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Les trois leviers d’une pédagogie flexible au collège

Pour répondre aux exigences d’un enseignement en contexte hétérogène, les aménagements se développent, y compris au collège. Une enseignante de lettres décrit les trois axes de flexibilité qu’elle a mis en place auprès de ses élèves.

La société et les élèves ont évolué. Les jeunes sont « intéressés par autre chose, ont besoin de bouger, de toucher, d’expérimenter pour trouver de l’intérêt et apprendre1 ». Par ailleurs, la prise de conscience qu’il est devenu « presque impossible de dispenser un enseignement de qualité tout en prenant en compte chaque individu dans la multitude d’élèves présents au sein d’une classe2 » invite à s’interroger sur l’avenir de l’école. La démarche ministérielle « Notre école, faisons-la ensemble » propose aux enseignants et chefs d’établissement de faire émerger dans le cadre de concertations locales des initiatives nouvelles de nature à améliorer la réussite, le bienêtre des élèves et à réduire les inégalités.

Aussi, notre réflexion portait-elle sur une envie d’innover en matière pédagogique et sur une volonté de (re)penser l’école. L’adjectif « flexible » est une invitation au renouveau et à la liberté pédagogiques. Décomplexons-nous : hybridation, flexibilité, semi-flexibilité, chacun choisit le format qui lui convient.

Il s’agit ici d’un retour d’expérience sur trois leviers utilisés dans ma démarche personnelle, et non d’une présentation de la pédagogie flexible, car il n’en existe pas une seule et unique forme. De nombreux facteurs entrent en jeu : la personnalité de l’enseignant, la matière enseignée, le public et son environnement, l’individu élève.

Premier levier : transformer sa posture

Une pédagogie flexible place l’élève au centre de l’enseignement dans une posture active. Il y a par conséquent une diminution du temps consacré aux séances « traditionnelles » d’écoute et de prise de notes du cours, même si elles se justifient lorsqu’il s’agit d’aborder une nouvelle notion, un point complexe ou une correction.

La figure d’autorité verbale et savante de l’enseignant semble s’effacer. Ce n’est qu’une impression, car les séances sont complètement dirigées sous couvert d’une liberté accordée aux apprenants. La pédagogie d’une classe flexible, c’est la liberté dans le cadre. Au départ, l’enseignement hybride est chronophage, car cela nécessite de développer des supports et activités variés et différenciés, afin d’accroitre l’appétence des élèves. Cela m’a contrainte à lire de nombreux ouvrages, à consulter des blogs. Cependant, mes recherches se sont révélées stimulantes et enthousiasmantes – « joignant l’utile à l’agréable » – et j’éprouve un réel plaisir à élaborer mes supports. Ensuite, après avoir pensé, choisi et organisé mes séquences, je me suis posé la question de l’adaptation des supports à chaque élève en fonction de ses besoins.

L’enseignant prend déjà en compte le profil de ses élèves en consultant les différents plans d’accompagnement personnalisés, et en appliquant les aménagements préconisés. C’est là qu’une pédagogie flexible offre une application inédite, et accompagne aussi les élèves ne bénéficiant pas d’un programme spécifique. L’outil informatique est facilitateur3, car il permet la déclinaison d’une même fiche avec une différence de police, de mise en page, de lexique, de consignes, d’exercices, etc.

Grâce à la déclinaison des fiches, les élèves les plus en difficultés disposent d’aide et les élèves les plus à l’aise profitent d’une proposition d’activités supplémentaires et complémentaires. J’ai trouvé dans la modularité des supports l’adaptabilité qui me manquait. Au fil du temps, l’habitude d’utiliser ces outils diminue la chronophagie et la déclinaison pédagogique entre au service d’une dynamique commune à l’ensemble d’une classe tout en prenant en considération la singularité de chaque élève.

Concernant la gestion de la classe, j’accepte les prises de parole et déplacements inopinés, du moment qu’ils respectent l’environnement de travail. Une tolérance est accordée au bruit, et, pour éviter de déranger inutilement la séance, les élèves se déplacent pour emprunter un livre, consulter un outil numérique, récupérer ou jeter du matériel, poser une question à un autre groupe ou à moi-même.

Par ailleurs, je ne m’installe pratiquement plus au tableau ni derrière mon bureau. Je me déplace, j’observe et j’interviens directement auprès des élèves. Cette disponibilité est renforcée par l’organisation en ilots, qui permet de dispenser plusieurs « cours particuliers ». Cette posture modifie la relation avec les élèves qui, en ne prenant plus la parole devant toute la classe, sont moins réservés et ne se sentent plus jugés. De plus, mon intervention devient secondaire, parce que les élèves demandent d’abord de l’aide à leurs camarades.

Deuxième pilier : se centrer sur les apprentissages

Avec une telle organisation de la classe, l’élève peut plus facilement s’engager dans le cours. Une pédagogie flexible développe la confiance en soi, la prise d’initiative, l’autonomie, la responsabilisation, les compétences sociales, etc.

Il y a trois ans, j’ai développé une nouvelle réflexion, à savoir : comment approfondir cette notion de flexibilité en prenant en compte les prédispositions cognitives ? Le plan de travail (PDT) m’est apparu comme un outil propice4. Il permet de choisir son activité en fonction de plusieurs facteurs : son état de fatigue, son attrait pour une activité et sa durée, voire les points accordés pour sa réalisation. Souvent, mes plans de travail correspondent aux séances/activités principales d’une séquence, et ces dernières sont imprimées sur une même fiche pour une vue d’ensemble. Un semainier distribué pour chaque PDT aide à gérer son temps.

Voici l’exemple simplifié d’une séquence (durée : trois semaines environ) du programme de 3e sur le thème « Progrès et rêves scientifiques » : une vision dystopique de l’avenir de la ville et de son gouvernement.

  • Activité 1 : début de la séquence. À partir d’images et de questions permettant leur description organisée, création d’un nuage de mots sur la science-fiction ; début de la rédaction d’une définition de ce genre. Une heure.
  • Activités 2 à 6 à préparer dans l’ordre souhaité.
  • Activité 2 : lecture analytique d’un extrait descriptif du roman Les Filles de la pluie. Environ une heure. Roman dystopique lu pendant les quinze jours des vacances scolaires précédentes avec carnet de lecture complété et corrigé.
  • Activité 3 : histoire des arts « science-fiction » (entrainement à l’épreuve écrite du brevet). Environ 30 minutes.
  • Activité 4 : lecture analytique d’un dialogue (confrontation verbale) du roman Les Filles de la pluie. Environ une heure.
  • Activité 5 : atelier d’écriture complexe en quatre paragraphes (réduction progressive de la focalisation depuis un point de vue interne), description sensorielle et émotive d’une ville futuriste utopique et écoresponsable à partir d’une maquette exposée en classe. Environ deux heures.
  • Activité 6 : lecture analytique d’un monologue intérieur (prise de conscience écologique et dramatique) du roman Les Filles de la pluie. Environ une heure.
  • Activité 7 : réalisée par tous à la fin de la séquence. Débat entre pairs du groupe, débat en classe entière, puis rédaction d’un sujet de réflexion complet (méthodologie du brevet) sur les nouvelles technologies : inventions géniales et dérives. Deux heures.

Les élèves choisissent de préparer les activités 2 à 6 dans l’ordre qu’ils souhaitent. Ils se répartissent dans la salle et travaillent seuls, en binôme ou en ilot jusqu’à quatre membres. Un carnet est utilisé pour rédiger les traces écrites. Je le relève plusieurs fois par semaine pour constater le travail accompli, la réflexion menée, et pour l’évaluer. Son évaluation est généralement systématique afin de constater de manière presque « instantanée » l’évolution et la progression des acquisitions.

Troisième levier : le bienêtre au sein de la classe

Métamorphoser l’environnement de travail est secondaire, mais lorsque l’enseignant possède une salle attitrée, la salle aussi peut bénéficier d’une forme de flexibilité.

Nous avons choisi des assises et des meubles ergonomiques, respectant la physiologie de notre public scolaire : tables de réunion et tables hautes avec des repose-pieds réglables, ballons de gym de grosseurs différentes, tabourets culbuto à la hauteur réglable.

Une fois les meubles sélectionnés, nous avons imaginé un aménagement en espaces de travail qui offre des zones au calme et des zones pour les travaux en coopération. Un plan à l’échelle de la future salle flexible a concrétisé la projection. La demande a été acceptée : nous avons perçu un financement de 4 500 euros pour aménager la salle telle que nous l’avions imaginée. Les effets bénéfiques de la salle flexible sur l’appétence cognitive ont été immédiats.

Annette Vernazobres
Professeur de lettres modernes au collège Claude-Chappe de Gallargues-le-Montueux (Gard)

À lire également sur notre site

Aménagement flexible et relations sociales au collège, par Célia Herz, Nadège Witkowski et Marion Tellier (accès payant)

Changement d’ambiance, par Marie Mialet

Classe flexible : tout bouge ? Podcast avec Marjorie Lejeune


Sur notre librairie

Couverture du n° 591, « Organiser le travail de la classe »


Notes
  1. Renaud Keymeulen, Justine Henry, Alix Longlez, La classe flexible, je me lance !, De Boeck supérieur, 2020, p. 17.
  2. Anne Larcher, Adeline Michel, Aurélia Onyszko-Leclaire, Evie Laversanne, Séverine Walker, Enseigner en classe flexible : cycles 2 et 3, Retz, 2019, p. 7.
  3. J’utilise l’outil de design graphique Canva, dont la version professionnelle est gratuite pour les fonctionnaires de l’éducation nationale.
  4. Andreea Capitanescu Benetti, et al., Mettre en place un plan de travail en classe : faire progresser les élèves de la maternelle à l’université, ESF Sciences Humaines, 2024.