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Le climat scolaire en question

Après une introduction de Jean-Marc Huart, directeur général de l’enseignement scolaire, dans la droite ligne des propositions de Jean-Michel Blanquer, les interventions de Philippe Meirieu, François Dubet, Nathalie Mons et Eric Debarbieux, parrains de sessions précédentes de la JRES ont été l’occasion d’un retour sur des évolutions qui posent problème, mais aussi sur ce qui a progressé durant ces dix dernières années en terme de lutte contre l’échec scolaire.

Au cours de cette discussion, Philippe Meirieu, professeur émérite en sciences de l’éducation a notamment alerté sur l’accélération du phénomène d’externalisation de l’accompagnement scolaire : marchandisation, absence d’évaluation, détection-dérivation (la détection précoce des élèves en difficulté accentue l’externalisation de la réponse aux problèmes et encourage les prises en charge extérieures à la classe). François Dubet, professeur émérite de sociologie à l’Université Bordeaux II, a soulevé une hypothèse qu’il a qualifiée de « désagréable  » : tous les élèves ne seront pas de bons élèves. Est-ce pour autant que cela les conduira à avoir une vie moins réussie ? L’école a-t-elle le monopole de la définition de la valeur des individus ?

Philippe Meirieu, Eric Debarbieux, Nathalie Mons, François Dubet

Philippe Meirieu, Eric Debarbieux, Nathalie Mons, François Dubet

Éric Debarbieux, directeur de l’Observatoire national de la violence à l’école, s’est voulu plus positif en notant que la France a rempli avant échéance les objectifs de Lisbonne en termes de lutte contre le décrochage scolaire. D’environ 150 000 sorties sans diplôme en 2008, on est passé à 98 000 aujourd’hui. Nathalie Mons, professeur des universités en sociologie et présidente du Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire), s’est intéressée à la question des comparaisons internationales. Elle a très justement fait remarquer que « si la France recule, c’est parce que les autres avancent ».

Climat scolaire et réussite

Tous les quatre ont souligné qu’en dix ans, la question de la lutte contre l’échec scolaire était présente dans l’opinion publique mais que le discours tenu sur s’était infléchi dans le sens de plus de conservatisme. Ainsi, s’occuper des plus faibles serait faire « baisser le niveau ».

Allant dans le même sens, Benjamin Moignard, directeur de l’Observatoire éducation et prévention et parrain de la JRES 2017, a justement noté que la question du climat scolaire, qui était auparavant liée à celle de la violence à l’école, est aujourd’hui associée à celle de la réussite.

Dans les tables rondes qui ont suivi, les différents intervenants ont souligné que la question du climat scolaire et de son lien avec la réussite des élèves est encore trop l’objet d’une vision individualiste liée aux notions de mérite, motivation et attention, alors qu’elle relève d’une dynamique collective, non seulement au sein de l’école, mais plus largement de la société.

C’est toute une vision en creux d’une société qui se dessine et qu’il faudrait repenser. Qui a intérêt à lutter contre les inégalités, à lutter contre le décrochage en améliorant le climat scolaire, dans une société qui repose sur ces mêmes inégalités ?

Quelles solutions ?

Benjamin Moignard a lui souligné la nécessité de travailler le climat scolaire comme élément du projet pédagogique d’un établissement en s’appuyant sur l’ensemble de la communauté éducative. Philippe Meirieu a relevé l’omniprésence et la banalisation de la violence verbale, notamment dans les médias, et l’urgence d’une coéduaction et d’une responsabilisation. Caroline Veltcheff, directrice territoriale Normandie du Réseau Canopé propose une démarche systémique dans laquelle le diagnostic et les solutions sont à construire à partir de la parole des élèves.

Tous sont d’accord pour dire l’urgence à travailler en collectif, à dépasser les clivages individuels et les idées reçues : l’amélioration du climat scolaire ne repose pas que sur la lutte contre les inégalités. Il faut une politique nationale volontariste, essaimée au niveau local, qui s’appuie sur l’intelligence collective de l’ensemble des acteurs du monde éducatif. Il y a donc urgence à former les enseignants, car le climat scolaire d’un établissement se joue dans la salle des profs, mais aussi l’ensemble des personnels. Comme le conclut George Pau-Langevin, ancienne ministre déléguée à la réussite éducative, « il faut tout un village pour élever un enfant ». 

Des collégiens qui se sentent bien

Enfin, cette journée a surtout été l’occasion de prendre connaissance de l’enquête réalisée pour l’AFEV par Trajectoires-Reflex sur « Le climat scolaire perçu par les collégiens ». Cette enquête menée en mai-juin 2017 auprès de 447 collégiens de 6ème et de 3ème scolarisés dans des établissements de l’éducation prioritaire est instructive à divers niveaux.

90 % des collégiens interrogés déclarent se sentir bien au collège. Ce niveau de bienêtre est le même que celui de l’ensemble des collégiens, si on se reporte à l’enquête nationale de victimation menée en 2013 par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP). En revanche, les 10 % qui se sentent mal dans leur collège avancent trois motifs principaux : la peur d’être interrogé et la peur des évaluations, les difficultés scolaires et la mauvaise entente avec les autres élèves.
Néanmoins, les relations entre jeunes revêtent une certaine forme de violence, puisque près de la moitié dit avoir été témoin d’actes d’humiliation ou de cruauté envers d’autres élèves.

Globalement, le cadre de vie et de travail est perçu comme favorisant le bienêtre et par là les apprentissages ; mais ce sont les problèmes de discipline qui nuisent aux apprentissages. 58 % déclarent que les professeurs ont souvent des difficultés à enseigner à cause de problèmes de discipline, 38 % disent même en être gênés.
Enfin, les sanctions et des punitions posent problème, puisque 42 % déclarent avoir déjà reçu une sanction qu’ils estiment injustifiée.

Les jeunes interrogés témoignent qu’ils vivent globalement dans un bon climat scolaire au sein de leur collège. Celui-ci est lié à la qualité des relations qu’ils entretiennent entre eux, mais aussi au cadre scolaire proposé dans les établissements. Les bonnes relations avec les enseignants, entre les enseignants et les parents, la qualité des locaux, les activités proposées aux élèves en dehors des cours, sont appréciées des élèves et favorisent leur épanouissement.

Une journée riche de propositions, qui espérons-le, ne resteront pas lettre morte…

Laurence Cohen
Rédactrice en chef adjointe des Cahiers pédagogiques

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