Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Frontière, porte et pas de porte

Me revient à la mémoire, pour une raison que j’ignore, une émission de France Culture que j’avais écoutée un soir avant de m’endormir. Le propos s’échangeait autour du concept de frontière. J’y avais transposé la géographie de l’école avec ses frontières réelles et symboliques.

Des frontières réelles, celles de la clôture récemment rehaussée et du portail désormais fermé à double tour, en raison du plan Vigipirate. Celle de la porte d’entrée, où il faut sonner et attendre que quelqu’un vienne vous ouvrir, là où précédemment le passage de la rue, du quartier, de la place du village à celui de l’école se faisait plus spontanément et avec une certaine légèreté. L’école semblait pouvoir s’ouvrir, s’offrir au monde « extérieur ». Aujourd’hui ces portes fermées où l’on doit marquer le pas coupent l’élan autant que la respiration. Certes, elles protègent nos enfants, protègent nos élèves d’intrusions malveillantes. Mais comment accueillir, toutes portes fermées?

L’élève en retard ne peut plus se faufiler discrètement jusqu’à sa classe, celui qui a oublié son cahier de leçons ne peut plus faire marche arrière une fois le portail franchi, le parent ne peut plus déposer au porte-manteau le sac de piscine oublié dans la voiture sans se faire remarquer du porteur de clés.

Semblant de liberté

Trois salles de classe s’alignent dans ce long couloir. Les portes y sont ouvertes. Parents et enfants arrivent. De l’Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles), de l’enseignant, qui accueille? Qui accueille dans le couloir? Qui au pas de la porte? Qui dans la classe? Qui est accueilli? Le parent, l’enfant, l’enfant et son parent? Qui franchit le seuil pour entrer dans la classe?

C’est là un autre passage de frontière : celle de la porte de la classe qui s’ouvre et se ferme. Porte qui se referme sur le maitre et les élèves, offrant dans son univers clos une intimité relative. Dans le couloir, je passe et j’entends des voix étouffées, tel un murmure. Faire classe porte ouverte, une invitation à la liberté? Libre d’entrer? Libre de sortir? Semblant de liberté, le seuil reste infranchissable. Le regard seul de celui qui passe dans le couloir s’égare un instant dans l’espace clos et le regard de l’élève sagement assis se tourne parfois vers cette béance qui l’attire vers l’extérieur.

Claustration volontaire

Les frontières invisibles sont aussi celles de la cour de récréation, où d’un côté les garçons courent et de l’autre les filles discutent. Pourtant, point de porte ici, ni de clôture. Drôle de mot, d’ailleurs, que celui de clôture. Enseignant enfermé à jamais dans l’école comme s’il n’avait pu s’en échapper. Ou peut-être est-il venu pour s’y réfugier? Au Moyen Âge, le mot ne représentait-il pas l’enfermement, la claustration volontaire dans les couvents?

Le pas de porte. Le seuil. Franchir le seuil ou pas. Le pas de porte est-il un « pas de porte » à franchir sans réserve? Sur le seuil, deux collègues discutent, l’un est dehors, l’autre dedans. C’est sa classe. L’autre est venu lui apporter un document. Plus loin, dans ce couloir d’école, depuis le pas de porte, l’un interpelle l’autre. Appuyé au chambranle il rigole tandis que l’autre efface son tableau. Ils échangent des plaisanteries. Le seuil n’est pas franchi. La frontière délimite des territoires.

Rachel Harent
Coordonnatrice REP dans le Finistère