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L’épreuve du terrain

Une équipe enseignante s’empare de la conférence de consensus « Écrire et rédiger » du Cnesco et travaille à sa mise en œuvre en visant l’autonomie de chacun. Échos de cette expérimentation menée durant une année scolaire dans plusieurs classes de CM1-CM2 de leur école urbaine.

La modalité de formation « en constellation » permet un travail de formation de trente heures auprès d’un petit groupe d’enseignants. Le format semble idéal sur le papier, mais comment viser la lune et ne pas rester dans une nébuleuse interstellaire ? Il a semblé nécessaire de prendre un temps conséquent (15-20 % du temps total de formation) pour amorcer la constitution d’un collectif de travail incluant le formateur. Il s’agit de :

1) faire émerger les besoins généraux d’évolution des pratiques et verbaliser les modalités d’accompagnement souhaitées ;

2) élaborer une problématique de travail, ici : comment gérer l’hétérogénéité des élèves en rédaction au CM1-CM2 ?

3) se rencontrer individuellement au sein des classes, en mettant en œuvre une séance autour de la problématique définie, avec une attention portée aux stratégies des élèves observés.

Le formateur change ensuite de posture pour faire connaitre les recommandations de la conférence de consensus sans déstabiliser les apprenants. Il sollicite l’expérience de scripteur des enseignants, les aide à confronter leurs conceptions aux modèles du processus rédactionnel, organise un échange sur les recommandations-phares de la conférence et leur utilisabilité. Il accompagne leur mise en œuvre dans la réalité de chaque classe, avec ses habitudes, ses empêchements, ses autres projets et échéances, dans une idée de négociation professionnelle de certains points et la non-négociation d’autres.

Articuler pratiques et recherche

La part la plus conséquente de la formation a consisté en un aller-retour entre des expérimentations en classe, un travail d’analyse et des apports didactiques complémentaires. Trois priorités ont été retenues :

1) ritualiser le travail d’écriture des élèves dans divers champs disciplinaires durant quatre semaines ;

2) faire collaborer les élèves quand ils écrivent, les observer en travail de groupe pour mieux évaluer leur processus d’écriture ;

3) engager un travail de planification de l’écrit par une approche du brouillon.

Les rôles ont été répartis : l’enseignant expérimente ; le collectif analyse ; le formateur complète l’analyse, insiste sur certains éléments, en relativise d’autres, met des mots sur un concept qui est touché du doigt par les apprenants. Cette étape a permis l’appropriation des recommandations, voire leur remise en question à l’épreuve de la réalité des classes. Car si un débat s’instaure autour de principes didactiques, c’est bien qu’il y a développement professionnel collectif et individuel. Ainsi, plutôt que de normer des pratiques à partir des recommandations, il s’est agi de styliser (sans dénaturer) les recommandations pour les adapter à chaque environnement, condition pour qu’elles soient prises en compte.

Le dernier temps de la formation a consisté à concevoir et analyser ensemble une même séance. Le rôle du formateur est alors d’assurer un cadre réflexif qui s’appuie sur les recommandations déjà expérimentées et de susciter des justifications argumentées. Le temps de travail a abouti à la formalisation de la séance, dont le collectif a porté la responsabilité, avec des espaces d’initiatives personnelles.

Dans cette séance, les recommandations relatives à la planification de l’écrit, au travail de groupe et à l’observation du processus d’écriture ont notamment été prises en compte. Il s’ensuivit, sur une journée, la mise en œuvre de la séance par chacun des enseignants, observée par un pair et un formateur. L’enseignant qui conduit la séance est outillé par la fiche de préparation collective ; l’enseignant-observateur renseigne l’effet des gestes professionnels sur les élèves, accompagné du formateur.

Ces observations ont ensuite été remises dans le « pot commun » lors d’un retour en fin de journée pour dégager les réussites et limites de la séance conçue, ainsi que les compétences professionnelles gagnées. Par exemple, en offrant la possibilité de diversifier les types de brouillons possibles, de faire émerger les stratégies de brouillonnage des élèves avant d’imposer une manière de faire, l’étape de planification est apparue comme une aide. La gestion de l’hétérogénéité a pu se faire au bénéfice des élèves les plus en difficulté en s’appuyant sur ces recommandations.

Deux points de vue

La directrice : Certaines conditions doivent être réunies pour que ce travail de transposition de la recherche à la classe soit possible au niveau d’une équipe d’école. Le fait qu’il s’impose à tous et qu’il soit borné dans le temps a permis de le mener à terme. L’accompagnement d’un formateur qui maitrise les concepts didactiques sous-jacents est nécessaire mais pas suffisant. C’est le débat sur ces apports puis l’expérimentation qui ont permis une forme d’appropriation. L’enrôlement de notre équipe a été rendu possible, car la recherche n’a pas été présentée par le formateur comme une vérité absolue, mais comme un matériau malléable en fonction de notre école, son public, son contexte et notre équipe.

C’est bien quand a été observée une évolution des compétences des élèves en rédaction que les recommandations de la conférence de consensus ont été considérées comme un réel levier dans l’apprentissage de nos élèves. L’expérience a finalement permis à l’équipe de questionner sa pratique de manière collective. D’ailleurs, une volonté d’installer durablement ces nouvelles pratiques se dessine pour l’an prochain avec des projets au cycle 2.

Le formateur : La conception du dispositif doit non seulement à la prise en compte de recherches en didactique du français mais aussi dans le champ de la formation. Le constat du formateur/doctorant est que trop souvent, les enseignants craignent d’évoquer leurs réelles préoccupations ou formulent des réponses qu’ils pensent attendues par le formateur.

Concevoir un environnement de formation locale et collaboratif permet de partir davantage du travail réel des enseignants1 et de faire évoluer le cadre d’analyse de la formation vers une approche sociotechnique2, où l’enjeu pour le formateur est d’allier, dans un souci de perpétuel rééquilibrage, 1) la conception de l’ingénierie de formation, 2) la prise en compte de chacun des apprenants et 3) celle de l’environnement dans lequel se déploie la formation.

L’ingénierie de formation repose sur une alternance entre des temps d’expérimentation et d’analyse, s’appuyant sur un savoir expérientiel. Chaque apprenant réfléchit individuellement aux compétences qu’il a découvertes, utilisées, développées ou qu’il souhaiterait utiliser à l’avenir. Le travail collectif permet un re-travail de l’activité des enseignants : ils construisent de nouvelles manières de faire dans l’échange, tout en les rendant compatibles avec les recommandations. L’implication dans un réseau d’interactions régulières à propos de problèmes professionnels a stimulé l’ouverture des manières de penser et de faire le métier d’enseignant. Il s’agit d’une transformation complexe des relations entre formés et formateur où la recherche fait lien entre les acteurs.

Elen Le Port
Enseignante et directrice d’école à Strasbourg
Mike Noeppel
Conseiller pédagogique et doctorant en sciences de l’éducation et de la formation à Strasbourg

À lire également sur notre site :

Enseigner avec l’écrit, compte-rendu de la conférence de consensus du Cnesco par Hélène Eveleigh

« Les élèves écrivent à tous les moments des apprentissages », entretien avec Jacques Crinon et Hélène Eveleigh


Bientôt sur notre librairie :

Notes
  1. Frédéric Saussez, « Une entrée activité dans la conception d’environnements de formation pour sortir d’une vision fonctionnaliste de la formation, un essai de conclusion », Activités n° 11 (11 2), 2014.
  2. Brigitte Albero, « La formation en tant que dispositif : Du terme au concept », dans Bernadette Charlier et France Henri (dir.), Apprendre avec les technologies, PUF, 2010.