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Ne tirez pas sur le principal !

Le débat houleux et passionné sur la réforme du collège véhicule un nombre incalculable de poncifs, d’idées reçues, de banalités maintes fois brandies en guise d’arguments. C’est toujours la même rengaine, quel que soit le thème de la réforme et quel qu’en soit le contenu. Parmi ce flot de poncifs, celui d’une réforme destinée à renforcer le pouvoir des chefs d’établissement et à accroître la caporalisation de l’institution. Sans jamais, sérieusement, se demander à quoi cela pourrait bien servir, ni questionner un tant soit peu la réalité des pouvoirs d’un personnel de direction dans notre institution.

Les « hiérarchies intermédiaires », à en croire les opposants à la réforme du collège, en seraient donc les principales bénéficiaires. On assiste par conséquent, depuis quelques jours, sur les réseaux sociaux, dans les discussions de salle des professeurs et surtout dans une certaine littérature syndicale, à un véritable « principal bashing  » qui est d’autant plus lassant qu’il est le fruit non seulement d’une lecture partisane et erronée de la réforme, mais aussi d’une connaissance bien médiocre des réalités de l’institution et de ce qu’est concrètement un management intermédiaire.

S’en prendre au principal comme étant le premier (voire l’unique) bénéficiaire de la réforme, c’est en effet croire, ou faire semblant de croire, que le principal d’un collège peut réellement se comporter avec les enseignants comme un cadre d’entreprise avec ses subordonnés (et même là, que de fantasmes sur un monde de l’entreprise que bien peu d’entre nous connaissons réellement !). C’est faire semblant de croire qu’il est possible de contraindre des enseignants qui ne le veulent pas à travailler autrement que ce qu’ils ont décidé de faire. C’est faire semblant de croire que le chef d’établissement peut contraindre les enseignants, par le biais de choix pédagogiques qui lui seraient personnels, à renoncer à leur propre liberté pédagogique. C’est, enfin, s’imaginer que le chef d’établissement est du côté des « décideurs  », alors qu’à bien des égards, et à l’instar de ses homologues en entreprise, il est bien plus proche du terrain que de la décision. Le chef d’établissement est un cadre « accompagnant », et en aucun cas un décideur. Les sociologues du travail le savent depuis longtemps.

Les chefs d’établissement sont des pédagogues

Non seulement les chefs d’établissement ne disposent pas de ces pouvoirs (et de mon point de vue c’est une bonne chose) mais cette réforme ne les place pas du tout en position de force, tout au contraire. Dès lors que sur le terrain les enseignants s’empareront des marges d’autonomie que leur permet la réforme, c’est eux, professionnellement, qui en seront les premiers bénéficiaires. Le chef d’établissement, lui, sera plus encore qu’aujourd’hui sollicité pour favoriser, aider et accompagner les décisions des enseignants.

Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas, comme on voudrait nous le faire croire, le pouvoir local et la caporalisation des enseignants par leur chef mais au contraire une forme de management constructive et pragmatique : aider les enseignants à s’approprier une marge d’autonomie souvent nouvelle pour eux, en les accompagnant notamment dans la mise en place des enseignements pluridisciplinaires qu’ils auront envie de construire. Ce qui est en jeu, appelons-le par commodité une aptitude au management intelligent.

Il y a bientôt deux ans, dans le billet du mois du numéro 507 des Cahiers pédagogiques, l’essayiste et écrivain Hervé Hamon écrivait : « On se prend à songer qu’un peu de management intelligent et ouvert serait le contraire d’une perte. Que l’école n’est en rien une entreprise, qu’elle ne fabrique nulle marchandise et que c’est bien ainsi qu’on l’entend. Mais qu’en matière de groupes humains, elle a tout à apprendre, à connaître, à expérimenter ». La réforme du collège est une occasion rare de mettre ces attentes en pratique, de faire vivre ce management intelligent et constructif, adapté au monde très particulier des établissements scolaires du second degré. Un management fondé sur la confiance réciproque, et sur la coopération entre les professionnels de l’éducation que nous sommes tous.

La formule est usée jusqu’à la corde, sans doute. Mais elle est à mes yeux plus que jamais opérante, et doit être répétée : le chef d’établissement est bien le premier pédagogue de son collège ou de son lycée. Cela ne veut pas dire qu’il doive s’immiscer dans les pratiques disciplinaires ni dans la didactique ou la construction des séquences d’enseignement. Mais arbitrer des conflits entre enseignants et parents, pacifier la relation éducative entre les enseignants et leurs élèves, c’est faire de la pédagogie ; construire un emploi du temps qui optimise les chances de réussite des élèves, c’est faire de la pédagogie ; arbitrer pour confier (ou non) telle ou telle classe, telle ou telle section, à tel ou tel enseignant, plutôt qu’à tel ou tel autre, c’est faire de la pédagogie ; et surtout, ce qui nous intéresse directement ici, construire des équipes de classe capables de travailler ensemble, de coordonner les efforts des uns et des autres, qu’est-ce donc sinon de la pédagogie ?

Autonomie : fantasmes et promesse

La réforme du collège nécessitera du doigté de la part des chefs d’établissement. Plus encore qu’aujourd’hui, la capacité à construire des équipes cohérentes, la capacité à faire vivre des projets sans les entraver (c’est le moins) ou en aidant à leur réalisation, la capacité à animer le conseil pédagogique plutôt qu’à le diriger, voilà le cœur de métier qui se dessine, et que nous sommes nombreux à revendiquer. Les EPI, par exemple, ce n’est pas l’autonomie des chefs d’établissement. C’est l’autonomie des équipes, rendue possible par la médiation et l’accompagnement du chef d’établissement dans le cadre du conseil pédagogique. Ce n’est pas la même chose. Car c’est une façon pour le chef d’accepter de perdre un peu de son supposé pouvoir, au profit des enseignants.

Les opposants à la réforme confondent trop souvent l’autonomie de l’établissement et celle de son chef. Demander à construire ensemble des projets de classe, des projets d’équipe, c’est pousser le chef à remplir ses obligations de pilotage, d’accompagnement et de facilitation. C’est aussi lui retirer toute possibilité d’imposer ses choix à des enseignants qui n’en voudraient pas. Car chacun sait bien qu’on ne pourra jamais contraindre deux enseignants qui ne le veulent pas à travailler ensemble. Par contre, c’est vrai, il sera toujours possible de « faire comme si », d’imposer aux enseignants ce qu’on peut légalement leur imposer : partager des classes même s’ils ne veulent pas, aligner leurs horaires quitte à ce que le dispositif tourne à vide, au mécontentement de tous.

En réalité, c’est uniquement dans le cas où les équipes de professeurs refuseraient d’utiliser leur nouvelle marge d’autonomie que cette réforme ferait le jeu des « petits chefs ». Car il faudra bien, quoi qu’il arrive, arbitrer et faire fonctionner l’institution. Dans un système démocratique, il n’y a pas d’autre alternative. Les professeurs n’auront pas d’obligation à assurer les EPI, mais le collège aura l’obligation d’en proposer aux élèves. Inutile donc de hurler avec les loups à la « caporalisation » de l’institution pour ensuite adopter des postures qui poussent au déploiement de cette caporalisation.

Le principal syndicat des personnels de direction vient d’appeler à la mise en place de cette réforme dans un climat scolaire apaisé et c’est une bonne chose. Qui pourra croire en effet qu’un principal de collège puisse trouver satisfaction à ce que tout se passe dans le conflit, dans l’injonction, dans un autoritarisme stérile, pour qu’au bout du compte la réforme ne soit qu’une coquille vide ? Personne de sérieux ne pourrait accepter cela et le reste n’est que fantasme et réflexe « anti hiérarchique » primaire.

Lionel Jeanjeau
Personnel de direction dans l’académie d’Orléans-Tours