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L’école dans plusieurs mondes
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Le titre traduit l’hypothèse de travail du groupe d’études sociologiques fondé par Jean-Louis Derouet à l’INRP. Les « mondes » dont il est question sont ceux suggérés par l’anthropologie des compétences de Boltanski et Thévenot dans De la justification. Les économies de la grandeur, publié en 1991.
Ces socio-anthropologues proposent six logiques (on pourrait sans doute encore dire des systèmes de valeurs, des principes, voire des idéologies) qui déterminent les prises de décision dans les organisations et engendrent différents mondes. Il s’agit de la logique de l’inspiration (valorisant la spontanéité, la création, la passion), de la logique domestique (respectant la tradition, la hiérarchie, la valeur des liens intergénérationnels, attentif à la qualité des relations personnelles), de la logique civique (accordant la prééminence au collectif et aux collectivités), de la logique de l’opinion (pour lequel il importe d’être reconnu et de paraître), de la logique marchande (où il faut gagner face à la concurrence, être le meilleur dans la compétition, gagner de l’argent), de la logique industrielle (dans lequel priment l’efficacité, la performance, le regard tourné vers l’avenir).
Si hier l’école relevait en priorité de la logique civique à partir du bien public défini au niveau du ministère, elle paraît aujourd’hui davantage relever d’une pluralité de logiques, ou a minima encore de la logique civique mais accrochée prioritairement à l’échelon local de l’établissement.
Ce changement de modèle, ainsi que les nouvelles compétences qu’il requiert chez les acteurs est au centre du livre.
En prélude, on montre à partir de l’évolution des politiques en matière de construction scolaire depuis trente ans, comment les sources de légitimation se sont diversifiées et comment ont changé les lieux de décision. Les sources de la légitimité sont aujourd’hui extérieures à l’école, émanant de la représentativité des élus locaux et des expertises des architectes et des urbanistes. Ce n’est plus le seul ministère qui gère le bon espace pour enseigner.
Dans une première partie, on rend compte du « travail des acteurs pour explorer les situations troubles, les gérer et y construire des identités acceptables » à travers ce que d’aucuns pourraient noter comme la banalité du quotidien. Voyez-vous même.
– Dans un lycée tranquille, quelques jeunes ont publié un petit canard lycéen en rien dangereusement subversif, déclenchant une grève et la menace d’un dépôt de plainte.
– Trois établissements bien tenus sont observés à partir de leur politique d’orientation. On montre comment la communication et la clarification du dialogue sont payantes entre enseignants et parents ; « c’est en effet là où l’on s’y est le plus attaché, qu’il y a eu le moins de litiges et d’appels ».
– Un district qui montre un retard éducatif important par rapport aux normes nationales définit un projet éducatif de district grâce à un animateur qui organise à ces fins une mobilisation locale. Y interviennent, selon chacune de leurs logiques, un député, un recteur, un principal de collège et un inspecteur d’académie. Ce dernier stoppe le mandat de l’animateur. Exit alors le projet de district. Le choc des mondes a conduit au chaos.
Une deuxième partie s’intéresse aux mises en forme locales à travers la délégation aux objets dans le mobilier scolaire, le fonctionnement des établissements scolaires et l’évaluation des politiques éducatives territoriales. Dans tous les cas on y découvre que les acteurs dans l’école évoluent dans un univers où tout n’est pas prédéfini, où de multiples réseaux coexistent dont la mise en forme est constamment provisoire, obligeant à prendre en compte plusieurs mondes.
La troisième partie montre que l’ordre qui se recompose, qui n’est plus celui d’une école républicaine, pose donc la question d’un système éducatif unifié à l’échelle nationale. Se discute ainsi ce qui est peut-être en projet derrière les transformations : faire disparaître un ordre national, carcan qui inhibe les innovations, empêche les compromis locaux, et voir apparaître à la place deux ordres. Un ordre local « où se gèrent la socialisation de la jeunesse, l’intégration des minorités, la paix quotidienne des quartiers », et un ordre européen « où se pilotent le rapport entre les compétences des individus et les besoins des entreprises ». Cette troisième partie intitulée : « Un système éducatif ? Projet social et culture commune du corps enseignant » s’appuie sur quatre contributions relatives à l’enseignement de l’histoire, à la difficulté d’une mise en forme scolaire des activités physiques, à la question de la laïcité, au leitmotiv de la réforme de 1989 : l’enfant au centre de l’école.
Un ouvrage qui fera date sans doute pour instituer « une sociologie de l’éducation rapprochée » comme le souhaite Jean-Louis Derouet, moins attentive aux statistiques que ses devancières, plus vigilante aux confrontations de l’État et du local dans la définition et la mise en actes des politiques scolaires, toujours en alerte à penser ensemble la lutte pour l’égalité et la lutte contre l’exclusion.
Michel Develay
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