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Pour que la diversité culturelle prenne place parmi les savoirs scolaires

L’école accueille et transmet une grande diversité de cultures. Comment les reconnait-elle ? Comment se passe la rencontre avec l’autre, entre inclusion et tensions ? Comment sortir des préjugés et des stéréotypes ? Et y a-t-il une culture légitime à l’école ? Notre dossier invite à faire place à l’altérité et à l’hospitalité pour faire société. Ses coordonnateurs, Régis Guyon et Catherine Hurtig-Delattre, nous le présentent.
Pourquoi faire un dossier sur le thème des cultures qui se rencontrent à l’école ?

Notre société donne à voir aujourd’hui un paysage multiculturel qui en fait la richesse et la complexité. On y observe un mouvement nécessaire de connaissance et de reconnaissance, des formes d’altérité et de métissages, mais aussi des risques d’essentialisation et de replis identitaires – pour ne pas parler d’une forme de globalisation culturelle qui nivèle toutes les aspérités et spécificités des cultures et pratiques culturelles. Dans ce contexte, l’école n’échappe pas à cette question, avec ses particularités : en tant que lieu à la fois de transmission de savoirs et de cohésion civique, s’y pose la question de la définition d’une culture définie comme légitime, qui parfois est loin des univers des élèves scolarisés au point de les exclure et de creuser les inégalités.

Partant de ce constat, il nous a semblé important de revenir sur les fondements, sur ce qui nous rassemble, ce qui nous unit, pour reprendre le titre d’un ouvrage de François Dubet1, sur la manière dont il est possible de conjuguer nos cultures et nos appartenances pour en faire du commun, un universalisme partageable et partagé.

Car dans le triptyque républicain, la fraternité reste sans doute le principe le plus complexe à définir ou à incarner, tout en étant sans doute celui dont la portée est propre à ouvrir de possibles définitions de ce qui nous lie. Autrement dit, comment l’école s’empare-t-elle (ou pas) de cette diversité ? Quels sont les obstacles à lever pour que la diversité culturelle prenne place parmi les savoirs scolaires ?

Qu’est-ce que c’est que la culture, ou les cultures ?

La meilleure définition qu’on pourrait donner des cultures – telles que nous avons souhaité les mettre en avant dans ce dossier – est donnée par Véronique Lemoine-Bresson et Virginie Trémion, qui nous disent que « quand on parle de cultures, il est question des êtres humains dans leur complexité et leur (in)capacité à interagir, à s’adapter et à se manifester dans la rencontre avec l’autre, un humain porteur de cultures qui se réactualisent dans le temps, l’espace et les interactions ». La culture n’est pas un concept éthéré et décontextualisé, mais une matière vivante qui prend tout son sens d’abord par celles et ceux qui se l’approprient, qui la font vivre à travers des pratiques, des interprétations, voire des trahisons. À partir de là, on perçoit combien les cultures peuvent apporter, par leurs richesses et leur diversité, des éléments utiles pour déconstruire des stéréotypes et pour entrer dans la complexité du monde. Tout un programme pour l’école !

Quel état des lieux le dossier propose-t-il sur les cultures à l’école ?

Ce dossier n’a pas la prétention de l’exhaustivité mais propose des éléments de clarification sur la place des cultures dans l’école, les apprentissages, mais aussi, comme on le disait plus haut, un levier pour travailler ce qui nous lie. La culture, comme la langue, n’est pas un objet figé qu’il faudrait enfermer dans un conservatoire ou dans un musée. Au contraire, c’est un objet vivant qui ne cesse d’évoluer, de s’enrichir des apports des autres et des pratiques des adultes comme des élèves. L’école doit s’y intéresser, afin d’éviter une approche scolaire qui ne tiendrait pas compte des individus en présence.

Inversement, on ne peut pas construire du commun uniquement sur la base d’individualités et d’individualismes qui se prétendent exempts de toute altérité et qui refusent d’entrer dans le jeu de la confrontation et la controverse. La rencontre n’est possible que si on parvient à faire une place à l’autre.

C’est pour cette raison que nous avons mis l’accent, dans notre éditorial, sur la notion d’hospitalité, qui nous semble effectivement clé pour comprendre ce qui se joue dans les cultures à l’école : pour accueillir l’autre, il faut lui faire une place – l’hospitalité comporte par nature une forme d’intrusion, l’arrivée de l’autre est toujours inattendue et déstabilisatrice – et renoncer à une forme d’autonomie – pour faire une place à ce que l’autre apporte –, et c’est en cela que l’hospitalité peut être source de tensions et de nouvelles perspectives.

Y a-t-il des pratiques qui ressortent plus particulièrement ?

Le dossier a permis d’aborder des pratiques très diverses, tant dans les domaines disciplinaires que pour les niveaux concernés, de la maternelle à l’université. Bien sûr, la question des langues est un sujet qui revient souvent et qui s’impose sur la question, tant la reconnaissance comme une richesse du plurilinguisme de nombreux élèves est un enjeu fort. Mais d’autres pratiques ont été abordées, touchant notamment des projets artistiques, mais aussi historiques, géographiques ou littéraires. La diversité des situations est également frappante : les expériences relatées peuvent se situer en classe avec les élèves, sur un territoire avec des partenaires, en formation avec des étudiants ou encore avec des parents d’élèves.

Que retenez-vous vous-mêmes de la préparation de ce dossier ?

Nous avons été enthousiasmés par la vitalité de nos interlocuteurs. Comme nous l’avons dit dans l’avant-propos du dossier, ce sont les « rencontres » qui ont donné la tonalité au dossier, plus que les « tensions ». Nous avons pu lire des initiatives diverses et riches ne cédant pas à la morosité ou au découragement, qui peuvent parfois légitimement envahir le monde de l’éducation. Les apports de chercheuses comme Véronique Lemoine-Bresson et Virginie Trémion, mais aussi Sylvie Octobre, nous ont permis de garder notre cap de l’entrée par la complexité. Il nous semble que l’équilibre propre à notre revue, fait de la complémentarité entre témoignages de pratiques et analyses, est ici fortement incarné.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

Sur notre librairie :

N° 588 – Les cultures à l’école

Dossier coordonné par Régis Guyon et Catherine Hurtig-DelattreL’école l’accueille et transmet une grande diversité de cultures. Comment les reconnait-elle ? Comment se passe la rencontre avec l’autre, entre inclusion et tensions ? Notre dossier invite à faire place à l’Autre, pour faire société.


Notes
  1. François Dubet, Ce qui nous unit. Discriminations, égalité et reconnaissance, Seuil, 2016.