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Les bienfaits des classes autonomes

Des élèves interviewent pour la webradio une enseignante des classes autonomes.
Le 28 mai 2025, la cité scolaire Pierre-Larousse de Toucy, en Bourgogne, a accueilli les Rencontres internationales de l’autonomie. Dans une ambiance animée et collaborative, enseignants, élèves et établissements partenaires de plusieurs pays ont partagé leurs expériences autour des classes autonomes. Une forme d’organisation où la liberté d’apprendre, la coopération et la confiance transforment aussi bien les apprentissages que les pratiques pédagogiques.
C’est une joyeuse effervescence dans le gymnase de la cité scolaire Pierre-Larousse (collège et lycée) de Toucy, gros village de la Puisaye bourguignonne, pour les Rencontres internationales de l’autonomie. Une webradio éphémère, proposée par le Clemi, est très vite prise en charge par des élèves, qui interviewent à tout-va ; on fréquente les stands des divers partenaires (un atelier Pop lab1, L’École du Sens2, l’université de Bourgogne, l’Irédu, l’Inspé, l’EAFC, Erasmus) ; on rencontre les acteurs du projet des trois classes autonomes de la cité Pierre-Larousse (3e, 2de et 1re STMG) — les élèves, les enseignants, la direction, les parents.
Dans un mouvement perpétuel, on se mélange, on se rend visite, on échange. De temps en temps, tout s’arrête : au beau milieu de l’espace, le chercheur Olivier Bobineau, sociologue et politologue, cofondateur de l’École du Sens, lance de sa voix de stentor des encouragements et des félicitations. Et le mouvement reprend.
C’est un élève de 3e en classe autonome que je rencontre d’abord : « On choisit nos conditions de travail, du moment qu’on respecte la charte de la classe faite par les élèves. J’ai le droit de téléphoner si je veux, de manger aussi, mais bon, je suis là pour travailler et j’ai le sens des responsabilités. Si j’en ai envie, je me mets dans un groupe, avec qui je veux, ou seul ; j’ai aussi un contact direct avec le prof. Pendant les séances de travail autonome, les profs qui sont avec nous, quels qu’ils soient, ont un comportement amical. »
Quand je le questionne sur ses résultats : « J’ai quelques défaillances, mais je progresse. Même si je ne suis pas fan du français, je me sens maintenant bien plus à l’aise. » Et son avenir ? Ses yeux pétillent : « Je pars en CAP soudure avec les Compagnons du devoir. »
Trois autres collégiennes confirment : « Cette expérience du collectif est agréable à vivre. On est libre de choisir avec qui on travaille. Quand on s’adresse au prof, on ose parler, poser des questions. Au fil des mois la confiance grandit. Ils nous poussent, on est alors motivés. »
Devant mon air dubitatif, elle décide de me prendre en main : « Je vous propose une immersion. Vous êtes une élève de 3e et vous arrivez dans la salle d’autonomie… » Elle évoque les boites qui contiennent les fiches pour réaliser les plans de travail, la matière choisie dans l’ordre qu’on veut, le niveau de difficulté dans les exercices selon la maitrise que l’élève pense avoir, les ressources à disposition, la production à la fin de la séance. »
L’adolescente s’exprime avec aisance, le sourire aux lèvres, le regard droit dans les yeux de son interlocutrice , après avoir confié qu’en début d’année, elle était d’une timidité maladive et incapable de parler en public. « Progresser, peut-être pas partout, mais les résultats sont meilleurs dans certaines disciplines. On ne fait pas de bourrage de crâne : c’est nous qui cherchons les infos pour nos travaux. L’autonomie avec les plans de travail, il faudrait l’étendre à toutes les disciplines ! »
C’est vraiment ce qui frappe chez tous les élèves que je rencontre, ceux de 3e, 2de ou 1re : ils sont calmes, souriants, font preuve d’une bonne fluidité verbale et manifestent leur plaisir de participer à ce projet. Des élèves heureux.
Les enseignantes et les enseignants constituent une équipe de huit en 3e. Le projet est issu d’un voyage Erasmus en 2022, au cours duquel un groupe de personnels est allé voir comment le lycée Vathorst d’Amersfoort, aux Pays-Bas, met en œuvre l’autonomie des élèves. À leur retour, ils partagent leur expérience avec enthousiasme. L’année suivante, un deuxième groupe part aux Pays-Bas et revient avec la conviction qu’il faut échanger entre collègues, faire évoluer les pratiques pédagogiques.
Avec beaucoup d’à propos, le chef d’établissement propose de renforcer cette découverte par de la formation : deux chercheurs, Olivier Bobineau et Estelle Auguin, sociologue et cofondatrice de l’École du Sens, accompagnent les enseignants dans la réflexion sur la notion d’autonomie émancipatrice. Peu à peu, la confiance se construit entre collègues, les classes s’ouvrent. En 2023, lors d’une formation dans le cadre du dispositif Néfle (Notre école, faisons-la ensemble), un groupe de volontaires va élaborer le projet à mettre en œuvre dans une classe.
En parallèle, une formation sur l’autonomie des élèves est organisée avec l’EAFC (École académique de formation continue) pour les enseignants de l’établissement, créant une dynamique sur la cité scolaire. En tout cas, chacun vit dans une coexistence pacifique, les enseignants et enseignantes qui ont décidé de former une équipe de classe à projet et les autres. « Chacun suit son parcours sans animosité à l’égard des autres », déclare une enseignante.
Ces classes autonomes sont hétérogènes. Les jeunes les plus brillants en côtoient d’autres en difficulté : cette mixité permet de construire le savoir grâce à la coopération et de susciter l’entraide, au bénéfice de tous.
Dans la salle qui leur est réservée une demi-journée par semaine (un casse-tête pour les emplois du temps !), les élèves disposent de leur espace, avec leur matériel, leur affichage, le mobilier aménagé selon leurs besoins. Ils bénéficient d’un bloc de trois ou quatre heures hebdomadaires, et les enseignants disponibles viennent se mettre à leur disposition, en retrait mais répondant aux demandes. Pour 2025, le proviseur-adjoint réfléchit à une organisation où les professeurs seraient placés en barrettes et travailleraient en coenseignement. Il s’inquiète : « À moyens constants, ce sera compliqué. »
Confiant, il reprend tout de même avec conviction : « Là, on est au cœur du métier ! »
« Il faut toujours y croire », dit la CPE, tout sourire. « Des conflits, bien sûr, il y en a, mais ils se gèrent bien. » Un signe : aucun signalement de fait de violence dans ces classes depuis le début de l’année. « J’organise parfois une médiation entre un élève et un enseignant, pour l’instauration d’un dialogue où chacun entend le point de vue de l’autre. Nous insistons sur le bienêtre des élèves. Une enseignante experte en sophrologie fait par exemple, selon les demandes, de petites interventions individuelles ou pour la classe entière afin de faire baisser le stress. »
Sourire aussi chez la représentante des parents d’élèves : « Cette classe, ce n’était pas la plus facile de l’établissement, mais la direction nous a présenté ce projet comme une chance et nous avons effectivement vu nos enfants commencer à se poser des questions, expérimenter, évoluer, prendre confiance. » Elle reconnait aussi que le chef d’établissement soigne beaucoup la communication avec les familles.
Les parents apprécient tout particulièrement les conseils de valorisation, qui remplacent les conseils de classe. Dans un premier temps, les enseignants rencontrent les parents et les élèves délégués pour faire un bilan du trimestre. L’élève et ses parents sont ensuite reçus par un binôme d’enseignants. Dans cet espace « privilégié », l’élève s’exprime plus facilement. « Les élèves, d’abord déroutés, mesurent leur chance, tandis que de leur côté les enseignants se remettent en question. »
En bref, les parents sont enthousiastes.
À un des représentants du rectorat, je fais part de mon étonnement devant la présence forte et impliquée de l’institution tout au long de la journée. « Il n’y a pas que du mammouth dans l’Éducation nationale ! », me répond-il.
La cohérence entre les divers aspects de ce projet et la cohésion entre tous les acteurs des classes autonomes se confirment lors de ces Rencontres internationales de l’autonomie avec les établissements partenaires étrangers (certains établissements ont fait le déplacement en Bourgogne, d’autres sont présents par visio).
La Toronto French school (Canada)3, le Grand lycée francolibanais de Beyrouth (Liban), le lycée d’Amersfoort (Pays-Bas), le lycée français international Louis-Massignon de Casablanca (Maroc), vont échanger avec les représentants de la cité Pierre-Larousse de Toucy. Ils confrontent leur conception de l’autonomie des élèves, s’interrogent sur la manière dont les enseignants les aident à accéder à l’autonomie et réfléchissent à l’(auto)évaluation de leurs progrès.
Certains établissements sont plus avancés que d’autres dans ce domaine (vingt ans pour le lycée des Pays-Bas), d’autres travaillent assidument à côté de chercheurs (Sylvain Connac pour le lycée canadien).
Un de leurs objets d’étude, l’évaluation, est présenté par tous non pas comme une sanction, mais comme une source de motivation et de valorisation. On présente les ceintures de compétences, l’entrainement à l’autoévaluation, les outils que les enseignants se sont bricolés. Pour le lycée de Toucy, ce sera le chantier de la rentrée 2025.
L’enseignant coordinateur d’une classe autonome de Pierre-Larousse conclut : « C’est un cheminement incroyable que nous réalisons à partir de toutes les questions que nous nous posons sans cesse. Nous nous sommes parfois trompés, mais nous avons discuté de nos erreurs. Nous avançons pas à pas, mais ce qui compte, c’est que nous avançons ensemble et que nous créons dans l’établissement une culture commune sur les pratiques de l’autonomie des élèves et celles de l’évaluation. Nous n’avons qu’une envie : poursuivre l’aventure. »
Un, deux, trois labos
De fait, la formation continue et le travail en équipe sont deux éléments clés de la réussite de ce projet. En 2019, les enseignants créent un laboratoire de mathématiques ; en 2021, un autre en lettres ; en 2024, un troisième centré sur les compétences psychosociales et le bienêtre. Ce sont des espaces de développement professionnel où les équipes peuvent réfléchir, échanger, rechercher, partager des idées et des ressources et se former (projet École laboratoire de l’Yonne, académie de Dijon).
Ainsi, actuellement, l’équipe de lettres construit un parcours du grammairien, de la maternelle au lycée, qui associera dans la recherche les enseignants du collège et les professeurs des écoles, avec l’intervention attendue de Karine Risselin, formatrice à l’Inspé de Créteil qui travaille sur les démarches pour développer les compétences langagières et linguistiques des élèves.
À lire également sur notre site
L’autonomie des élèves. Injonctions, pratiques et inégalités, recension du livre de Patrick Rayou
Vers l’autonomie des élèves, par Olivier Quinet (accès payant)
Sur notre librairie
Notes
- Plateforme qui permet aux enseignants de rassembler et de partager leurs ressources pédagogiques avec leurs élèves.
- L’école du sens se présente comme « un écosystème qui combine la recherche, des actions concrètes et la formation pour réformer l’éducation par l’innovation et la diffusion en vue de transformer l′école ».
- Lire cette interview de Barbara Martin, proviseure de la Toronto French School : « Les bénéfices de l’hétérogénéité dépassent largement les arguments en sa défaveur », dans le n° 599 des Cahiers pédagogiques, « Hétérogénéité : oui, mais comment ? », mai 2025.