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Les enfants HPI : une question pour la sociologie aussi ?
L’étude des enfants à haut potentiel intellectuel (HPI) semble, à priori, relever de la psychologie. En s’emparant de ce sujet, les sociologues offrent toutefois des perspectives d’analyse différentes des recherches en psychologie, qui interrogent principalement ce qui distinguerait les enfants HPI (s’intéressant par exemple à leur anxiété) ou leur prise en charge dans le cadre scolaire1. Plus précisément, étudiant le HPI comme un fait social, des sociologues ont mis en évidence les conditions sociales de la catégorisation de certains enfants comme HPI.
Aucun enfant ne serait aujourd’hui déclaré HPI si cette catégorie n’avait pas acquis certaines légitimité et popularité, et s’il n’y avait pas de psychologues qui puissent et veuillent conclure à la présence de cette caractéristique chez certains individus.
Comme le sociologue de l’enfance Wilfried Lignier l’a montré dans le cas français, ce sont des militants et militantes, regroupés au sein d’associations, qui sont parvenus, au terme d’un important travail de lobbying, à faire du HPI une question digne de faire l’objet de politiques éducatives et d’analyses scientifiques — et ce, en insistant surtout sur les dangers que l’école ordinaire ferait peser sur le bienêtre des enfants concernés. Par ailleurs, tous les psychologues n’ayant pas reçu, durant leurs études, une formation à la psychométrie ou au HPI, si certains d’entre eux ou elles en deviennent spécialistes, c’est parfois moins par conviction que par nécessité économique, en lien avec la difficulté d’exercer en libéral2.
Pour qu’un enfant puisse aujourd’hui être catégorisé HPI, il faut aussi qu’il se prête à un test d’intelligence, et qu’il y obtienne un score de quotient intellectuel (QI) nettement au-dessus de la moyenne des enfants du même âge, c’est-à-dire supérieur ou égal à 125 voire 130.
La thèse de Wilfried Lignier constate dans ce cadre que les garçons sont davantage suspectés d’être porteurs d’une « intelligence hors norme » en raison de stéréotypes de genre. D’autre part, plus les parents disposent d’importantes ressources économiques et culturelles, plus ils et elles sont susceptibles de financer ce test (non remboursé chez un praticien libéral), ou de percevoir dans cette catégorisation l’opportunité de faire reconnaitre leur enfant comme un élève à besoins éducatifs particuliers (EBEP), et, de fait, de solliciter des aménagements de leur scolarité3. Plus ils et elles sont également enclins à réaliser un travail éducatif intensif qui permet à leurs enfants de développer des connaissances, compétences et dispositions intellectuelles reconnues comme révélatrices d’un potentiel intellectuel supérieur. Ainsi, lors de l’étalonnage du test WISC-V, les enfants obtiennent en moyenne un QI de 90,67 lorsque qu’aucun de leurs parents n’est diplômé, 96 lorsque leur parent le plus diplômé possède un CAP ou BEP, 100,96 lorsqu’il possède un bac, 106,53 lorsqu’il possède un bac +2 et 107,88 lorsqu’il possède un diplome supérieur à bac + 24.
Les analyses sociologiques observent aussi que les pratiques éducatives des parents d’enfants HPI, tout comme le contexte et les conséquences de la catégorisation sur leurs enfants et leur vie de famille, varient selon leur fraction de classe sociale d’appartenance.
Elles montrent dès lors comment ces variations produisent des enfants aux intérêts culturels ou aux dispositions scolaires différents, parfois bien loin du mythe de l’élève qui s’ennuie ou perturbateur, et qui notamment risquent de rencontrer des difficultés qui pèsent lourdement sur leur scolarité surtout lorsqu’ils et elles sont d’origine populaire5. Analysant les relations des élèves catégorisés comme HPI avec leurs pairs ou le corps enseignant, Wilfried Lignier et Joël Zaffran6 mettent aussi en lumière les tensions vécues lorsqu’ils et elles se sentent obligés de répondre aux attentes associées à leur statut de « surdoués ».
Ainsi, croiser les disciplines scientifiques autour d’un sujet lié à une vogue médiatique pour les uns, ou à une expérience personnelle pour les autres, permet d’en enrichir la compréhension.
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Notes
- Nicolas Gauvrit, Les surdoués ordinaires, PUF, 2014.
- Wilfried Lignier, La petite noblesse de l’intelligence. Une sociologie des enfants surdoués, La Découverte, 2012.
- Ibid.
- Voir Jacques Grégoire, WISC-V : Examen clinique de l’intelligence de l’enfant : Fondements et pratiques de l’échelle de Wechsler, Mardaga, 2021, p. 99 et p. 289-290.
- Léa Dousson, « Comment façonne-t-on un “surdoué” ? Analyse de la socialisation à l’œuvre dans les familles d’enfants catégorisés à “haut potentiel intellectuel” », thèse de doctorat, université Lumière Lyon 2, 2022.
- Wilfried Lignier, « L’autonomie enfantine à l’épreuve des “surdoués”. Contribution ethnographique à une approche sociale de l’enfance », L’Homme & la société, vol. 3, n° 165-166, 2007, p. 205-221 ; Joël Zaffran, « L’or et le plomb. L’expérience d’une œuvre au noir des élèves intellectuellement précoces à l’école inclusive », Éducation et sociétés, vol. 2, n° 44, 2019, p. 81-96.