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Pourquoi Felix Baumgartner a-t-il sauté de 40 000 mètres ?
Comment utiliser le distanciel dans une démarche collective de construction d’un problème et de cheminement propre à sa résolution ? Un exemple en sciences physiques au lycée.
En 2003, je suis interpellé par l’une des conclusions des tests PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) : les élèves français sont les champions du monde des « non-réponses » aux questions. En effet, à toute question dont ils ne connaissent pas explicitement la solution, ils préfèrent ne pas répondre et réciproquement, à toute situation nouvelle d’étude, ils ne se mettent pas en situation de l’interroger, d’émettre des hypothèses. En clair, les élèves ne se posent pas de questions ! Préférant attendre que le problème soit cerné par le professeur, pour mieux appliquer la méthode de résolution vue en classe. Le plus souvent, les élèves français ne problématisent pas les situations d’étude. Ils les résolvent mécaniquement seulement.
Nous proposons ici un exemple de démarche conduite au lycée, associant des activités en présentiel et à distance, où les élèves sont amenés à établir par eux-mêmes les problèmes à résoudre. Rappelons qu’il s’agit en fait de se poser les bonnes questions, de prendre du recul par rapport à ses représentations, d’accepter le fait que nous n’avons pas nécessairement toutes les réponses aux questions qui se posent.
Dans une phase initiale, au moins quinze jours avant la séance de mise en commun, des ressources documentaires (article de journal, reportage vidéo de chaine d’informations, reportage vidéo plus scientifique comme Sciences & Avenir, sujet d’exercices de livre) sont mises en ligne sur le dossier de la classe (sur l’ENT (espace numérique de travail) et le blog personnel de l’enseignant) pour consultation. Dans cet exemple, il s’agit de documents sur la chute libre de l’Autrichien Felix Baumgartner depuis une hauteur de 40 000 m d’altitude en 2012.
Durant cette période, chaque élève doit rédiger au minimum quatre questions sur la situation consultée et les poster sur l’espace numérique de dépôt. L’élève est amené à identifier un problème, issu d’un tri personnel des informations, et à le traduire en une question. Il doit alors communiquer pour rendre compte par écrit de son questionnement de la situation d’étude.
La diversité des questions recueillies auprès des élèves témoigne des stratégies des élèves pour questionner un problème de physique. Certaines de ces questions démontrent déjà une appropriation claire d’une situation contextuelle réelle en situation modélisée (par exemple, « combien de phases y a-t-il dans la chute de M. Baumgartner ? », « sous quelle forme est l’énergie lorsque Felix tombe ? »). D’autres questions sont relatives à la nécessité du recueil d’informations ciblées, même si leur usage n’est pas encore défini (« De quelle hauteur saute-t-il ? », « quelle est la valeur de son accélération quand il est en chute libre ? »), d’autres sont d’ordre explicatif (« Pourquoi arrive-t-il à sa vitesse maximale lors des 20 000 premiers mètres de chute ? ») ; enfin, certaines sont certes pertinentes, mais sortent du cadre défini par l’enseignant (« Comment a-t-il réussi à se stabiliser ? », « pourquoi avait-il peur de tourner ? »).
Nous constatons que les élèves, très procéduriers, sont déstabilisés. Ils ne se posent pas de questions naïves. Ils préfèrent immédiatement produire des questions d’ordre technique voire expertes (« Que vaut le nombre de Mach ? »). Ils tentent de planifier, d’élaborer des théories, de résoudre le problème. Leur style d’apprentissage les amène à tenter de trouver les questions que le professeur poserait. En revanche, les élèves débrouillards, ayant l’habitude de processus d’évitement, sont ravis de cette situation qui cadre davantage avec leur style d’apprentissage plus divergent et créatif. Ils émettent beaucoup d’hypothèses, interrogent la situation sous divers points de vue et font naitre un questionnement plus complexe qui permet de réinterroger la situation (« Pourquoi avoir sauté de 40 000 mètres et non pas de plus bas ? »).
À ce stade, je fais l’hypothèse que l’émergence de toutes ces questions mises à disposition de tous les élèves, au style d’apprentissage différent, doit permettre à chacun de se confronter à nouveau au problème en prenant en compte les interrogations des autres.
L’usage d’un forum, par son aspect technique, présente une efficacité indéniable. Le dispositif permet de collecter rapidement et facilement l’ensemble des questions. Dans notre cas, l’enseignant permet à tous les élèves de visualiser l’ensemble des questions posées par leurs camarades. Le dispositif technique favorise une véritable appropriation collective des données par une mise en commun rapide et claire. À partir de ce fourmillement de questions s’engage une nouvelle activité pour les élèves, celle d’un nouveau tri pertinent répondant au problème disciplinaire.
Par un guidage disciplinaire, l’enseignant cadre le sujet d’étude (approches cinématique, mécanique, énergétique, liées aux programmes officiels, excluant d’autres aspects : aspects psychologiques, autres aspects disciplinaires). Chaque élève doit alors à nouveau rédiger un bilan de huit à douze questions, en s’aidant des apports de ses camarades (à distance ou en présence).
Dans une dernière étape, l’enseignant consulte les questions posées par chaque élève et les valide ou invalide. Conservant un nombre suffisant de questions, chaque élève sera amené à les traiter, à en rendre compte dans un devoir personnel maison sur une longue période. Cette étape permet ainsi de réactiver des savoirs antérieurs, présents et à venir. Au final, la situation contextuelle initiale problématisée est le support didactique qui donne sens aux savoirs enseignés que l’élève peut mobiliser pour répondre à ses propres questions.
Après avoir obligé les élèves, seuls, à rédiger et poster leurs questions, l’usage à distance du forum permet une gestion de leurs propositions beaucoup plus efficace, temporellement et pédagogiquement, que ce qu’il est possible de faire en classe. Cet espace de discussion et de collecte d’informations, lieu de mémoire des données recueillies au fil du temps, permet de poursuivre le travail collaboratif entre les élèves et d’accéder au processus d’évolution.
Je pense qu’il faut laisser une durée suffisante pour permettre à chaque élève de revenir sur sa production, la réanalyser, la requestionner à plusieurs pour mieux à nouveau la cerner. Cela répond à un objectif majeur et réitéré de la compétence « Identifier un problème » présente dans les programmes de physique-chimie au collège et au lycée de 2020.
En permettant aux élèves de rédiger des questions (qu’ils ne se posaient pas), je pense que cette phase initiale favorise leur capacité à mieux cerner le sujet et ainsi à s’engager dans une phase préalable d’analyse nécessaire à la résolution qui suivra. Depuis le début des années 2000, cette démarche a été favorisée par la mise en œuvre des démarches d’investigation en sciences physiques, mais cette phase initiale d’émergence du questionnement des élèves pouvait trop souvent être réduite, voire occultée. De plus, en se confrontant aux questions de leurs camarades, nait la nécessité de rendre son questionnement encore plus explicite et pertinent. C’est un moyen d’entrer dans une démarche de recherche du problème que l’on se pose, elle-même partie intégrante du processus et du savoir scientifique qui en jaillira.
En 2016, une note de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) montre une légère amélioration des résultats des élèves dans leur capacité à « évaluer et expliquer des phénomènes scientifiques ». Cette compétence est la plus susceptible de montrer si l’élève est en mesure de reconnaitre, proposer, évaluer, questionner des thèses expliquant les phénomènes étudiés. Avec un score moyen de 488, les élèves français obtiennent des résultats inférieurs à ceux de la moyenne de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) pour cette compétence. Au contraire, pour la compétence « Interpréter des données et des faits de manière scientifique », où l’élève est amené à poser le processus de résolution et à en tirer des conclusions, leur score moyen est meilleur.
Christian Orange, Enseigner les sciences : problèmes, débats et savoirs scientifiques en classe, De Boeck, 2012.
Catherine Reverdy, « Les recherches en didactique pour l’éducation scientifique et technologique », Dossier de veille de l’IFÉ n° 122, février 2018, p. 5-7, p. 28.