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La baisse régulière des résultats des élèves français aux évaluations Pirls (Programme international de recherche en lecture scolaire) en compréhension de l’écrit, la faible maitrise des processus dits complexes (interpréter et apprécier), la dégradation des résultats en littératie en Ééucation prioritaire : autant de constats qui ont conduit à cette recherche collaborative.

Un groupe académique pluricatégoriel dont nous faisons partie s’est constitué dans l’académie de Versailles, avec la participation de deux universitaires, Marie-France Bishop et Carine Royer. Il a élaboré des évaluations académiques de compréhension de l’écrit en CM2 pour les élèves d’éducation prioritaire.

Il s’agissait d’en faire un outil didactique pour connaitre, reconnaitre, évaluer et prendre en compte les compétences et les processus mis en œuvre au cours de la lecture, en les rendant visibles pour l’enseignant. Cet outil devait permettre d’appréhender la capacité des élèves à saisir ce qu’il faut faire pour comprendre un texte1.

Comment les avons-nous construites ?

Nous sous sommes appuyés sur les recherches existantes en didactique du français et sciences du langage2, en sciences de l’éducation3, et en psychologie cognitive4. La conception des évaluations s’adosse ainsi à un modèle de la compréhension comme processus dynamique et intégrateur qui résulte de la « capacité à élaborer une représentation mentale cohérente de la situation évoquée par le texte » (Eduscol). Ce modèle largement partagé nécessite la mise en jeu d’un ensemble de stratégies qui ont servi de base à ces évaluations.

Les textes choisis pour ces évaluations sont des textes résistants, relevant de plusieurs disciplines ; ils sont de plusieurs types et sont abordés selon différentes modalités (lecture entendue ou lectures autonomes). La modalité de questionnement retenue permet aux enseignants d’identifier les réussites de leurs élèves, les causes de leurs difficultés et la diversité des processus qu’ils mettent en jeu afin, ensuite, de proposer des dispositifs d’enseignement adaptés.

Les questions posées permettent en effet d’évaluer chez l’élève sa capacité à construire une élaboration mentale de la situation évoquée, ses compétences lexicales et syntaxiques, ses connaissances du monde, sa capacité à faire des liens avec ses propres références, ses compétences stratégiques et inférentielles, et enfin celles d’autoévaluation et de régulation qui sont nécessaires à la compréhension des textes proposés. Habituellement, ces compétences ne sont mesurées qu’en contexte, ce qui rend difficiles pour l’enseignant la décontextualisation et le transfert à d’autres tâches.

Pour que les enseignants puissent exploiter les résultats et en faire un outil didactique, nous avons élaboré les questions selon trois principes : 1) diminuer la part de décodage en s’appuyant sur des illustrations, des propositions de réponses ou la lecture entendue 2) donner le moins d’informations possibles 3) éviter les biais habituels des questionnaires très inductifs. Il s’agit d’évaluer ce qui est activé chez l’élève en anticipant ses représentations mentales, y compris erronées. Cet outil concernant l’ensemble du cycle 3, il a paru pertinent de le comparer aux évaluations nationales de compréhension en 6e5.

Comparons les évaluations

Nous avons analysé chacune des questions en identifiant les compétences évaluées et les types de textes proposés. Ces deux évaluations ont en commun de s’appuyer sur des types de textes variés et de poser des questions référentielles, inférentielles et lexicales, mais se différencient selon les compétences évaluées.

Dans les évaluations académiques, la priorité est accordée à la mise en lien des informations (57 % des questions) et à la représentation mentale (23 % des questions), alors que les évaluations de début de collège mettent l’accent sur les compétences lexicales et linguistiques (50 % des questions) et sur les questions inférentielles (36 % des questions).

Figure 1 : Évaluations nationales 6e

Figure 2 Évaluations académiques 6e

En affinant le classement, les différences s’accentuent encore. En effet les questions inférentielles proposées par les évaluations CM2 nécessitent principalement des inférences élaboratives (67 %) alors que celles-ci ne sont nécessaires que dans 14 % des questions inférentielles des évaluations 6e. Ces dernières se centrent essentiellement sur l’évaluation des capacités à effectuer des inférences de liaison, moins couteuses cognitivement.

Figure 3 : Évaluation des inférences 6e

Figure 4 : Évaluation des inférences CM2

Nous nous sommes aussi demandé si les éléments évalués portaient sur de la compréhension de phrase ou de texte. Nous avons donc trié les questions auxquelles nous pouvions répondre en ne lisant qu’une phrase et celles pour lesquelles nous avions besoin de lire plusieurs phrases.

Une nouvelle fois, la différence est flagrante. Si les évaluations 6e sont centrées sur la compréhension locale (73 % des questions), les évaluations CM2 sont beaucoup plus axées sur la compréhension globale du texte : seules 27 % des questions portent sur des éléments locaux.

Figure 5 : les questions dans les évaluations 6e

Figure 6 : les questions dans les évaluations CM2
Des conceptions différentes

Cette analyse fait ressortir deux représentations de l’enseignement de la compréhension. Celle des créateurs des évaluations 6e fonctionne par étapes : la compréhension de mots, de phrases d’abord, pour ensuite arriver à la compréhension du texte. Pour les concepteurs des évaluations CM2, la compréhension est intégrative : il faut travailler simultanément toutes les compétences nécessaires à la réalisation d’une représentation mentale cohérente.

Les préambules de ces évaluations tendent à confirmer ces deux représentations de l’enseignement de la compréhension et de son acquisition. En effet, il est stipulé dans le préambule des évaluations académiques que celles-ci doivent « permettre de mesurer les capacités nécessaires à la construction d’un modèle de situation ». Du côté de celui des évaluations du second degré, l’accent est mis sur les difficultés lexicales (le texte « présente une syntaxe et un vocabulaire susceptibles de créer des difficultés en lecture autonome ») et précise que « le traitement d’ “inférences variées” n’est quant à lui attendu qu’en fin de sixième ».

L’analyse comparée de ces deux évaluations constitue une entrée pertinente pour le travail de liaison interdegrés. Des conseils de cycle 3 pourraient être consacrés à l’analyse, à l’interprétation des résultats des élèves à ces deux évaluations et à la mise en place de séances coconstruites afin de faire progresser les élèves sur toutes les compétences de compréhension.

Sandrine Bertrand
Enseignante de français, Inspé de l’académie de Versailles, site d’Évry
Thomas Picard
Enseignant de français, Inspé de l’académie de Versailles, site de Gennevilliers

Référence

Marie-France Bishop, « Aider à comprendre, deux canevas d’enseignement de la compréhension au cycle 2 », sur le site forumlecture.ch, 2018 : https ://www.forumlecture.ch/sysModules/obxLeseforum/Artikel/649/2018_3_fr_bishop.pdf.


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Notes
  1. Pour une présentation de ces évaluations : https://www.education.gouv.fr/media/116473/download.
  2. Jocelyne Giasson, La compréhension en lecture. Bruxelles, De Boeck, 1990.
  3. Sylvie Cèbe et Roland Goigoux, Lector & lectrix. Apprendre à̀ comprendre les textes narratifs, Retz, 2012 ; Roland Goigoux, « Enseigner la compréhension : l’importance de l’auto-régulation », in Daniel Gaonac’h et Michel Fayol (dir.), Aider les élèves à comprendre : du texte au multimédia (p. 182- 204), Hachette, 2003.
  4. Maryse Bianco, Du langage oral à la compréhension de l’écrit. Presses universitaires de Grenoble, 2015 ; Jean Écalle et Annie Magnan, L’apprentissage de la lecture et ses difficultés. Dunod, « Psycho Sup »., 2015, DOI : 10.3917/dunod.ecall.2015.01.
  5. https://www.education.gouv.fr/media/95731/download.