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« Ma crainte, c’est que l’école se referme »

533-une-200.jpgConnue comme chef de service de la Maison de Solenn, psychiatre d’enfants et d’adolescents, psychanalyste, Marie-Rose Moro est le chef de file actuelle de l’ethnopsychanalyse et de la psychiatrie transculturelle en France. Une interlocutrice autorisée, donc, pour aborder le rapport à l’école des enfants issus de l’immigration.

 

Vos souvenirs d’école sont-ils de bons souvenirs ?

Mes souvenirs sont excellents, à la fois tendres et nostalgiques, sauf un : à la maternelle, j’ai reçu une gifle car je ne comprenais pas ce que disait la maitresse en français. C’était mon premier jour d’école en France et ma langue maternelle est l’espagnol. Ce jour-là je me suis dit : « Ça ne m’arrivera jamais plus. » Et c’est comme cela que ça s’est passé !

Beaucoup d’élèves souffrent à l’école aujourd’hui : ils n’y trouvent pas leur place, n’y développent pas le gout d’apprendre. Comment comprenez-vous ces souffrances ?

Souffrir à l’école est une tragédie et c’est vrai que c’est fréquent aujourd’hui. Trop fréquent. Cette situation est la résultante de plusieurs facteurs : méthodes pédagogiques pas adaptées à certains enfants, ambiance scolaire pas rassurante, familles très angoissées par rapport à leurs enfants ou à leur réussite, jeunes qui peuvent avoir des fragilités comme un doute très important sur eux-mêmes et une estime d’eux-mêmes très basse. Il faut prendre ces situations très au sérieux et les évaluer pour aider ces jeunes à retrouver le chemin de l’école. Mais c’est tout à fait possible de les aider avec des soins et des aménagements du projet scolaire. La sensibilisation de l’école à ces sujets est très importante pour recréer les conditions d’un bienêtre et d’un bonheur à l’école. Ce qui est un gage de réconfort et de réussite pour longtemps.

Vous titrez un de vos récents billets de blog « Les enfants de migrants, une chance pour l’école ». Comment en convaincre ceux qui les perçoivent comme une menace ?

C’est un billet de mon blog et le titre d’un de mes livres paru chez Bayard en 2015. Il démontre que reconnaitre cette diversité des enfants avec leur langue, leur histoire, leur famille non seulement leur fait du bien et leur permet d’apprendre avec bonheur et efficacité, mais en plus, cela fait du bien à tous les élèves qui apprennent ainsi la mixité, la fraternité et la possibilité d’être des élèves adaptés à un monde contemporain qui bouge et qui est pluriel. Parler plusieurs langues est une chance pour tous, connaitre l’histoire du monde aussi. Or, les enfants de migrants portent ces langues et ces histoires. Elles ne sont pas bonnes seulement pour eux, mais aussi pour tous les enfants de la République qui ont tout à gagner à se sentir capables de parler plusieurs langues et à connaitre l’histoire du monde ou les conflits géopolitiques qui, par exemple, ont poussé les parents migrants à quitter l’Algérie hier ou la Syrie aujourd’hui.

Vous seriez favorable à une place plus grande donnée par l’école aux langues maternelles ?

Je suis très favorable à ce que l’école donne une plus grande place aux langues maternelles de tous les enfants et que ces langues soient accessibles à tous. Si on permet l’enseignement ou la sensibilisation des enfants à l’arabe dialectal du Maroc dans une école, par exemple, il est important que tous les enfants de cette école puissent bénéficier de cette langue et pas seulement les enfants dont c’est la langue maternelle. C’est comme cela que la diversité des langues devient une richesse pour tous et permet la rencontre et l’enrichissement mutuel. La langue arabe devient alors une chance et pas un indice de repli et de séparation.

À l’approche des prochaines élections, qui vont raviver des polémiques sur l’école et l’éducation, quelle est votre crainte quant au devenir de l’école ? Quel est votre espoir ?

Ma crainte, c’est que l’école se referme et s’éloigne des familles et de la société. Mon espoir, qu’elle accepte de voir les jeunes tels qu’ils sont, les familles aussi, et ainsi qu’elle aide les enfants et adolescents à être des gens compétents et heureux. L’école le peut et la société a tout à y gagner. Mon espoir, c’est aussi le désir des enseignants de se former, de connaitre ce qui, dans d’autres disciplines, peut les aider à mieux faire avec les enfants. J’y vois un grand espoir de changement pour une école qui doit s’ouvrir de plus en plus sur le monde.

Est-ce à dire qu’il faudrait modifier la formation actuelle des enseignants ?

Dans notre société complexe, la formation des enseignants comme de tous ceux qui s’occupent d’enfants et d’adolescents doit se modifier, avec plus d’apports en psychologie des enfants et des adolescents (discipline qui a fait d’énormes progrès ces dernières années), mais aussi une sensibilisation à la psychologie transculturelle et une éducation à la diversité, comme le prévoient les textes européens. Cela signifie en pratique sans doute moins de formation disciplinaire, plus de stages et une formation continue obligatoire, comme le préconise le récent rapport du Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire) qui se demande à quelles conditions l’école peut réduire les inégalités, ce qui est une tâche ô combien noble et nécessaire.

 

Marie-Rose Moro
propos recueillis par Nicole Priou