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Nous ne sommes pas prêts !

Ne refaisons pas l’histoire, mais tout de même, souvenons-nous : 

  • 12 mars 2020, le matin : Jean-Michel Blanquer assure que l’option de fermer l’école n’est pas sur la table !
  • 12 mars 2020, le soir : Emmanuel Macron annonce la fermeture des écoles, collèges et lycées. On ferme.
  • 13 mars 2020, le matin : Selon le ministre de l’Éducation nationale, nous sommes prêts. 

On connaît le désastre des premières journées pour les enseignants sidérés. L’assurance répétée sur les ondes comme une formule magique que nous étions prêts s’est immédiatement révélée fausse : course aux élèves qui n’avaient pas leurs codes de connexion de l’ENT (environnement numérique de travail), qui a un ordinateur, qui n’en a pas ? Que ferons-nous lundi ? Journée épuisante dans la gestion de ses propres émotions…

Janvier 2021, l’histoire bafouille. Il ne serait pas question de fermer l’école et pourtant les nuages s’amoncellent ; il semblerait que seule la date d’un nouveau confinement ne soit pas encore connue, mais le principe semble bien acquis.

Sommes-nous prêts ? Bien évidemment non ! Mais nous pourrions nous préparer avant la nouvelle catastrophe redoutée par la majorité des enseignants qui craignent de revivre les cours à distance, par des parents et des élèves inquiets que cela recommence. Peut-être est-ce le temps de passer de l’incantation magique (« nous ne fermerons pas ») à une position plus intelligente ? Nous pourrions fermer, nous ne savons pas si cela sera régional, national, il faut nous préparer pour ne pas être pris au dépourvu, pour souffrir le moins possible. Nous ne sommes pas prêts, pour beaucoup, mais nous avons l’expérience du premier confinement, de ce qu’il faut faire ou pas. Essayons de nous préparer, mais comment ?

Loin de nous l’idée de donner une méthode, chacun devra faire en fonction de son établissement, de la situation locale. L’injonction n’est pas de mise.

Que faire ?

Disons-le tout de suite, il ne s’agit pas pour nous de « fermer l’école », car les cours et l’enseignement continueront à distance. Tout d’abord, arrêter dès aujourd’hui ce qui peut être différé, les évaluations venues d’en haut, la préparation des épreuves du baccalauréat, les rapports à la hiérarchie obligatoires, les statistiques du jour ou de la semaine, les sommations non urgentes… Les personnels de direction devraient pouvoir travailler principalement sur l’éventualité d’un nouveau confinement, mettre tout le monde en lien, solliciter les équipes pédagogiques pour qu’elles s’organisent, et on sait combien c’est difficile pour le second degré dans lequel certains enseignants ont de nombreuses classes ! Il faut annoncer la possibilité d’un confinement comme quelque chose de plus en plus probable.

Les outils numériques de chacun doivent être vérifiés. L’ENT mis à jour, les classes virtuelles ouvertes dès maintenant, les codes d’accès prêts à être diffusés. La vérification des moyens de connexion des élèves permettra de savoir qui aura des difficultés numériques, quelles sont les familles qui n’ont pas d’ordinateurs personnels et des connexions de qualité. Peut-être que dans les cas les plus difficiles, la mise à disposition d’outils corrects sera possible, tout cela dépendra des conditions locales.

D’ailleurs, il faut travailler avec les familles. Il ne s’agira pas de justifier ou cautionner une décision politique ; il faudra informer, si possible en lien avec les élus de parents d’élèves, dire ce que l’on prépare, la manière dont cela pourrait se passer, et surtout, demander aux personnes que la situation met en difficulté de se signaler : qui aura besoin d’une aide ?

Vérifier auprès des professeurs principaux la liste des élèves fragiles est une absolue nécessité pour essayer de ne pas les « perdre », de maintenir le lien. Nous pourrions même préparer une ligne téléphonique dédiée aux questions, ouvrir des forums de discussion et de questionnement sur les ENT, créer un lien qui sera plus que nécessaire ? Tout cela si possible en contact étroit avec les collectivités locales. Il faudrait réunir les instances dédiées à ce dialogue, à cette concertation, les conseils d’école ou les conseils d’administration qui pourraient mettre en place une cellule sur le modèle d’une commission permanente, par exemple. On sait le rôle positif qu’elles peuvent jouer dans de telles circonstances.

Les personnes âgées isolées sont régulièrement contactées par des personnes qui se soucient de leur bienêtre et de leur confort élémentaire. Nous pourrions envisager la construction d’un réseau similaire où, en concertation étroite avec la vie scolaire, chacun des élèves est en charge de s’assurer de la qualité des conditions de vie et de travail d’un de ses camarades.

Préparer le passage

Les petites et toutes petites classes n’ont pas été simples à gérer lors du premier confinement. Les cours ne peuvent pas se tenir par écran interposé et nombreux ont été les enseignants qui ont téléphoné aux familles, régulièrement, pour s’assurer que tout allait bien, continuer l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, par exemple, s’assurer que le travail donné était compris et réalisé. Là encore, il faut vérifier les contacts, rassurer les parents, préparer peut-être des plannings de rendez-vous téléphoniques.

Plus que jamais, notre enseignement doit s’adapter pour pouvoir le moment venu basculer vers le tout numérique très vite et sans rupture brutale, et donc prévenir les élèves, calmement, en disant que c’est seulement une hypothèse mais qu’il faut s’y préparer. Il s’agit bien d’anticiper, déjà cela rassure.

Il est bien entendu souhaitable que les équipes pédagogiques se mettent d’accord sur les outils numériques qu’elles vont utiliser, les procédures qui vont être mises en place (ou rédiger un unique document qui explique clairement aux élèves et aux familles les principales solutions qui seront utilisées). C’est un des problèmes relevés à la suite du premier confinement : dans une classe, parfois, les échanges entre les élèves et les enseignants multipliaient les procédures, dans les nombreuses façons de rendre des devoirs au sein d’une même équipe pédagogique : mails, messagerie interne, casier numérique… Les petites classes voire les plus âgées ont eu du mal à s’y retrouver.

Aide et entraide

Mettre en place les cours à distance : est-ce que tous les cours auront lieu ainsi ? Ce n’est pas possible. Il faudrait prévoir, faire des plannings de cours par niveau, et « d’aide pédagogique » pendant lesquelles les élèves pourraient se connecter et demander de l’aide, ou juste parler s’ils en ont le besoin.

Dans les classes, un réseau d’aide et d’entraide pourrait se mettre en place, et d’ailleurs dès avant le confinement. Les enseignants pourraient préparer trois tableaux par classe. Le premier annoncerait : « J’ai besoin d’aide en telle matière  » ; le deuxième : « Je peux aider en telle matière » ; le troisième : « Je souhaite ne pas travailler seul et être avec quelqu’un ». Cela permettrait la mise en place de coopérations et pourrait faire naître une solidarité dont on a grandement besoin, avec une courte formation : on aide si on est sollicité, on ne fait pas à la place et seulement quand on a fini son propre travail. On ne se moque pas, toute demande d’aide est légitime.

De la coopération entre pairs ? Ce serait important de la mettre en place, mais cela ne s’improvise pas. On peut préparer des groupes d’entraide et réfléchir à la manière dont les élèves voudraient être aidés ou aider les autres ? Les responsabiliser, les rendre acteurs et auteurs, c’est certainement une manière de les rendre vivants, pour qu’ils ne subissent pas la situation. Dans chaque classe, des groupes de cinq ou six élèves pourraient aussi se constituer, groupes qui travailleront ensemble, qui s’aideront, et qui veilleront à ce qu’aucun ne reste de côté, tout cela en relation et sous le regard bienveillant et attentif de l’enseignant : maintenir du lien, maintenir de l’humain coûte que coûte.

Organiser localement l’humain

Le danger est la contagion émotionnelle, la diffusion de rumeurs, d’incompréhensions. On sait que ces situations sont anxiogènes et qu’elles peuvent générer des discours d’apparence absurde qui ne servent qu’à se protéger, des blocages cognitifs importants. Les souffrances du premier confinement risquent d’être réactualisées et de troubler les capacités cognitives de pas mal d’élèves et d’adultes. Mais cela demande aussi du temps, de la concertation, des moments collectifs organisés qui permettent de parler, d’échanger, de partager des pratiques. Ce temps nous manque d’ores et déjà cruellement, il est important de l’organiser.

Nous le disons à nouveau, nous avons l’expérience de ce qui s’est passé il y a moins d’un an, nous avons vu les difficultés parmi lesquelles la première fut l’impréparation : nous n’étions pas prêts, préparons-nous sans nous satisfaire d’une communication ministérielle qui proclame sans nous aider vraiment.

Mais encore une fois, localement, en fonction des moyens et des besoins de chacun : pas d’injonction ; et si cet article pourrait paraître en donner, ce n’est pas son intention. Nous nous appuyons largement sur ce qui s’est déjà fait ici ou là et dont notre site a souvent largement fait écho.

Et enfin, rêvons d’un ministre digne qui nous fasse confiance, qui ne nous soupçonnerait pas de profiter d’un nouveau confinement pour paresser et qui, au contraire, nous dirait : « Ça va à nouveau être difficile, vous êtes les mieux placés pour savoir quoi faire dans votre établissement, anticipez, je suis à vos côtés, en confiance, je vous remercie… »

Et faisons le vœu le plus cher : que cet article ne serve à rien.

Sylvain Connac, Jean-Charles Léon et Jean-Michel Zakhartchouk
Membres du comité de rédaction des Cahiers pédagogiques


À lire également sur notre site:
Nos rubriques L’école à l’heure du Covid-19 et Revenir à l’école

Et notamment:
Réflexions sur les outils de l’enseignement à distance, par Emmanuel Maugard
Continuité pédagogique : comment ne pas creuser les inégalités ? par Guillaume Caron, Sylvain Connac, Laurent Fillion, Carole Gomez-Gauthié, Cyril Lascassies, Cécile Morzadec et Nathalie Noël
Faire cours en demi-groupes : ½ + ½ = ? par Jean-Charles Léon
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Photo de Rachel Harent