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« Les enseignants regorgent de créativité dans leurs classes »

La nécessité d’enseigner la science prend une dimension particulière en ces temps de pandémie et d’alarmes climatiques. Comment l’enseigner, et qu’enseigne-t-on avec elle ? Le dossier de notre tout dernier hors-série numérique propose des pistes et réflexions sur ces questions. Présentation, par ses coordonnateurs, David Jasmin, directeur de la Fondation La main à la pâte, et Laurent Reynaud, enseignant de SVT en lycée.
Pourquoi est-ce important d’enseigner la science à tous les élèves ?

Laurent Reynaud : Pour moi, cet enseignement se légitime en trois points, les mêmes qui fondent l’activité pédagogique : des connaissances, une démarche et des valeurs. D’abord, il y a les savoirs scientifiques qui permettent d’appréhender le monde et, plus modestement, notre quotidien. Ces connaissances permettent de nous désincarcérer de l’ignorance qui nous assigne à nos représentations et, parfois, à nos peurs. Ainsi, connaitre les mécanismes biologiques de la vaccination, les techniques de lecture d’un sondage ou les rétroactions climatiques contribuent à éclairer nos choix et à remanier nos convictions. Ensuite, il y a la singulière démarche scientifique qui participe à l’émancipation des individus par une méthode rigoureuse. Elle ne se contente pas d’invoquer l’esprit critique, mais elle le forme par l’instillation de réflexes comme la recherche de la démonstration, la confrontation des résultats, et la vérité comme horizon régulateur. Enfin, mais peut-être surtout, l’enseignement des sciences participe à mobiliser, et à valoriser, la curiosité, l’imagination et la créativité dans la recherche d’hypothèses et de protocoles. On ne perd rien à porter ces compétences comme des critères d’une rigueur scientifique qui permet d’ouvrir les possibles et de ne pas se borner à ce qu’on sait déjà.

David Jasmin : Je suis d’accord, et j’ajouterai que cet enseignement répond également à une curiosité intellectuelle et naturelle pour le monde qui nous entoure. Le questionnement de phénomènes simples et proches, le tâtonnement expérimental, la recherche de sens et de solutions, l’émergence d’hypothèses et l’argumentation sont présents chez l’enfant dès le plus jeune âge et ne demandent qu’à être entretenus et renforcés. Cet intérêt pour les sciences et les techniques est une base essentielle pour s’intéresser ensuite à la science contemporaine et à des enjeux sociétaux plus complexes qui interpellent notre quotidien et notre avenir. Bien que parfois mises à l’écart, science et technologie font partie de la culture générale de base que tout citoyen doit acquérir dans son parcours scolaire. Elles sont d’ailleurs dans les programmes dès la maternelle (plutôt comme découverte du monde), ce qui est une raison supplémentaire de les enseigner !

Y a-t-il une urgence ou un enjeu particulier à cet enseignement aujourd’hui ?

L. R. : L’enseignement scientifique répond à un enjeu d’actualité, revaloriser et former au doute fécond. Nombreux semblent être ceux qui affirment et qui savent, rares sont ceux qui savent comment on sait, plus rares encore sont ceux qui doutent en cherchant, toujours. Par exemple, pendant qu’une majorité affirme, quasi religieusement, que la Terre est ronde, certains se demandent encore comment on peut démontrer concrètement ce fait, bien rares sont ceux qui doutent encore : la terre ne serait-elle pas plutôt un géoïde ? Le doute a cela de complexe qu’il peut jouer un double jeu : d’un côté, il nous pousse à chercher pour connaitre et comprendre ; de l’autre, il peut nous plonger dans l’abime du scepticisme permanent et stérile à l’origine des théories du complot. Que rétorquer aux élèves qui, de plus en plus nombreux semble-t-il, doutent du cours sur l’évolution, de l’existence des dinosaures ou de la marche lunaire ? Comment rivaliser avec le flot d’informations que déversent les médias ? D’ailleurs faut-il rivaliser ? Il ne s’agit peut-être pas d’opposer les convictions et les faits, les croyances et les savoirs démontrés, mais de faire dialoguer les deux tout en ne cédant rien à l’exigence de la démonstration scientifique, par exemple en partant davantage des convictions des élèves et en les considérant comme des interlocuteurs valables. Un enjeu annexe, mais pas totalement déconnecté, est sans doute la matérialisation. Rématérialiser les objets de réflexion, car c’est bien l’observation et l’expérimentation sur le réel, sur ce qui palpable, qui fait la preuve : sortir, bricoler, manipuler, mobiliser les mains autant que l’esprit.

Il y a donc, selon moi, un enjeu sociétal à enseigner les sciences, tout comme il devient urgent de réinterroger la manière même d’enseigner les sciences.

D. J. : Une enquête récente sur l’attitude des Français face à la science montre que plus de 84 % de la population déclare avoir « très confiance » ou « plutôt confiance » en la science, ce qui est rassurant, d’autant que ce capital de confiance s’érode peu avec le temps. Il est d’ailleurs confirmé par une autre enquête Ipsos sur la perception du changement climatique auprès des jeunes, qui à 80 % disent avoir confiance dans les chercheurs pour donner des informations sur les enjeux scientifiques et être intéressés par cette thématique. Toutefois, ce même sondage indique que 47 % des jeunes pensent que la réalité du réchauffement climatique n’a pas été démontrée scientifiquement ou que 55 % pensent que l’énergie nucléaire contribue autant au réchauffement climatique que le gaz ou le charbon. Il y a donc un enjeu important, pour des questions traitant du réchauffement climatique ou d’autres sujets à forte dimension scientifique, de mieux comprendre les notions qui les sous-tendent. L’école et l’enseignement scientifiques en particulier ont un rôle spécifique à jouer pour donner aux élèves les outils méthodologiques et les notions de base qui leur permettront d’appréhender de manière éclairée ces questions qui les concernent.

Que trouveront les lecteurs dans ce dossier ?

L. R. et D. J. : Des pratiques et des réflexions de collègues qui dans leurs classes tentent, essayent, bricolent, innovent pour enseigner les sciences ou la technologie et en donner le gout à leurs élèves. Ils partagent leurs réussites, leurs projets, leurs recherches mais également leurs difficultés, leurs doutes et leurs questionnements. Ces articles ont été regroupés en quatre thèmes représentatifs de différentes facettes de ces apprentissages : la construction des connaissances, le raisonnement scientifique, l’observation de la nature et l’interdisciplinarité. Chaque thème est introduit par des réflexions d’experts scientifiques intéressés aux questions éducatives et illustrés par des articles orientés par une mise en pratique pédagogique dans la classe.

Et vous, qu’avez-vous appris ?

L. R. : À changer de regard sur ce qu’est la rigueur scientifique pour l’enseigner. En lisant les contributions des collègues, je me suis rendu compte que finalement l’apprentissage de la science ne se restreint pas à apprendre une démonstration ou un raisonnement logique, il y a aussi l’apprentissage d’attitudes qui prennent en compte des émotions : la curiosité qui attise la joie de découverte, la frustration de ne pas trouver, etc. J’ai aussi réalisé combien il est difficile de s’extraire de la pression évaluative et du jugement. Ainsi, dans les témoignages de pratiques, ce qui me semble intéressant, ce sont les échecs et les difficultés, car c’est face à ces obstacles que la créativité du pédagogue s’exprime. Ce n’est pas si simple de rassurer et d’accompagner les collègues à exprimer ces doutes.

D. J. : J’ai appris ou plutôt eu confirmation que les enseignants regorgent de créativité dans leurs classes et qu’il existe des merveilles pédagogiques qui ne demandent qu’à être partagées et connues à plus grande échelle. J’espère que ce hors-série contribuera à sa manière à partager ce constat et inspirera d’autres initiatives du même ordre.

Laurent Reynaud, vous êtes enseignant en lycée, quel rapport à la science percevez-vous chez les élèves ?

L. R. : Il est difficile de répondre à cette question, mais je dirai que la science exerce une fascination paradoxale. On le voit assez bien en commençant une séance par une situation problème qui accroche, motive et fascine les élèves : comment le transfert fécal peut-il guérir certaines maladies ? Comment expliquer la disparition d’un tube à essai dans de la glycérine ? Comment mesurer la taille exacte de la tour Eiffel avec un crayon de papier et un mètre ? Les élèves entrent alors avec plaisir et envie dans l’activité, mais très vite, un certain nombre décrochent de l’activité en se confrontant à la première difficulté technique : un calcul, une mesure, un principe physique à utiliser. Cette difficulté apparente, souvent liée à la perception de ses propres compétences ou à un défaut de prérequis, n’épuise en rien la fascination, qui bascule alors dans un autre registre : « La science c’est dur, ceux qui en font sont forts. » Cette fascination paradoxale s’exprime aussi lors des choix d’orientation. Au lycée, en fin de 2de, les élèves choisissent trois spécialités. Certains n’ont pas de bons résultats en sciences mais vont tout de même choisir des spécialités de nature scientifique, car elles fascinent souvent par le fantasme idéalisé de leur importance dans la réussite scolaire et professionnelle.

Et comment est né le partenariat entre les Cahiers pédagogiques et La main à la pâte sur ce dossier ?

D. J. : En 2021, la fondation La main à la pâte a organisé le forum « Activons les sciences en classe » pour rassembler des enseignants, des formateurs et des scientifiques qui se reconnaissent dans une éducation aux sciences innovante, attrayante, contemporaine, invitant tous les élèves à découvrir et comprendre le monde qui les entoure. C’est tout naturellement que nous nous sommes tournés vers les Cahiers pédagogiques pour nous accompagner dans cette aventure. Nous avions déjà contribué à certains numéros à thématique scientifique et avions été sensibles à la place importante qui était donnée dans chacun d’entre eux aux articles issus d’acteurs de terrain. Cela correspondait tout à fait à l’esprit que nous voulions insuffler dans le forum et que nous avons traduit dans ce hors-série. L’aventure ne s’arrête pas là, car nous avons souhaité poursuivre ce partenariat en 2022 en programmant le 26 mars un second forum sur le thème « La nature comme lieu d’humanité, d’apprentissage scientifique et de citoyenneté ». Nous espérons que les lecteurs des Cahiers seront nombreux à y contribuer (jusqu’au 2 janvier 2022) et à y participer !

Propos recueillis par Cécile Blanchard

 


Sur la librairie :

Hors-série numéro 58 – Enseigner la science aujourd’hui

Pourquoi et comment enseigner la science aujourd’hui ? Cette question s’éclaire d’un jour nouveau à la lumière des développements technologiques, des évolutions sociétales et des enjeux environnementaux qui se présentent à nous.
Un dossier en partenariat avec la fondation La main à la pâte.