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La coopération, un engagement collectif

La danse était sa passion première. Adolescente, elle se voyait bien devenir danseuse professionnelle. Ses parents enseignants redoutaient les incertitudes de la vie d’artiste. Ils parviennent à la convaincre de devenir prof à son tour, lui vantant le temps libre que la profession était censée lui dégager. « Je suis devenue enseignante en 2000. Je me suis rendu compte que ça me plaisait énormément, mais aussi que j’avais peu de temps libre. » Elle en sourit, car ce métier adopté par raison la ravit encore et toujours.
Son chemin professionnel commence dans un collège à Sarcelles et se poursuit pendant douze ans dans la Sarthe. Son approche de l’enseignement est sans doute influencée par la culture familiale. « Mon grand-père était directeur d’école, un instit un peu à la Pagnol. Il était militant de l’éducation populaire. Mes parents aussi. C’est un truc de famille. »
Elle commence à explorer seule les pratiques de coopération. Elle apprend en lisant et en faisant. « J’étais entourée de collègues super, on a mené de beaux projets ensemble, mais il n’y avait pas de réels collectifs autour de moi. » C’est lorsqu’elle arrive à Nantes, en 2014, qu’elle s’en rend compte et s’engage encore un peu plus dans la voie de la coopération.
Pour la première fois de sa carrière, elle est inspectée. Aurélie choisit de mener son cours comme elle l’avait prévu, avec des plans de travail, et reçoit en retour félicitations et proposition pour devenir formatrice dans le secteur de l’éducation prioritaire.
Au départ, elle refuse, se sentant encore trop jeune dans le métier. Puis, elle accepte après avoir présenté ses pratiques de plans de travail lors d’un colloque coorganisé par l’ICEM-Pédagogie Freinet, Pidapi et le CRAP-Cahiers pédagogiques. « On m’écoutait, on prenait au sérieux mes partis pris, j’ai adoré ! »
Elle se sent capable de former ses collègues, se lance et se régale d’un nouveau rôle pour lequel elle bénéficie d’une décharge partielle d’enseignement. Elle le fait pendant trois ans, puis redevient prof à temps plein. « C’était énormément de boulot de concilier les deux. Et les thèmes dépassaient souvent mon champ de travail, celui de la coopération. »
Elle arrête en même temps que d’autres collègues, dont Stéphane Gort. Tous les deux continuent à recevoir des demandes d’intervention de la part d’équipes pédagogiques. Ils imaginent alors ouvrir un collectif de formateurs autour de la coopération et reçoivent le soutien du Cardie l’année suivante.

Une séance en plan de travail.
En parallèle, peu avant la crise du covid, Aurélie et deux enseignantes créent une « Petite fabrique », dispositif conçu pour faciliter les échanges entre enseignants. L’angle retenu est : « Comment la coopération pouvait apporter un bénéfice à l’enseignement des lettres ? Qu’est ce qui pouvait nourrir la didactique ? » L’idée est d’explorer ensemble des approches et techniques pédagogiques, d’observer aussi les pratiques avec des visites mutuelles et à partir de ces différents matériaux, de proposer des articles pour le site de l’académie de Nantes et des revues pédagogiques comme les Cahiers pédagogiques.
Le groupe grandit, rassemble des enseignants de six départements différents. Pour faciliter son fonctionnement, il s’officialise sous forme de GRAF (Groupe de réflexion action-formation). « Il y a un côté recherche, expérimentation. Nous sommes des artisans qui essayons de trouver la meilleure mécanique comme un horloger, de rechercher les “choses qui clochent là-dedans”, comme disait Boris Vian, pour que la coopération booste les apprentissages des élèves. »
Une dizaine d’enseignants de français contribuent à la création de ressources académiques avec des réunions trois fois par an, des visios et des visites mutuelles entretemps. Le plan de travail, la lecture, l’étude de la langue ont déjà été explorés. L’envie d’un partage plus large sous forme d’ouvrage consacré à la coopération en cours de français émerge.
Cette envie se nourrit des temps pédagogiques réjouissants vécus en classe. « Je mets de la coopération à tous les moments de mes cours, en utilisant le cadre théorique des pédagogies coopératives issues du mouvement de l’éducation nouvelle et de la psychologie du développement, avec des travaux de groupe en début de séance, des plans de travail et des phases d’entrainement. »
Elle cite d’autres modalités, par exemple en étude de la langue pour la révision de l’écrit. « Comment s’appuyer sur ses pairs pour rédiger une argumentation grammaticale et déterminer l’orthographe la plus probable d’un mot ? »
Ou encore, des chantiers de grammaire, des marchés de connaissance pour travailler l’oral ou l’organisation de cercles de lecture. « Les élèves lisent un texte, ils notent individuellement les stratégies de lecture qui sont ensuite discutées en classe entière dans une modalité proche des discussions à visée démocratique, sans guidage de l’enseignant. » Elle est à chaque fois bluffée par l’interprétation collective et démocratique d’un texte, une séquence où « les subjectivités de chacun entrent en discussion ».
Elle insuffle de la coopération dès que l’objectif s’y prête. Dans son collège, elle est à sa connaissance la seule à le faire sous cette forme. Pour elle, ce n’est pas un frein, l’important est que l’établissement fonctionne bien avec une équipe pédagogique investie. « Je ne me sens pas seule. On travaille sur d’autres choses ensemble. Et puis, je m’interdis de juger ce que font les autres. La diversité des approches est une vraie richesse pour les élèves. » Le collège « tourne bien » avec des publics hétérogènes où se côtoient enfants d’artistes, d’enseignants, du voyage, élèves allophones et où les résultats au brevet oscillent de la mention à l’échec.
L’échec, elle le relativise. Elle explique ne pas vivre les difficultés d’un élève comme un drame personnel et irrémédiable. Maman d’une enfant handicapée, elle aiguise un regard positif, encourage et se délecte des chemins tracés pas à pas par les élèves, tous les élèves. Là aussi, elle ne veut pas juger, apposer un « mal fait » à ce qui a mobilisé une attention, des connaissances. « Cette expérience de mère a changé sans doute mes pratiques. Les petits progrès, je les trouve magiques, extraordinaires. »

Un atelier d’écriture sur la plage de Saint-Nazaire.
Elle porte attention à ce que, au-delà l’hétérogénéité, la classe fasse groupe. Elle prend garde à ne pas se focaliser sur les raisonnements et l’aisance des meilleurs élèves, au risque d’oublier les autres. Là encore, la coopération est facilitatrice. Elle organise par exemple des battles littéraires avec deux groupes qui doivent argumenter autour d’un questionnement porté par un texte. « Chacun argumente, l’ambiance est joyeuse. »
Elle regarde ses élèves grandir, les accueillant en 6e puis les retrouvant en 3e. Elle vit comme une chance de partager avec eux le passage de l’enfance à l’adolescence.
Elle constate aussi avoir grandi professionnellement, grâce au collectif et à la coopération. Elle se rappelle la fameuse année de son arrivée à Nantes, sa participation aux rencontres estivales du CRAP-Cahiers pédagogiques, ses échanges avec Sylvain Connac qui, des années auparavant, avait, par un ouvrage, outillé ses pratiques pédagogiques, avec des enseignants mus par un même élan positif. Là aussi, elle s’est sentie pleinement dans un collectif, qui encore aujourd’hui, enrichit son engagement pédagogique. Que l’on se rassure : à ses heures de loisirs, Aurélie danse toujours.
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