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Les 3 objectifs d’un défi chamallow en classe

Il y a la cerise sur le gâteau, et le chamallow sur les spaghettis. Ça peut paraitre anecdotique, ou farfelu, mais c’est pourtant une porte d’entrée dans la coopération en classe, pour peu que l’on soit au clair avec les objectifs de cette pratique.

Un chamallow rose, des spaghettis, des bouts de ficelle, un chronomètre et une feuille blanche : voici ce que découvrent certains élèves en s’installant à leurs tables. Les suppositions fusent : une recette de cuisine originale ? Un DIY (do it yourself, quelque chose de fait main) instagrammable ? Une blague du prof ?

Une voix, celle du prof justement, tranche : « Aujourd’hui nous allons faire un chamallow challenge. » L’objectif est simple : construire un édifice en spaghettis capables de maintenir un chamallow le plus haut possible. « Top chrono ! ». Les élèves s’activent pendant dix minutes. Après l’émulation du challenge, les doutes reviennent : « Pourquoi on a fait ça ? », « À quoi ça sert ? », « On est là pour apprendre des choses, non ? »

La porte de la salle est fermée. Il ne faudrait pas que des collègues voient ça. Eux aussi s’interrogent : encore un délire « pédago » ? Un jeu en classe ? Décidément, ce « chamallow challenge » intrigue : à quoi sert-il vraiment ? C’est un cas d’étude intéressant en pédagogie : une pratique bien ficelée et pourtant des intentions qui questionnent.
Un échange entre plusieurs membres du CRAP-Cahiers pédagogiques permet un tour d’horizon sur les objectifs de ce « défi chamallow » en classe.

Un chamallow pour faire équipe

Avec des collègues de mon lycée, nous mettons en place des classes dites coopératives. L’objectif est simple : permettre aux élèves de coopérer pour mieux apprendre. Facile à dire, car nous nous nous sommes très vite rendu compte que la coopération ne se décrète pas. « Aujourd’hui, vous allez travailler ensemble », « faites cela en groupe », « vous pouvez le faire à plusieurs », etc., sont autant d’injonctions qui résonnent souvent dans la salle de classe, et qui s’échouent très vite dans l’abime.

Parfois, quand même, des échos se font entendre : « monsieur c’est moi qui ai tout fait dans le groupe », « ça fait trop de bruit, là ! », « ils ne me laissent rien faire ». Si on vise l’apprentissage pour tous, on se dit donc à première vue que la coopération ne fonctionne pas. Les élèves ne savent pas travailler à plusieurs et cela n’est pas donc pas profitable à tout le monde.

C’est précisément ce constat que nous avons saisi avec les collègues : les élèves ne savent pas travailler ensemble, c’est donc à nous de leur apprendre. Comment ? Nous avons commencé par lister ce qui freine les apprentissages lorsque les élèves travaillent ensemble : le bruit, l’hétérogénéité d’implication et l’absence d’organisation. Nous nous sommes ensuite demandé comment faire prendre conscience de ces freins aux élèves et comment les éviter lors du travail en équipe.

C’est à ce moment qu’une discussion avec Cyril nous a mis sur la piste du chamallow challenge. Nous l’utilisons donc comme une formation au travail en équipe à destination des élèves. La pratique reste la même : des groupes de quatre élèves doivent construire une tour pour faire tenir le chamallow le plus haut possible. Ce qui compte pour nous, c’est surtout la discussion collective après l’activité pour parvenir à nos objectifs. Pour alimenter cette discussion, nous avons introduit trois adaptations pour orienter les réflexions du pas de côté.

Premièrement, comme l’avait suggéré Cyril lors d’un atelier des Rencontres du CRAP à l’été 2023, nous enregistrons le bruit sur la fin du temps de réalisation. Lors de la discussion, nous demandons aux élèves de lever la main s’ils veulent travailler en équipe cette année. La quasi-unanimité des bras se tendent. Nous poursuivons en disant que, pour nous, c’est hors de question. Ce retour trouble un certain nombre d’entre eux : « pourquoi nous avoir fait ce truc alors ? », « ben on est une classe coop non ? ».

Après leur avoir fait écouter le son enregistré, ils réalisent très bien le problème de nuisance sonore. Nous leur demandons alors de formaliser des règles qui nous permettraient de travailler en équipe sans être confrontés à ce bruit. Chaque année, des choses nouvelles apparaissent : un curseur à bruit, un sonomètre, une autorégulation avec punition, des garants du volume sonore, etc.

Deuxièmement, nous divisons la classe en deux groupes avant de commencer. Les équipes d’un groupe peuvent commencer la réalisation dès le lancement du chronomètre. Pour les autres équipes, nous introduisons une nouvelle consigne : « Pendant 2 minutes, vous devez réfléchir individuellement et faire un schéma de votre projet sur une feuille. » Ce temps individuel de réflexion permet à chacun de prendre le temps de penser pour, ensuite, avoir quelque chose à apporter au groupe : des idées ou des questions. Ce travail individuel en amont du travail en équipe est bien entendu une règle fondamentale que nous connaissons. Avec cette adaptation nous parvenons à faire comprendre son utilité au regard des élèves.

En effet, pendant la discussion collective, il suffit de demander aux élèves qui ont l’impression de ne pas avoir vraiment apporté d’idée au groupe de lever la main. Davantage de mains se lèvent dans le premier groupe, une occasion pour glisser : « À votre avis pour quelles raisons ? » Très vite, le temps individuel est proposé comme règle par les élèves.

Troisièmement, nous avons ajouté une dernière phase avant de terminer le challenge. Nous demandons aux élèves d’écrire individuellement sur une feuille ce qu’ils viennent de faire et ce qu’ils ont appris. Lors des échanges collectifs, nous demandons à quelques élèves de lire leurs réponses à haute voix. Très souvent des élèves répondent la même chose aux deux questions : une tour en spaghetti.

La confrontation des réponses catalyse alors des discussions vives entre élèves, car certains ont bien conscience que ce n’était qu’un prétexte pour apprendre à travailler en groupe et à élaborer des règles. Cela nous permet alors de rappeler que ce qui est important dans le travail en équipe à l’école, ce n’est finalement pas la production commune mais bel et bien ce que chacun y apprend.

Nous proposons cette formation aux élèves à chaque début d’année depuis six ans. Nous avons fait bouger certaines choses et ce n’est sans doute pas fini. Nous aimerions par exemple, parvenir à faire participer davantage d’élèves lors de la discussion collective. Ce n’est pas simple, mais nous allons réfléchir ensemble… Un vrai travail d’équipe !

Laurent Reynaud
Enseignant de SVT en lycée

Un chamallow pour évaluer

Après ce jeu coopératif, une des questions posées lors du temps d’échange est : « Est-ce que je vous ai évalués aujourd’hui ? ». Un outil de sondage simple permet à tous de s’exprimer : les doigts de la main vers le haut pour répondre oui, vers le bas pour répondre non, ou le poing fermé pour répondre « je ne sais pas ». Devant la diversité des réponses proposées, j’ajoute malicieusement : « Et vous, m’avez-vous évalué ? »

Certains élèves ont pu imaginer que le cours de mathématiques allait être ludique, voire que le prof avait l’air sympathique, quand d’autres se sont posé la question de la légitimité de cette activité alors qu’ils sont en 1re avec la spécialité mathématiques. Le professeur sera-t-il au niveau des ambitions scolaires qui motivent ces premiers de classes ?

Là où plusieurs élèves voient l’évaluation comme un objectif chiffré à atteindre, afin d’obtenir l’orientation souhaitée dans Parcoursup, je leur propose une rupture en envisageant l’évaluation comme un retour d’informations, en vue d’une prise de décision.

Les difficultés à coopérer, observées lors du premier temps décrit par Laurent ci-dessus, nous amènent à prendre une première décision en posant un cadre rigoureux avec trois règles simples, afin d’assurer un climat propice aux apprentissages et à la concentration des élèves sur les tâches scolaires : « On s’écoute. On ne se moque pas. On cherche à apprendre ou à renforcer une notion avant de quitter la salle de classe. »

Pour illustrer le besoin d’informations afin de s’assurer que les apprentissages se passent bien, nous comparons les stratégies utilisées lorsque les élèves ont construit la tour en spaghetti.

Lorsque l’équipe a attendu la fin du temps autorisé pour ajouter la guimauve au sommet de la tour, il existe un grand risque que la structure s’effondre. Alors que les élèves qui ont disposé le bonbon dès le début ont un retour d’information : si la structure reste stable, ils peuvent chercher à augmenter sa hauteur, sinon, il faut trouver un moyen de la renforcer. L’erreur est alors une occasion d’apprendre !

Je leur propose donc une analogie avec le cours de mathématiques : pendant les exercices d’entrainements, comment savoir si nous sommes sur la bonne voie ?
Quelques corrections collectives, mais surtout des fichiers autocorrectifs à disposition. Si j’observe que des élèves ne les utilisent pas, je pourrais alors leur rappeler l’importance de feedbacks : « Attention de ne pas attendre le dernier moment pour poser le chamallow ! »

Nous aurons d’autres occasions d’approfondir les rôles des évaluations en mathématiques dans les séances à venir, mon intention première avec ce jeu est de créer des conditions d’apprentissages où personne n’a peur de se tromper, personne n’est résigné d’essayer, personne n’a peur de solliciter de l’aide.

Cyril Lascassies
Enseignant de mathématiques en lycée

Un chamallow pour former

Au début des journées de formation sur la coopération en formation initiale ou continue, nous organisons parfois des chamallow challenges avec les stagiaires.

Ce moment vise un premier objectif de cohésion du groupe : créer la rencontre des stagiaires pour « briser la glace », faire vivre une expérience d’interaction, déterminer quelques règles de fonctionnement du groupe. Mais il vise surtout un objectif de formation : réfléchir à la transférabilité de l’activité en classe. Nous le pratiquons de la même manière qu’avec les élèves, en demandant à la moitié des groupes d’adultes de consacrer un temps de réflexion individuelle à la construction de leur tour de spaghetti.

Le pas de côté pédagogique permet de poser des balises centrales à la mise en place par les enseignants de pédagogies coopératives dans leurs classes.

La première et la plus centrale de ces balises est que la coopération est un objectif d’apprentissage et non un préalable aux apprentissages : si elle permet d’apprendre, elle s’apprend et se construit avec le groupe classe. Ce moment de formation aide les participants à comprendre que coopérer, malgré l’injonction bienveillante, n’est pas inné, même pour des enseignants, souvent plus conciliants que les élèves.

L’autre balise centrale qui ressort de cette réflexion pédagogique est l’importance du temps individuel : il n’est pas rare que les enseignants ne conscientisent pas que ces temps sont en fait partie prenante des pédagogies coopératives. Enfin, il permet de distinguer la coopération de la collaboration, en montrant que le chamallow challenge avec la réalisation d’une tâche finale peut conduire à une dérive productiviste de division des tâches.

Cependant, ce moment de formation est à manier à précaution et nous avons eu tendance ces dernières années à préférer d’autres brise-glace. D’une part, il convient d’être précautionneux quand on fait vivre stricto sensu aux adultes une expérience que l’on fait vivre habituellement aux élèves. Avec notre équipe, nous préférons adapter les pratiques pédagogiques au public adulte, en mettant en œuvre des débats mouvants ou des situations-problèmes en lien avec le thème de la formation, par exemple.

Le risque est que les stagiaires, en quête d’enrichissement intellectuel, perçoivent ces activités comme des jeux infantilisants. Bien que le pas de côté pédagogique puisse souvent atténuer ce risque, il ne l’élimine pas totalement.

Céline Cael
Enseignante de SES en lycée

Un chamallow qui questionne

L’utilisation de cette technique du chamallow est à mon sens intéressante et questionnante.

Intéressante pour les diverses raisons données par Laurent, Céline et Cyril. En début d’année, les élèves ne se connaissant pas, il est judicieux d’organiser des situations pour qu’ils prennent confiance dans le groupe, notamment pour que chacun soit convaincu d’être dans un « espace hors menace », ce qui est très aidant pour prendre le risque de participer sans avoir peur de moqueries.

Les élèves ne connaissent pas non plus les pédagogies qui vont être utilisées par les enseignants, d’autant plus qu’elles varient fortement selon les années et les disciplines. Donner la possibilité systématique de réfléchir individuellement avant de coopérer, connaitre la fonction de l’évaluation pour progresser et prendre du temps pour faire une analyse réflexive des séances passées, sont quelques exemples importants d’habitudes à installer dès que possible en classe pour que les élèves puissent y apprendre au mieux.

L’utilisation du chamallow est aussi questionnante. Principalement parce que les élèves sont encouragés à entrer dans une activité « exotique » qui sort de la logique des disciplines enseignées et de ce que les élèves doivent s’approprier pour le justifier au moment des épreuves scolaires. En d’autres termes, cela ressemble fortement à une activité récréative, surtout pour les élèves qui ne parviennent pas à repérer derrière l’amusement de la construction de la tour autre chose qu’un jeu compétitif.

Rien ne dit que les temps d’analyse réflexive puissent aider chaque élève à comprendre que les enjeux sont au-delà de ce qu’ils ont fait. Pourquoi donc ne pas présenter aux élèves une activité qui aurait des liens explicites avec la discipline enseignée ? Pourquoi ne pas aussi tendre vers les mêmes objectifs pédagogiques par l’organisation d’une première séance avec du travail en groupe (autour d’un contenu scolaire clair) ? Cela permettrait d’initier les élèves à une structuration des séances ritualisée sur l’ensemble de l’année scolaire1, par exemple pour qu’ils comprennent le sens pédagogique de l’articulation nécessaire entre temps individuels, coopératifs et collectifs. Mais entrer trop franchement dans le scolaire est-il pertinent pour des jeunes qui reviennent par obligation en classe après une longue période de vacances ?

Sylvain Connac
Chercheur en sciences de l’éducation à l’université Paul-Valéry de Montpellier

Pour aller plus loin

Détail de la formation des élèves à retrouver dans l’ouvrage Faire collectif pour apprendre de Laurent Reynaud (chapitre 4), ESF-Sciences humaines et Cahiers pédagogiques, 2022.

Retours d’enseignants et d’élève sur le chamallow challenge et le travail en équipe sur le blog Feydercoop des classes coopératives du lycée Jacques-Feyder.


À lire également sur notre site

« Apprendre la coopération avec des chamallows », par Fanny Durand Raucher, Laurent Reynaud, Cyril Lascassies

« Faire participer des élèves en les déstabilisant ? », par Mounia Jaouen, Yohann Grignon, Sylvain Connac

« 3 outils simples pour organiser la coopération en classe », Sylvain Connac et Laurent Reynaud

« 13 fiches pour organiser la coopération en classe », par Pierre Cieutat, Sylvain Connac, Cyril Lascassies et Cécile Morzadec

« Des messages clairs pour coopérer », par Sylvain Connac

« Quand des profs coopèrent pour mieux faire coopérer leurs élèves », par Cécile Morzadec et Laurent Reynaud


Sur notre librairie

Couverture du numéro 576 - Former les élèves à la coopération

 

Notes
  1. Voir cette publication d’une recherche collaborative du LéA-IFé du lycée Jacques-Feyder d’Épinay-sur-Seine, Sylvain Connac et Bruno Robbes, « Est-il nécessaire de douter pour apprendre ? », Revue suisse des Sciences de l’éducation n° 44(3), 2022, p. 338-350. En ligne : https://sjer.ch/article/view/8378