Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
Lutte des classes
Les enjeux des politiques éducatives mobiliseraient-ils enfin? Des neuf thématiques déjà lancées par France Stratégie dans le cadre du projet 2017/2027, qui entend «éclairer les enjeux de la prochaine élection présidentielle», c’est celle de l’éducation qui a recueilli le plus grand nombre de contributions, plus de trente. Le débat organisé lundi 13 juin a été guidé par les deux questions liminaires identifiées par France Stratégie: «Faut-il investir davantage ? Enseigner autrement ?»Le ton a été assez vite donné par Jean-Paul Delahaye, inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale, qui a résolument placé son intervention sur un plan politique et non technique, en demandant «pour qui» il faut transformer le système éducatif.Soulignant que ceux qui dénoncent un «nivellement par le bas» sont «ceux qui veulent conserver leurs acquis sociaux», il évoque une lutte des classes au sein du système éducatif. Car «les dysfonctionnements de notre école qui ne parvient pas à réduire les inégalités ne nuisent pas à tout le monde. Ils ne nuisent pas à nos enfants, aux enfants d’enseignants, de journalistes, de cadres supérieurs et des élites dirigeantes». Sans contredire Jean-Paul Delahaye, Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie, invite, lui, à ne «pas sous estimer la crainte de la classe moyenne qui sait la valeur des filières d’élite et a peur que l’intégration des plus défavorisés se fasse à son détriment».
Agnès Florin a de son côté plaidé pour que l’on «sorte de la religion des fondamentaux» et pour une «ouverture aux savoirs contemporains de la carte figée des disciplines» (psychologie, droit, sociologie…). Elle a également défendu la nécessité de plus «associer les enfants aux décisions qui les concernent», sans réserver cela aux seuls délégués de classe.
Un choix politique
Illustration par les chiffres: le budget alloué par l’État aux fonds sociaux en 2002 était de 70 millions d’euros, mais de 32 millions seulement au budget 2012. L’accompagnement éducatif, créé en 2008, avait un budget de 300 millions d’euros en 2009, et de seulement 250 millions aujourd’hui. Jean-Paul Delahaye fait remarquer que ces coupes budgétaires n’ont été ponctuées d’ «aucune manifestation, aucune pétition, aucun passage au 20 heures». En revanche, une autre forme d’accompagnement éducatif a toujours été protégée selon lui, sans jamais connaitre de gel des crédits: les colles en classes préparatoires, qui représentant 70 millions d’euros pour 83000 élèves, quand «on ne trouve pas une somme équivalente pour 1,2 million d’enfants pauvres». Et Christophe Paris, directeur de l’AFEV (Association de la fondation étudiante pour la Ville), d’enfoncer le clou: «Il y a plus d’argent pour la défiscalisation des cours particuliers que pour les ZEP…»Investir davantage ou alors autrement, donc: plus qu’une question de moyens, un choix politique. Il y a quelques mois, Jean-Paul Delahaye, dans son rapport sur la grande pauvreté et la réussite scolaire, défendait d’ailleurs le principe d’une concentration des efforts et des moyens pour répondre aux difficultés quotidiennes des enfants pauvres.Et la question a été prolongée par un débat sur les bons résultats des grandes écoles en matière d’insertion professionnelle, comparés à ceux des universités par le délégué général de la Conférence des grandes écoles, tandis que le recteur de Versailles, Daniel Filâtre, rappelait qu’on ne saurait comparer les résultats d’une filière sélective avec ceux de l’Université qui ne l’est pas.Évaluation, formation, savoirs
Au registre des considérations plus «techniques», des propositions ont été portées, notamment en matière de formation: que celle-ci soit à la fois un droit et une obligation pour les enseignants (CRAP-Cahiers pédagogiques), que soient formés ensemble tous les acteurs éducatifs, au-delà de l’Éducation nationale (UNSA Éducation). L’évaluation était également présente, à travers la question du baccalauréat et de son statut, le SGEN-CFDT faisant remarquer qu’il n’est plus considéré comme un diplôme de l’enseignement supérieur mais perçu et organisé comme une validation des études secondaires.Évaluation encore avec Roger-François Gauthier, professeur à l’université Paris Descartes et auteur avec Agnès Florin, professeure émérite de psychologie de l’enfant et de l’éducation à l’université de Nantes, d’un rapport pour le think tank Terra Nova sur ce que l’école devrait enseigner, qui dénonce le fonctionnement souvent inconscient du système en «machine à évaluer» et le «laxisme» consistant à «faire la moyenne de tout avec tout» sans s’assurer que chaque élève a bien acquis l’ensemble des savoirs auquel il a droit.
Agnès Florin et Roger-François Gauthier