent : « Ce que tu écris là, c’est évident. On le sait déjà ! » Probablement oui. Cependant, il me parait important de garder à l’esprit que, là où l’évidence pointe, l’implicite fait son nid. Penser que mettre deux enseignants dans une même classe va nécessairement faire progresser les élèves, qu’organiser les conditions matérielles de la co-intervention en oubliant d’expliciter sa conception du métier va suffire à taire les angoisses et les tensions, que le temps apaisera les difficultés, que l’on travaille mieux avec ses collègues copains qu’avec des collègues lambda est un leurre. Implicite et non-dit sont le terreau des conflits.

J’engage chacun à se questionner, à discuter, à argumenter ses choix avec son collègue co-intervenant. Suis-je prêt à ouvrir la porte de ma classe ? Quelles émotions apparaissent quand je travaille sous le regard d’un collègue ? Et lui, est-il angoissé à l’idée que je puisse juger sa pratique ? Suis-je à même d’expliquer ce que je fais dans ma classe et pourquoi j’opte pour tel support, telle règle de vie, telle organisation ? Comment s’interpelle-t-on devant les élèves ? Comment se fait-on appeler par les élèves (monsieur, maitre ou par son prénom) ? Tutoiement ou vouvoiement ?

Comment l’enseignant surnuméraire est-il identifié par les élèves, par les parents ? Quelle place a-t-il dans la classe ? Peut-il sanctionner, décider de certaines règles ? À quels moments formalisés se rencontre-t-on ? Le surnuméraire est-il présent aux rencontres parents-enseignants ? Est-ce au surnuméraire ou à l’enseignant titulaire (qui connait bien les élèves) de prendre en charge les élèves en difficulté ? C’est quoi aider un élève ? Le surnuméraire peut-il prendre la classe en main ? À quel moment peut-il prendre la parole ? A-t-il un espace de communication avec les parents ? Participe-t-il à tous les conseils ? Quelle est sa place dans ces conseils ?

Qui prépare la classe ? Qui évalue les élèves et comment ? Qui décide des objectifs à travailler, de la progression, de la programmation ? Si une séance ne marche pas (agitation, désintérêt, support inadapté, conditions météo), qui décide d’arrêter, de modifier ? Si un désaccord apparait en classe, comment réagit-on ? Quels niveau de tolérance, exigences, attentes a-t-on vis-à-vis des élèves ? Accepte-t-on que les élèves se déplacent, se parlent, écrivent au brouillon, écrivent au crayon ? Sur quel cahier ou classeur écrivent-ils ? Y a-t-il un cahier spécifique au surnuméraire (si oui, pourquoi) ? Quelle pédagogie ? Comment utilise-t-on les supports choisis ?

Quand fait-on des bilans de notre co-intervention où on parle de notre fonctionnement ? À quel autre moment fait-on un bilan des élèves (regard croisé) ? Qu’est-ce que j’attends de l’autre (aide à gérer la classe, prise en charge de l’enseignement, aide aux élèves, apport d’idées, anticipation de certains apprentissages avec un groupe d’élèves, travail en atelier, décharge de certaines tâches, gestion de l’autorité, prise en charge des perturbateurs, etc.) ? Quelles prises de parole peut-il avoir dans la classe (reformulation, complémentation) ? Peut-il parler à voix haute ou seulement chuchoter ? Qui prend la main, s’adresse au groupe classe, aux petits groupes ? Qui introduit la séance, conclut, institutionnalise ? Si je ne suis pas d’accord avec ce qui est fait, à quel moment je le dis, et comment ?

Où se positionne le surnuméraire dans l’espace classe ? A-t-il un endroit pour poser ses affaires (portemanteau, bureau, étagère, casier, place dans l’armoire) ? Si on travaille en enseignement parallèle, qui sort de la classe, le titulaire ou le surnuméraire ? S’il sort avec un groupe d’élèves, dans quel espace travaille-t-il ? Dans quelles conditions matérielles ? Pour les élèves, quel lien est-il fait entre les temps avec le titulaire et ceux avec le surnuméraire ? Quels supports utilise le surnuméraire (ceux de la classe, les siens propres) ? Quel est mon regard sur les élèves ? Dans notre séance, quels sont les aspects de la didactique que je maitrise bien, moyennement, pas du tout ? Qu’est-ce qui, dans mon travail, va faire progresser les élèves ? Que savent les collègues des autres classes de notre co-intervention ? S’il y a conflit entre nous, qui est médiateur (CPC, coordonnateur, directeur, inspecteur, autre enseignant) ? Prépare-t-on l’inspection ensemble, le cas échéant ?

Liste non exhaustive ! À chacun des co-intervenants de répondre et argumenter. Après seulement, on se met d’accord sur la notion à travailler ensemble.

Rachel Harent
Professeure des écoles (Finistère)