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L’écriture libératoire
Il n’avait pas de prédisposition ou de vocation pour le professorat. Le choix d’étudier les lettres était avant tout lié à sa passion pour les livres. En l’absence d’autre perspective immédiate, il passe le concours sans être persuadé qu’en cas de réussite, il serait professeur pendant toute sa carrière. Aujourd’hui, cela fait vingt ans qu’il enseigne et sa passion pour ce métier qu’il n’a pas réellement choisi ne se dément pas. « Cela m’a vite plu. C’est un métier qui déstabilise, qui surprend. Il n’est pas toujours simple mais il m’attire encore car il me permet de ne pas être toujours dans la certitude, avec des choses qui m’échappent. Il y a toujours une part de changement. Ce métier m’apprend beaucoup. »
Il a d’abord enseigné en zone d’éducation prioritaire en région parisienne, une expérience qu’il a appréciée, puis en Normandie. « J’ai fait pas mal d’établissements, toujours des collèges. Cela s’est fait comme cela, mais j’aime bien ce niveau. Même si elle n’est pas facile, l’adolescence est une période passionnante. »
Désormais en poste au collège de Bricquebec-en-Cotentin (Manche), il enseigne à tous les niveaux, de la 6e à la 3e, avec chaque fois le souci de « montrer aux élèves qu’écrire est une vraie activité, essentielle, une façon d’être au monde ». L’approche est différente selon la classe mais l’objectif est commun. En 6e, elle est plus axée sur la poésie. En 3e, elle visite l’écriture sur soi, l’autobiographie ou encore la critique, comme l’an passé, où ses élèves ont travaillé sur une adaptation du Dictionnaire des idées reçues de Gustave Flaubert, une façon « d’ironiser sur ce des choses autour de nous, de les mettre à distance ».
Pour ce type de projet, les collégiens travaillent d’abord sur un prototype. Ils réfléchissent ensuite à ce qui doit être amélioré. Les contributions sont individuelles, chacun peut travailler à sa façon, apportant son propre regard sur un thème commun. « Ce sont des fragments plutôt qu’un récit complètement collectif avec une dimension personnelle de l’écriture. » Il illustre son propos en racontant l’histoire d’une élève qui, tombée amoureuse de la poésie, ressentait la nécessité d’en écrire chaque jour. « Cela lui faisait du bien de dire, de s’autoriser à dire ce qu’elle ressentait. La digue avait sauté. »
Les contributions sont lues par les élèves mutuellement pour proposer des améliorations. Certains préfèrent l’anonymat, ne posant leur nom sur leurs textes qu’en cours ou fin de projet. « Les élèves sont intéressés par savoir ce que pensent les autres. L’écriture collaborative est formatrice. On apprend beaucoup de l’autre en voyant ce qu’il lit de nous et on apprend sur soi. » Tout au long du projet, il amène des éléments de cours, de langue, de grammaire et des exemples de textes d’écrivains.
Il souligne aussi l’intérêt de la publication par l’exigence qu’elle impose sur l’écriture, le soin à apporter à la qualité des textes qu’elle induit. Elle marque le point final et se fait via Twitter. « On attend ce qu’il va se passer, on guette les réactions. » Il utilise aussi le réseau pour lancer des défis, solliciter d’autres enseignants, comme pour le Printemps des poètes où il leur a demandé de donner des contraintes poétiques à appliquer par ses élèves. Ces usages des réseaux sociaux permettent de « faire vivre l’écriture au sein de la classe, de l’ouvrir vers l’extérieur ». Ils montrent une autre façon de communiquer au sein de ces réseaux, hors narcissisme ou expression de colère.
Les réseaux sociaux favorisent également les collaborations avec des artistes. L’an dernier, les 3e devaient porter un regard critique sur des vidéos portant sur un sujet actuel, réalisés par un artiste contemporain qu’ils avaient choisi. Les élèves ont enregistré leur critique à l’oral et ont reçu une réponse. « Nous étions dans le même cadre que la critique d’un texte patrimonial mais avec une discussion avec l’artiste. C’était incarné. On montre ainsi que les choses sont vivantes. »
Il privilégie l’écriture brève pour briser une certaine timidité face aux textes pour des élèves qui associent souvent l’écrit à la longueur. « Le court n’empêche pas un travail long de fond. Pour Le dictionnaire des idées reçues, par exemple, nous avons travaillé l’ironie en évitant l’insulte par le recours à la subtilité, à la nuance. » Sur un autre projet, il a convoqué La Bruyère pour montrer comment l’auteur se moque des apparences, des personnes qui se trouvent magnifiques. « On retrouve cela sur Instagram où les gens se montrent sous leur meilleur jour. Les élèves comprennent le lien. » Son fil rouge est la découverte d’auteurs classiques en montrant comment leurs textes sont toujours actuels même s’ils ont été écrits il y a quatre siècles.
Il constate que les collégiens sont plus méfiants vis-à-vis des textes que des images. « Or, ce sont les images qui les manipulent. Notre rôle est de les éveiller à une certaine lucidité sans les juger. » Il préconise de partir des goûts et des intérêts des jeunes, de construire avec eux un rapport différent aux images et aux textes pour élaborer leurs jugements. Dans cette démarche, les écrivains sont perçus comme des professionnels auprès de qui des éléments sont puisés pour aider à écrire, à étayer la démarche personnelle d’écriture de l’élève. « Je sélectionne des œuvres dans le programme qui vont nous servir de guide. Il y a un côté compagnonnage. J’essaie d’éviter le côté musée et de choisir l’accompagnement à lire, à penser. » Pour aborder des figures de style, l’hyperbole ou encore la satire, il utilise des vidéos que les élèves décryptent. Ils aiguisent ainsi leur regard. « On applique les outils de la critique littéraire classique aux œuvres modernes. Cela fonctionne bien car les adolescents vivent dans un monde d’images. »
Ce qu’il préfère avant tout, c’est montrer que la littérature est vivante et l’écriture aussi. Il se réjouit de voir ses élèves s’emparer de l’écrit avec toutes les formes variées qui dépassent la simple rédaction. « Je leur montre que c’est accessible, libératoire. Les élèves sont sensibles à cela, c’est un partage, une réflexion, une expression au-delà du cadre scolaire. » Beaucoup continuent à écrire ensuite, certains contribuent encore, lorsqu’ils ne sont plus au collège, aux travaux publiés sur Twitter.
Gregory Devin partage son approche avec les autres enseignants en tant que formateur académique en lettres modernes. Il forme sur des questions liées à sa discipline, sur la fluence ou encore sur les difficultés de lecture des élèves. Il s’attache là aussi à partir des besoins, ceux de ses collègues, pour répondre à leurs questions et les aider à vivre mieux la classe. Les invite-t-il, comme il le fait avec chacun d’entre nous, à s’emparer des mots, lors des jeux d’écriture collective qu’il partage sur Twitter ? « C’est nécessaire de créer des à-côtés, des respirations créatives, de partager nos émotions. Ça fait du bien, cette dimension collective et humaine. C’est une façon de donner et de prendre des nouvelles dans une forme brève et passionnante de littérature. »
Le compte Twitter de Gregory Devin
Le compte Twitter des travaux des élèves
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N° 522 – Tous compétents en français
Comment les apprentissages de la lecture, de l’écriture, de l’oral s’actualisent-ils dans nos classes et nos cours quand l’enseignement du français ne se fixe plus comme finalité la sélection (reproduction) des « élites » mais la réussite de tous les élèves, y compris les plus éloignés de l’univers de l’école ?