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L’excellence, ça a à voir avec la classe sociale

Peut-on être excellent et absent ? L’excellence en mathématiques est-elle supérieure à l’excellence en lettres et arts plastiques ? Charly, un élève « excellent » aux yeux de ses professeurs, mais qui ne s’est jamais considéré comme tel, s’interroge sur les codes de l’excellence.

Je ne me considérais pas comme excellent au collège parce qu’on a cette idée qu’être excellent c’est quand on « y arrive », ça répond à des normes de la société et moi j’avais l’impression de ne pas « y arriver ». J’étais très absent au collège, c’était très difficile pour moi de venir au collège, alors que ça avait l’air évident pour les autres. J’avais de bonnes, voire très bonnes notes dans certaines matières sans avoir d’efforts à faire, ça me paraissait très simple. J’avais de grosses facilités en français, je n’avais pas besoin de venir tous les jours ni de réviser pour avoir de bonnes notes.

Ce sont les profs qui ont parlé d’excellence à mon propos. Par exemple, ma prof d’allemand me disait : « Tu es un élève excellent, tu pourrais l’être encore plus si tu étais là tous les jours. » En fait, pour moi, un élève excellent ce n’est pas tellement par rapport aux bonnes notes, c’est un élève modèle qui réussit bien, qui est bien inséré, qui correspond à tous les canons, alors que, moi, je ne me sentais pas bien inséré dans la société, je ne rentrais pas dans le cadre. C’est ce modèle qui est dominant à l’école. C’est ma famille et ma socialisation à l’extérieur qui m’ont proposé d’autres modèles d’excellence, notamment du côté des lectures et des pratiques artistiques.

Excellence et intelligence

En fait, à l’école, c’est comme s’il y avait un trait d’union entre excellence et intelligence dans le discours enseignant. J’étais très triste quand j’avais de mauvaises notes, mais un jour ma mère m’a dit : « Tu n’as pas besoin d’avoir de bonnes notes pour être intelligent. L’école, ce n’est pas tout. » C’est à l’extérieur qu’on m’a appris ça.

Après le collège, je suis allé dans la ville voisine dans un lycée dit « excellent », dans une filière langues. Et j’ai découvert d’autres modèles d’excellence, en arts plastiques par exemple. C’est en arts plastiques que ma prof m’a dit : « Ce n’est pas grave si tu n’as pas de bonnes notes, ça n’empêche pas que tu sois intelligent ! » Et du coup, le fait qu’on me dise que ce n’était pas grave de ne pas y arriver, j’avais beaucoup plus envie de venir en cours et de m’investir. À côté de ça, j’étais dans une 2de générale en section européenne dans ce lycée de recrutement, disons, bourgeois, par rapport au collège d’où je venais. Et du coup, je n’étais plus un élève excellent, je ne répondais pas aux critères d’excellence du lycée, à ses codes, en particulier parce que je ne venais pas toujours aux cours.

En plus, au collège, je me trouvais socialement, disons, dans la partie moyenne haute, et là, dans ce lycée, j’étais dans la partie moyenne basse. Et l’excellence, ça a à voir avec la classe sociale. Pourtant j’avais personnellement un capital culturel largement aussi grand que celui des autres, mais je n’avais pas le même niveau en mathématiques, par exemple, et c’était ça qui comptait dans ce lycée. D’ailleurs, à la fin de la seconde, tout le monde a fait le choix de la filière S, sauf moi qui ai choisi L1. Et ça a été un choix très difficile, parce que, encore une fois, je me soustrayais au groupe, je ne me conformais pas aux canons du groupe. Mes profs ne comprenaient pas non plus pourquoi je ne redoublais pas pour aller en S l’année d’après.

Décalage social et culturel

Par rapport aux autres élèves, jusqu’en 1re, j’ai senti un décalage. Je ne me sentais pas supérieur, pas du tout, mais je ne me reconnaissais pas dans ce que la plupart de mes camarades pouvaient m’apporter, et pour moi c’est important que l’autre puisse m’apporter de la culture, du savoir… Et ça je ne l’ai trouvé qu’avec très peu d’élèves, on ne partageait pas les mêmes centres d’intérêt, je me suis senti très en décalage avant ma 1re et ma scolarité dans le supérieur. Ça ne veut pas dire que les autres n’avaient pas de bagage culturel, mais on n’avait pas le même.

Au lycée, ça a été une autre forme de décalage, un décalage politique ; moi, je viens d’un milieu ouvrier, j’ai rencontré très jeune le parti politique dans lequel je suis entré. Alors que dans le milieu bourgeois du lycée (la plupart des élèves venaient de collèges privés), la politique ça ne passait pas du tout, en 2de, avec les autres de la classe. Et même mon « excellence » artistique et littéraire n’était pas partagée par eux. D’un point de vue social, l’excellence en maths c’est supérieur, c’est bien plus valorisé.

Une anecdote qui rentre bien dans le sujet, je trouve. En 2de, le prof de SES a fait un sondage dans la classe pour savoir qui était enfant d’ouvrier. J’étais le seul à lever la main. Il m’a regardé de haut en bas en disant : « Ah… C’est pour ça… »

Charly
Apprenti

Notes
  1. Les filières S et L étaient respectivement des filières sciences et lettres ; elles ont disparu avec la réforme du bac en 2020-2021.