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La « culture générale » et l’école

Couverture du Compte-rendu de lecture du rapport sur la culture générale de l’Académie des sciences morales et politiques, rédigé par Olivier Houdé.

Couverture du Compte-rendu de lecture du rapport sur la culture générale de l’Académie des sciences morales et politiques, rédigé par Olivier Houdé.Il existe de multiples définitions de cette notion floue qu’est « la culture ». Et ajouter l’adjectif « générale » n’arrange rien. En une centaine de pages, un rapport récent, après avoir tenté des définitions, aborde la question de la nécessaire appropriation de la culture par les jeunes d’aujourd’hui, à travers l’école mais pas seulement. Il est issu d’un cycle d’études de deux ans de l’Académie des sciences morales et politiques, sous la direction du chercheur en sciences cognitives, Olivier Houdé. Des membres des cinq académies de l’Institut de France y ont contribué.

Le sous-titre du rapport met heureusement l’accent sur la pédagogie (« une question d’éducation et de pédagogie1 »), mais fait une allusion qui peut laisser perplexe à « l’honnête humain du XXIe siècle », formulation un peu vintage, même si « humain » intègre davantage celles qui étaient exclues au XVIIe siècle de ce qui était alors une élite et qu’on veut étendre à tous.

Il s’agit, nous dit-on de « trouver une série de leviers pour rehausser, en France, le niveau de culture générale des élèves. Non pas pour en (re)faire un filtre sélectif, mais un vecteur de curiosité et d’émancipation pour tous, une culture générale et partagée ».

À la lecture du rapport, mon impression est mitigée, même s’il comporte de multiples aspects intéressants. L’état des lieux, par exemple, fait à partir de sondages divers. Pour une majorité de Français, la culture générale est importante pour « bien élever ses enfants ». Loin derrière, l’objectif de « briller en société »… Contrairement à des idées reçues, il y a une forte confiance envers les chercheurs et universitaires, suivis de près par les enseignants, bien loin devant les créateurs de contenus et influenceurs. Tout cela reste, il est vrai, du déclaratif. Dans la pratique réelle, qu’en est-il ?

On note aussi que plus de la moitié des enseignants estimaient ne pas avoir un niveau élevé de culture générale, celle-ci pouvant d’ailleurs davantage relever des « humanités » dans une version restrictive de la culture. S’il y a un vif désir de l’enseigner, d’après leurs déclarations, seuls 15 % le font à l’école primaire !

Le champ de la culture

Mais quel est le champ de la culture, précisément ? Les sciences et technologies en font-elles partie ? Pierre Léna, fondateur de La Main à la pâte, préfère parler de culture commune qui tient compte de « la diversité humaine », et l’Académie de technologie, sans doute moins « prestigieuse », plaide pour la réintroduction du « faire » au collège, un vœu souvent réitéré mais peu suivi d’effets.

Ce qui gène un peu, c’est que, dans toute une première partie du rapport, on a davantage un catalogue de tout ce qu’il faudrait transmettre aux élèves, entre œuvres d’art et de lettres, dans une liste assez exhaustive, renvoyant à de futurs « repères » d’un socle commun revu et corrigé, mais, semble-t-il, retombant dans l’encyclopédisme et l’accumulation type auberge espagnole.

Cela contentera à la fois les modernistes qui insistent sur la diversité des formes culturelles et la nécessité de médiations parfois audacieuses, et les traditionnalistes qui, au hasard d’une page, font un assez stupéfiant éloge sans réserve du Lagarde et Michard, ce manuel qui fut champion des hiérarchies contestables et des jugements conformistes (sans oublier censures et exclusions).

Médiations et expériences inspirantes

Mais ce qui justifie le plus la lecture de ce rapport, c’est la seconde partie (à partir de la page 49) qui inventorie des médiations permettant de relier formats classiques et nouveaux (livres, BD, jeux vidéo, musées, plateformes numériques, IA). Un travail issu d’un groupe de travail dans lequel, par exemple, on s’interroge sur « la priorité accordée au devenir élève et à l’instruction précoce sur d’autres modèles de développement et d’accompagnement des découvertes du jeune enfant ». Citant Brougère : « L’enfant, devenu élève, abdique toute initiative sauf dans les activités marginales comme le jeu. »

Les préconisations sont intéressantes. On y trouve entre autres :

– concernant les enfants : densifier les actions en faveur de la littérature de jeunesse, de l’esprit scientifique, du raisonnement critique, de l’éveil aux différents arts ; ouvrir davantage aux familles les coins bibliothèque, les coins jeux, les clubs de lecture-écriture, les jardins potagers à l’école (culture du vivant) et initier les usages partagés ; proposer des défis créatifs à l’échelle de plusieurs établissements, impliquant les parents (en coéducation).

Et, très concrètement, restaurer l’épreuve de littérature de jeunesse au concours des professeurs des écoles.

– concernant les enfants et adolescents : encourager, à l’école et dans les espaces partenariaux, les propositions exploratoires permettant une prise de risque calculée ; et prendre au sérieux les « cultures juvéniles », tirer parti des formats nouveaux fréquentés par les adolescents pour les amener à découvrir les formats plus classiques.

Enfin, à partir de la page 75, on trouve un beau catalogue de quatorze « expériences inspirantes » – de transmission de la culture générale à partir desquelles le groupe a dégagé des points-clés (enjeux, méthodes, conditions de réussite) et identifié des composants pédagogiques favorables, dont la démarche de projet, l’équilibre entre cadrage et libre-choix, la prise de conscience de ce qu’on sait, ce qu’on veut apprendre et comment on s’y prend. Citons par exemple « l’anthropologie pour tous » au lycée Le Corbusier d’Aubervilliers, les ateliers éducatifs du collège de Trappes, « Contrastes contemporains : visites en déchetterie et au Château de Versailles » dans un centre de formation professionnelle des Yvelines ou encore « l’arbre à défis ».

Des recommandations très générales

Suit une liste de dix recommandations trop générales bien souvent (retrouver le sens de l’otium !) dont on ne voit pas toujours tout ce que cela peut impliquer, comme « une visite de tous les élèves au cours de leur scolarité de la Cité internationale de la langue française ». Plus précise, mais à concrétiser sans doute davantage : « Créer un module numérique (d’IA) de l’Institut de France (sur son site), fondé sur la curiosité des utilisateurs (élèves, professeurs, curieux) via un système de questions – réponses qui utiliserait une intelligence artificielle (type ChatGPT français) pour générer automatiquement des réponses de qualité ».

Espérons, quoi qu’il en soit, qu’on retiendra surtout d’un tel rapport l’importance des médiations, en donnant davantage le rôle de « passeurs culturels » aux enseignants et, comme il est signalé dans le texte, en ne sacrifiant pas l’approche culturelle au sens large à la seule centration sur les soi-disant « fondamentaux ».

Jean-Michel Zakhartchouk

Rapport de synthèse « La culture générale aujourd’hui. Une question d’éducation et de pédagogie » par Olivier Houdé.


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Sur notre librairie

Couverture du numéro 588 : « Les cultures à l’école »

Notes
  1. Titre complet : La Culture générale aujourd’hui. Que doit (encore) savoir « l’honnête humain » au 21e siècle ? Une question d’éducation et de pédagogie.