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Marion Montaigne : « Le fait scientifique dont je parle est réel, toujours »

Marion Montaigne, © Vollmer Lo

Marion Montaigne, © Vollmer Lo

Peut-on parler sérieusement de sciences en bande dessinée ? Marion Montaigne, alias le Professeur Moustache, en fait la démonstration à longueur d’albums. Elle nous parle de son rapport à la vérité scientifique, à l’occasion de la sortie du tome 6 de la série Tu mourras moins bête (éditions Delcourt).
C’est à l’école que vous avez attrapé le gout des sciences ?

Oui, j’aimais bien les cours de biologie au collège, c’était la seule matière et la seule salle un peu « fun », avec un aquarium et un vivarium. J’avais fait le choix de suivre un atelier en plus le lundi matin ; j’évitais comme ça un cours de religion. C’était chouette de voir un prof dans un cadre plus détendu, moins scolaire, de faire des travaux pratiques, d’aller dans la cour chercher des vers de terre. Il y avait de la démonstration, on prenait le bus pour aller dans une carrière chercher des fossiles. C’était concret, et ça répondait à mes questions existentielles de manière plus claire que la religion…

De moi-même, déjà, je trainais pas mal dehors pour pêcher des têtards ; j’ai eu beaucoup d’élevages improbables (des phasmes, des mantes religieuses), j’essayais de sauver des oiseaux. J’aime bien l’altérité des animaux.

Ensuite, au lycée, j’ai connu un grand moment quand on a fait des dissections. Il se jouait quelque chose dans le rapport à la vérité : on ne pouvait pas me mentir, il n’y avait pas de trucage.

Comment vous êtes-vous spécialisée dans la bande dessinée de vulgarisation scientifique ?

Je faisais de l’illustration jeunesse, mais je continuais à me documenter en sciences parce que je voulais comprendre des choses, par exemple en embryologie, puis j’essayais de dessiner ce que j’avais appris, mais je ne savais pas quoi faire de tout ça. Petit à petit, j’ai posté ce travail sur un blog, je le mettais en privé, au début, je pensais que ça n’intéresserait personne. J’avais quand même fait un truc sur les douleurs chez les insectes ! Mais moi, à chaque fois, je partageais une information que je trouvais fascinante. Et j’y mettais toujours de l’humour, parce que je ne prétends pas à la place de savant.

Petit à petit, ça a pris de l’ampleur, des chercheurs m’ont lue et proposé de venir les voir dans leurs labos. Plus j’en apprenais, plus ça me donnait des jalons et des capacités pour comprendre autre chose.

Dans l’illustration, on me demandait beaucoup de dessiner des salles de classe, des cartables, etc. La science, par comparaison, c’était une cour de récré ! Il y a plus de choses amusantes à dessiner avec les laboratoires, les insectes, où ça grouille de détails.

Je peux passer d’un sujet à l’autre, en zapper un un peu trop difficile. J’ai parfois rencontré des chercheurs dont je n’ai pas su traiter le sujet en bande dessinée. Le dessin prend de la place, mais il permet des métaphores visuelles. D’ailleurs, c’est aussi ça, les schémas, les dessins, qui me plaisait en cours.

Quel rapport à la vérité entretenez-vous dans vos livres ?

Je conçois que je peux perdre ou égarer les lecteurs avec mes gags, mais le fait scientifique dont je parle est réel, toujours. Me documenter, vérifier, me rassure sur le fait que je ne me fais pas avoir. Ensuite, ajouter de l’humour, cela me permet de m’approprier le sujet. C’est stimulant, et c’est une manière de désacraliser les sciences, qui étaient très élitistes durant ma scolarité. J’aurais voulu qu’à l’époque, on m’assure que je pouvais comprendre. Souvent, à l’école, on se demande pourquoi on apprend quelque chose, à quoi ça va servir dans la vie. Ça peut être abstrait, mais si on peut relier à quelque chose de plus familier, on comprend mieux.

Les scientifiques sont des experts de leur domaine, ils ont appris à utiliser les termes exacts, à être ultraprécis, c’est très compliqué pour eux de prendre des libertés comme je le fais. Il peut leur être difficile de rire de leur domaine, ils ne peuvent pas se contenter de quelque chose de simple. Pour eux, simplifier, c’est mentir. De même, il peut y avoir des profs qui utilisent des termes compliqués en cours, pour être exacts. Mais je pense qu’il y a des élèves qui ont besoin d’images. On peut diffuser en cours des épisodes de C’est pas sorcier, aussi ! Pour déclencher l’étincelle d’intérêt chez certains élèves. C’est un peu comme si des amis vous racontaient une histoire ; la hiérarchie face au savoir s’efface.

Avez-vous l’impression qu’il y a un rapport aux sciences différent, aujourd’hui, plus de méfiance ?

Je trouve qu’il y a beaucoup plus de ressources aujourd’hui pour se documenter sur un sujet. Le défi, c’est de tomber sur la bonne ressource et, ce qui compte, c’est la manière dont on va chercher l’information. À qui peut-on faire confiance ? On peut facilement se tromper… Ce qui est intéressant, c’est de faire connaitre la démarche scientifique, de montrer comment on sait, ce que des gens expérimentent, les désaccords et les controverses, la science en train de se faire. C’est plus facile quand la science a été digérée avec le temps. Quand elle est en train de se faire, il faut recouper, vérifier, avoir plusieurs sources.

Je sens que j’ai une responsabilité, que je dois éviter les erreurs. Parfois j’en fais, bien sûr, mais ce n’est pas la même chose que de contester la méthode scientifique parce qu’un résultat ne nous convient pas. L’erreur est humaine, mais les fakenews diffusées à des fins politiques, sciemment, c’est autre chose. Pour ma part, si je contribue à lutter contre certaines fakenews, j’ai déjà gagné quelque chose !

Allez-vous dans des classes pour parler de votre travail ?

Ça fait longtemps que je ne vais plus dans les classes. Et d’ailleurs, je le faisais plus pour parler du dessin, leur apprendre la BD. Je pensais que les élèves trouveraient ça « fun » de faire des dessins avec moi, je pensais leur offrir un espace de liberté, mais en fait, ils étaient souvent paniqués, ils avaient peur de se tromper, d’être jugés, de ne pas bien faire. On sentait le poids du cadre scolaire. Ça m’a rappelé plein de souvenirs de mes années collège-lycée, la peur de la note, du regard de l’autre…

Avez-vous des témoignages d’enseignants qui utilisent vos livres comme supports de cours ?

Oui, j’ai des demandes d’autorisation pour ça, et mes nièces m’ont dit qu’on leur avait montré en classe un épisode de la série animée. Il parait que je suis aussi dans les CDI. Ça me fait très plaisir, bien sûr !

Je crois que mon travail est utilisé surtout en SVT. Notamment pour aborder des sujets comme les règles, ça permet sans doute de briser la glace, de mettre de l’humour sur des sujets qui provoquent une gêne.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

Sur notre librairie

Couverture du n° 596, « Citoyenneté(s) »